Du sense of wonder à la SF métaphysique

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Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » jeu. janv. 28, 2010 12:06 am

bormandg a écrit :Gérard, excuse moi, mais là je suis profondément gêné et je n'arrive pas à avaler ton explication.
D'abord parce que mon premier réflexe à ton rejet de l'altérité est de voir une possibilité, voire un début de deshumanisation de l'autre. J'y vois, très vite, la position du colonisateur qui nie l'humanité des indigènes. Je sais que ce n'est pas à ça que tu penses, mais la simple installation de la frontière humain/inhumain y aboutit très vite. Et en SF où on se pose les problèmes d'autres avec lesquels on peut communiquer, que ce soient les extra-terrestres, les robots positroniques, les mutants, les androïdes ou les anmaux, le concept d'autre et le concept d'inhumain se séparent très vite. Même les Bersekers de Saberhagen ne sont pas, seulement, l'inhumaine Loi de Murphy si souent invoquée par Larry Niven.
Alors sans doute le problème de l'inhumain, du matériel ou de l'animal avec lequel on ne communique pas, a-t-il donné lieu aux réactions successives que tu évoques (animisme, religions polythéïstes, religions monothéïstes, matérialisme, vision mécaniste de Descartes, etc...) et à cette volonté de nier l'existence même de l'inhumain, de ne pas lui reconnaître le statut de sujet littéraire.
Mais ce n'est pas l'inhumain que la science-fiction a prétendu réintégrer; c'est l'autre, le compréhensible, sous toutes les formes évoquées plus haut. L'inhumain, la Loi de Murphy, reste au niveau du décor, des contraintes qui ne diffèrent pas de façon essentielles de celles du roman classique. L'objet du roman SF, c'est la confrontation avec l'autre, pas avec l'inhumain.
Je ne comprends pas ce que tu ne comprends pas. Je n'ai jamais, ni de loin ni de près, parlé de rejet de l'altérité.
J'ai écrit que le non-humain et l'altérité, ce n'est pas la même chose, au moins de mon point de vue qui n'a aucun rapport avec tout ce que tu évoques.
Et si j'ai évoqué l'escherichia, c'était pour bien marquer que pas plus que l'électron ou le photon, je ne le tiens pour un autre mais pour du non-humain, intéressant et étudiable et éventuellement source d'histoires. C'est un sujet littéraire et même métaphysique. Il faudrait peut-être me lire et réfléchir un peu, que diable.
Mon immortalité est provisoire.

Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » jeu. janv. 28, 2010 12:11 am

Lensman a écrit :
bormandg a écrit :
Sand a écrit :ben Solaris et Rendez-vous avec Rama, comme "inhumain", ça se pose là, quand même. Par exemple.
"Inhumain" ou "Autre"? Moi je ne qualifierais ni Solaris, ni Rama, et même pas les bersekers ou les Machines de Benford d'"Inhumain". Non-humain, tant qu'on veut. Mais le fait même qu'il y a recherche de communication dans les trois cas (j'admets que chez Benford il y a eu renoncement motivé) bannit le qualificatif d'inhumain.
Moi aussi, l'inhumain, je voyais ça plutôt comme la négation de l'éthique. Mais Gérard doit avoir une raison de préférer le terme d'inhumain. Laquelle?
Oncle Joe
J'ai longuement indiqué cette raison dans mon premier post sur le sujet. Vous me le copierez mille fois, à la main et sans ordinateur.
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Lensman
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Message par Lensman » jeu. janv. 28, 2010 12:15 am

Peut-être qu'au lieu de parler de " l’hostilité indifférente de l’inhumain", comme l'écrit Gérard, on pourrait parler du "caractère éventuellement dangereux du non-humain".
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Erion
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Message par Erion » jeu. janv. 28, 2010 12:24 am

L'évocation du bouddhisme et de la SF me fait penser à une anecdote concernant le film de Mamoru Oshii "Innocence"

Le film se situe dans un futur où on peut numériser les cerveaux et les implanter dans des cyborgs. On suit l'histoire de Motoko (qui a "fusionné" avec une IA du réseau) et de son adjoint Batou.

