Je vais en étonner plus d'un, mais j'avoue trouver du bon dans les 2 argumentaires présentés.
J'aime le style laconique (oserais-je dire catonien ?) de Patrice. En peu de mots il dit des choses souvent très sensées. C'est un talent que je n'ai pas et que je jalouse...
J'ai de l'admiration pour Vincent Ferré. Je ne dis pas ça à cause d'un réflexe corporatiste mesquin. J'ai réellement énormément d'estime pour son travail. Il est avec Anne Besson, Tom Shippey et d'autres éminents tolkiennisants un de mes
Cicerone sur les Terres d'Arda ...
Entre le lecteur éclairé et le savant je ne choisis pas. Il y a toujours eu plusieurs niveaux de critique en littérature, entre le journaliste de presse, l'universitaire et le grand fan érudit ...C'est une des caractéristiques du fandom de SFF que d'avoir toujours rassemblé des voix d'origines différentes mais très complémentaires. Et, soyons honnêtes, le sérieux ne vient pas toujours de l'Académie (que l'on compare Versins à Todorov... et tout est dit).
J'ai appris une chose sur ce forum. Il est impossible de convaincre les autres du bien fondé de ses vues par la seule grâce d'un argument d'autorité. Une note de bas de page ou un vocabulaire soutenu ont plutôt tendance à faire fuir les lecteurs. Ce forum est un forum de lecteurs boulimiques dont la plupart ont une expérience d'écriture plus ou moins aboutie. Ces lecteurs aiment partager leurs sensations, le plaisir qu'ils ont éprouvé à la lecture de tel ou tel passage, et c'est ce qu'ils recherchent.
Les malheureux docteurs Pangloss comme moi n'ont donc pas beaucoup de chances d'être entendu, à moins d'être reconnus ou d'avoir quelque habileté dans l'exposition de leurs idées.
Il y aurait pourtant du bon à entendre ce que les "chercheurs" ont à nous dire. Voilà des gens, mal payés, peu reconnus, méprisés ou jalousés par les élites économiques et politiques (c'est selon)... et qui consacrent des vies entières à mieux comprendre une oeuvre littéraire. Quand on sait dans quelle estime l'Université tient les chercheurs de "l'Imaginaire", je pense qu'il est du devoir de tout lecteur de cette littérature d'applaudir ces pionniers plein de courage.
J'applaudis ! Parce que le bon docteur Asimov me serait passé sous les yeux (....ah de la "vieille" SF !) sans le regard acéré de James Gunn. Parce que Tolkien, Borges ou Lovecraft ont développé des monuments qui gagnent à être relus, pensés et médités. Et tenir la main à un savant facilite bien des choses. C'est comme Joyce ou Mann, il faut creuser le palimpseste et goûter le mille-feuille strate par strate ...
Patrice ou Vincent Ferré ? Flaubert ou Sainte-Beuve ? Pourquoi choisir ? Il est bon de faire marcher son intellect et sa sensibilité de concert, de goûter l'immédiateté d'un jugement souvent acéré, et de partager la merveilleuse route d'une analyse longuement méditée ...
...et puis...ça ne se voit peut-être pas...mais Patrice appartient aussi à la tribu des AMHA (suffit de cliquer)
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PS: quelques réponses pour Vincent Ferré :
_ à mon humble avis, les Étymologies ne remplacent pas les autres companions, elles sont complémentaires. Prenons rapidement l'exemple de la Bible : chaque siècle a développé sa part de Concordances, de Gloses, de Tables péricopiques, de Synopses etc. Pour autant, doit-on préférer les étymologies de Saint-Jérôme à celles d'Isidore de Séville ou à celles de Pierre le Mangeur ou encore celles du cardinal Bellarmin au prétexte que les premières sont antérieures aux autres et riches du prestige du sceau patristique ? Le Tolkien des Étymologies est-il celui des dernières années ? Ses Étymologies nous permettent-elles vraiment de faire la part entre ses premières années, celles de sa maturation et enfin celles de son "achèvement" ? Je dis bravo à votre entreprise d'édition, mais je persiste à croire que l'usage d'un dictionnaire "historique" ou ce qui peut en tenir lieu reste indispensable (....pour un petit public d'allumés s'entend / le grand public y trouvera son compte)
_concernant la traduction de Ledoux, j'avoue avoir la dent dure et je sais combien son travail a du mérite eu égard à la difficulté de l'entreprise (je crois savoir que Gérard Klein lui-même dit avoir rejeté l'opportunité d'éditer Tolkien compte tenu de la difficulté de le traduire). Mais, entre vous et moi, reconnaissez que ce problème de la traduction nous empoisonne depuis 40 ans et qu'il serait temps d'y mettre de l'ordre, non ? Vous nous informez que la nouvelle direction de Bourgois va s'y atteler...alors Bravo et merci ! (
petite parenthèse, n'oublions pas que ce problème de traduction n'est pas inconnu des autres pays, à tel point que JRR avait élaboré en 1966 une nomenclature pour guider ses traducteurs allemands et danois après les traductions catastrophiques en suédois et néerlandais / je crois savoir qu'Allan Turner avait consacré une étude à ce problème)
_enfin, concernant les choix éditoriaux de Christopher Tolkien, vous m'excuserez d'avoir à son égard un regard au minimum prudent. Je n'ignore pas l'immense valeur de ce monsieur, et croyez bien que je me damnerais pour que les archives Herbert puissent avoir un tel éditeur, si scrupuleux et soucieux d'honorer la mémoire de son père. Mais, tout travail d'édition est soumis à la critique. Entre historiens nous nous comprenons. Ce travail ne répond pas à nos critères de scientificité (génétique, ecdotique des textes). Ce n'est pas dramatique, mais sur certains points sa méthodologie entraîne des distorsions contestables. Peut-être pourrons-nous reprendre ce débat sur un autre fuseau. Mais je ne vous cache pas avoir été troublé à la lecture de Douglas Kane. Je pense qu'entre son essai et celui de Flieger, il y a de quoi nourrir un passionnant débat sur le phénomène des "paulinismes" littéraires (en SF nous connaissons la même problématique avec Derleth et son rôle dans la cristallisation du mythe de Cthulhu).
Au plaisir de vous relire