Lors de la présentation à Cannes, Oshii a été interviewé par des journalistes occidentaux et japonais, et plus tard, il a fait part de son amusement sur la différence entre les questions.

Pour les journalistes occidentaux, la question essentielle, le problème que leur posait le film c'était "est-ce que ces humains numérisés sont encore des humains ?", alors que pour les journalistes japonais, la question, le problème c'était "mais pourquoi Batou s'occupe de donner à manger à un chien ?"

On peut trouver la question des japonais ridicule. Elle ne l'est qu'en surface. Si on considère l'influence shinto (et pas le bouddhisme) au Japon, le fait qu'une machine ait un esprit ne pose pas problème. Si une pierre possède un esprit (kami) pourquoi pas un robot (et on remarque que le développement des robots domestiques est avancée par les industriels japonais comme un moyen de créer une présence pour les personnes agées isolées). Bref, le statut d'être ne pose pas vraiment problème (mais le kami est clairement et sans ambiguïté inhumain).
En revanche, un kami, un esprit, ne peut pas s'occuper d'un animal ou d'un autre être vivant, c'est un aspect beaucoup plus problématique.

Après, si j'essaie d'extrapoler.

Le succès d'Astro, le robot, ce n'est pas parce qu'il était humain, mais parce qu'il était protecteur (dans toute la série, il dispense ses faveurs, comme une divinité, et protège l'humanité contre les robots conçus pour faire le mal. On peut même y retrouver la dualité des kamis, qui ont deux "âmes" une bénéfique et une dangereuse.). Idem pour Doraemon, le chat robot.
Les robots ont donc, d'une manière générale, une image assez positive, ce qui n'est pas le cas des cyborgs, et de tout ce qui est implant, virus, tout ce qui transforme l'humain.

Sur l'incompréhension et l'altérité, Dans le roman japonais évoqué par Jean-Claude et intitulé "Usurper of the Sun" de Nousuke Nojiri, on a précisément cela. Des extraterrestres qui ont envoyé une avant garde sur Mercure, pour construire un gigantesque anneau autour du soleil, qui doit servir à ralentir leur vaisseau de colonisation qui arrive.
Une expédition humaine met hors service le dispositif, mais les humains sont pris de remords (on va provoquer la mort de la seule race extraterrestre qui atterrit dans notre système solaire). Et ils essaient par tous les moyens de communiquer avec le vaisseau ET, sans succès. Les militaires envoient des missiles, ils sont détruits. Une nouvelle expédition s'approche du vaisseau, mais aucun contact se fait, le vaisseau ET ignore totalement les tentatives humaines.
Jusqu'au moment où, un contact va s'établir, entre une IA forte (vraiment autonome) et les ET, ce qui va permettre de pénétrer dans le vaisseau ET. Pour s'apercevoir que.... les ET sont une entité collective et que, tout simplement, ils n'ont jamais perçu la présence d'individus à proximité. Ils recevaient les signaux, mais n'en ont pas déduits l'existence d'êtres les émettant.
Un cas absolu d'incompréhension.
Modifié en dernier par Erion le jeu. janv. 28, 2010 12:40 am, modifié 1 fois.
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
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Message par Lensman » jeu. janv. 28, 2010 12:30 am

Erion a écrit : En revanche, un kami, un esprit, ne peut pas s'occuper d'un animal ou d'un autre être vivant, c'est un aspect beaucoup plus problématique.
Mais est-ce que n'importe-quoi (une chaise, une figue sèche, un électron, etc) possède un kami? Les objets manufacturés ont-il un statut spécial, une forme particulière de kami? (bon, ça fait un peu digression…)
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Message par Erion » jeu. janv. 28, 2010 12:40 am

Lensman a écrit :
Erion a écrit : En revanche, un kami, un esprit, ne peut pas s'occuper d'un animal ou d'un autre être vivant, c'est un aspect beaucoup plus problématique.
Mais est-ce que n'importe-quoi (une chaise, une figue sèche, un électron, etc) possède un kami? Les objets manufacturés ont-il un statut spécial, une forme particulière de kami? (bon, ça fait un peu digression…)
Oncle Joe
Oui, il y a un kami des peignes, et aussi des excréments, ainsi que du crachat.
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Message par Eons » jeu. janv. 28, 2010 8:12 am

On n'est pas loin de la kami-sole, là...
Les beaux livres, c’est aussi par ici : www.eons.fr

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Message par MF » jeu. janv. 28, 2010 9:49 am

Lensman a écrit :Peut-être qu'au lieu de parler de " l’hostilité indifférente de l’inhumain", comme l'écrit Gérard, on pourrait parler du "caractère éventuellement dangereux du non-humain".
C'est aussi l'usage de "hostilité" qui m'interroge. Mais je ne crois pas que la notion de danger soit adaptée.

L'impossibilité de négociation émane, me semble-t-il de deux situations possibles :
- l'impossibilité d'interaction entre l'humain et l'inhumain ;
- l'interaction subie par l'humain sans possibilité d'action ou de réaction effective.

Le premier cas est souvent mis en scène dans une situation de limite infranchissable, de mur intangible auquel se heurte l'"humain". Y-a-t-il dans ces situation une "hostilité" de l'"inhumain" en plus de l'"indifférence" ? N'est-ce pas alors sous-entendre qu'une caractéristique (valeur propre ?) de l'"humain" est ... la négociation (qu'elle qu'en soit la forme : exploration, recherche, voyage, conquête...) et que tout ce qui contraint cette caractéristique est "hostile" ?

Le deuxième cas me pose la question de l'évolution de cette notion d'"humain". Lorsqu'il y interaction subie avec l'"inhumain" , l'humain résultant est-il encore le même ?
Prenons le monolithe de 2001 ou le photon cité par Gérard. Ce sont des exemples, à mon avis, significatifs. L'"humain" change lors de l'interaction avec le monolithe. De même qu'il peut changer lors d'un interaction entre une particule énergétique et le matériel génétique -> mutation et évolution (avec tout ce que ça a donné de mutants dans la littérature SF).
L'"humain" est transformé dans le processus. Il me semble que se pose alors la question de la temporalité dans laquelle situer l'"humain" (autre sujet largement abordé par la SF).
Modifié en dernier par MF le jeu. janv. 28, 2010 2:42 pm, modifié 1 fois.
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

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Lensman
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Message par Lensman » jeu. janv. 28, 2010 10:05 am

MF a écrit : L'"humain" est transformé dans le processus. Il me semble que se pose alors la question de la temporalité dans laquelle situer l'"humain" (autre sujet largement abordé par la SF).
Les frontières (si c'est le bon terme) bougent en permanence. L'humain, on cherche à le caractériser et ce n'est pas si évident. Je suppose que c'est ce que font, à différents niveaux et sur différents plans, pas mal de philosophes, scientifiques, artistes, etc, un peu sérieux. Enfin, il me semble…
Oncle Joe

Lem

Message par Lem » jeu. janv. 28, 2010 1:34 pm

Une remarque là-dessus :
GK a écrit :on pourrait ordonner les œuvres de science-fiction selon un axe allant de l’humanité à l’inhumanité qui définirait assez bien leur acceptabilité par le vulgum pecus ou l’académédiaticien. C’est là, en gros et en détail car je crois plus aux continuums qu’au binaire, où je voulais aller, et j’y reviendrai dans mes conclusions provisoires ultérieures. Sur cet axe vous pouvez enfiler ce que vous voudrez. Vous verrez que ça marche très bien, avec à un bout Les Chroniques Martiennes ou La Route et, à l’autre, provisoirement et pour faire vite, Benford ou Greg Egan ou Les virus ne parlent pas, et évidemment le sublime Alfred Elton Van Vogt.
Hors tout jugement sur l'inhumain lui-même comme opérateur, ceci pourrait trouver un écho dans le flirt du Nouveau Roman avec la SF, pendant les années 50, dont Gérard pourra rendre compte mieux que moi.
Dans le programme esthétique du NR, il y avait le rejet de la métaphore au motif – justement – qu'elle nous barre la route du réel. Que lorsqu'on écrit "la colline avait la rondeur d'un sein", on s'approprie abusivement le phénomène colline en le dissimulant sous une image anthropomorphique – GK dirait dans son lexique : qu'on se maintient dans l'humanière. Pour lutter contre cet automatisme, le NR proposait de revenir à une description aussi objective que possible. "Tout ce qu'on peut écrire de cett colline, c'est que son altitude est de x mètres de haut et la composition de ses sols de tel type". (Je résume et simplifie.) Ce n'est peut-être pas un hasard dans la mesure où Robbe-Grillet avait une formation d'ingénieur agronome. Comme Houellebecq d'ailleurs.
L'axe sur lequel Gérard propose d'enfiler les œuvres – "de l'humain à l'inhumain" – pourraît apparaître aussi comme un axe des régimes littéraires : du métaphorique au réifié. Au plus près du mainstream (où l'inhumain n'existe que sous forme métaphorique), on trouve effectivement un livre comme les Chroniques martiennes ; il me semble avoir fait ici une analyse du rôle légitimant de sa métaphore centrale : les martiens ne sont que le reflet des hommes dans une flaque d'eau. Sur Mars, certes, mais on n'a pas quitté le nid. Mais plus la métaphore est prise au sérieux, moins elle est métaphorique. Plus elle désigne une réalité que l'auteur traite comme telle. Plus on s'éloigne donc des critères de légitimité du mainstream.
C'est une façon de coordonner cahier des charges thématique et régime esthétique.

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Lensman
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Message par Lensman » jeu. janv. 28, 2010 2:28 pm

Lem a écrit : Au plus près du mainstream (où l'inhumain n'existe que sous forme métaphorique), on trouve effectivement un livre comme les Chroniques martiennes ; il me semble avoir fait ici une analyse du rôle légitimant de sa métaphore centrale : les martiens ne sont que le reflet des hommes dans une flaque d'eau. Sur Mars, certes, mais on n'a pas quitté le nid. Mais plus la métaphore est prise au sérieux, moins elle est métaphorique. Plus elle désigne une réalité que l'auteur traite comme telle. Plus on s'éloigne donc des critères de légitimité du mainstream.
C'est une façon de coordonner cahier des charges thématique et régime esthétique.
Pascal, il y a un truc qui m'intrigue dans ton emploi de la notion de métaphore. Est-ce que tu ne le comprends que dans le cadre littéraire? Par exemple, est-ce que tu dirais que les frères Wright "réifient une métaphore" lorsque ils fabriquent un aéroplane? (ce serait la métaphore réifiée du mythe d'Icare, si l'on veut). J'aurais tendance, pour ma part, à parler d'une invention, plutôt que d'une métaphore. J'aurais donc tendance à faire la même chose en littérature, et à dire que l'écrivain de SF, lorsqu'il met en scène un extraterrestre, l'a inventé (de manière littéraire, on se comprend).
Pour prendre un exemple, Wells invente ses Marsiens. (Ce qui n'empêche pas, par ailleurs, de dire que ses Marsiens peuvent être considérés comme une métaphore des colons occidentaux en Tasmanie).
En fin de compte, inventer, ce serait réifier une idée (en vrai — l'aéroplane -, en fiction — le Marsien).
J'ai parfois l'impression que tu donnes une sorte de contenu en soi à cette notion de "réification de métaphore" qui fait que l'on en perd de vue l'idée qui va être réifiée. Par exemple, ici, l'exemple de l'invention d'un extraterrestre. Avant de la réifier (l'habiller d'une apparence d'une "réalité", dans le cas d'une fiction), il faut avoir mis l'idée au point.
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Lensman
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Message par Lensman » jeu. janv. 28, 2010 2:58 pm

Au passage, les amis, il peut y avoir des choses intéressantes à aller écouter là, non sans rapport avec l'articulation imaginaire/science:

http://www.actusf.com/forum/viewtopic.p ... 032#104032

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Message par Giangi » jeu. janv. 28, 2010 3:06 pm

Lensman a écrit :(
Lem a écrit : sa métaphore centrale : les martiens ne sont que le reflet des hommes dans une flaque d'eau
Pascal, il y a un truc qui m'intrigue dans ton emploi de la notion de métaphore. Est-ce que tu ne le comprends que dans le cadre littéraire? Par exemple, est-ce que tu dirais que les frères Wright "réifient une métaphore" lorsque ils fabriquent un aéroplane? (ce serait la métaphore réifiée du mythe d'Icare, si l'on veut). J'aurais tendance, pour ma part, à parler d'une invention, plutôt que d'une métaphore. J'aurais donc tendance à faire la même chose en littérature, et à dire que l'écrivain de SF, lorsqu'il met en scène un extraterrestre, l'a inventé (de manière littéraire, on se comprend).
Pour prendre un exemple, Wells invente ses Marsiens. (Ce qui n'empêche pas, par ailleurs, de dire que ses Marsiens peuvent être considérés comme une métaphore des colons occidentaux en Tasmanie).
En fin de compte, inventer, ce serait réifier une idée (en vrai — l'aéroplane -, en fiction — le Marsien).
J'ai parfois l'impression que tu donnes une sorte de contenu en soi à cette notion de "réification de métaphore" qui fait que l'on en perd de vue l'idée qui va être réifiée. Par exemple, ici, l'exemple de l'invention d'un extraterrestre. Avant de la réifier (l'habiller d'une apparence d'une "réalité", dans le cas d'une fiction), il faut avoir mis l'idée au point.
Oncle Joe
Oui, on a pas mal tendance ces temps-ci à employer le terme métaphore à tort et à travers, à la place des termes "illustration", "analogie", "image", "allégorie", "symbole", "représentation", rapprochement", "parallèle", "similitude" etc.
Une métaphore, c'est une figure par laquelle un mot qui a habituellement un sens A est utilisé avec un sens B. Pas plus. (Mais pas moins !).
Alors, quand Evangelisti parle de "La Science-fiction, métaphore du présent" c'est aussi absurde que quand je ne sais plus qui écrivait : "La gare, métaphore du voyage".
Lem a écrit jadis : "considérer les écrivains de SF comme des historiens du futur (quoi que cette métaphore, déjà ancienne, ait la vie étonnamment dure).", où il n'y a pas la moindre métaphore (et bien que je sois assez d'accord avec ce rapprochement !).
Gérard Klein lui-même écrivait : "Le thème du grand ordinateur est aussi une métaphore de l’Administration planificatrice ultime".
Alors je partage la perplexité de l'Oncle...
Giangi

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Message par Gérard Klein » jeu. janv. 28, 2010 4:19 pm

Giangi a écrit :
Lensman a écrit :(
Lem a écrit : sa métaphore centrale : les martiens ne sont que le reflet des hommes dans une flaque d'eau
Pascal, il y a un truc qui m'intrigue dans ton emploi de la notion de métaphore. Est-ce que tu ne le comprends que dans le cadre littéraire? Par exemple, est-ce que tu dirais que les frères Wright "réifient une métaphore" lorsque ils fabriquent un aéroplane? (ce serait la métaphore réifiée du mythe d'Icare, si l'on veut). J'aurais tendance, pour ma part, à parler d'une invention, plutôt que d'une métaphore. J'aurais donc tendance à faire la même chose en littérature, et à dire que l'écrivain de SF, lorsqu'il met en scène un extraterrestre, l'a inventé (de manière littéraire, on se comprend).
Pour prendre un exemple, Wells invente ses Marsiens. (Ce qui n'empêche pas, par ailleurs, de dire que ses Marsiens peuvent être considérés comme une métaphore des colons occidentaux en Tasmanie).
En fin de compte, inventer, ce serait réifier une idée (en vrai — l'aéroplane -, en fiction — le Marsien).
J'ai parfois l'impression que tu donnes une sorte de contenu en soi à cette notion de "réification de métaphore" qui fait que l'on en perd de vue l'idée qui va être réifiée. Par exemple, ici, l'exemple de l'invention d'un extraterrestre. Avant de la réifier (l'habiller d'une apparence d'une "réalité", dans le cas d'une fiction), il faut avoir mis l'idée au point.
Oncle Joe
Oui, on a pas mal tendance ces temps-ci à employer le terme métaphore à tort et à travers, à la place des termes "illustration", "analogie", "image", "allégorie", "symbole", "représentation", rapprochement", "parallèle", "similitude" etc.
Une métaphore, c'est une figure par laquelle un mot qui a habituellement un sens A est utilisé avec un sens B. Pas plus. (Mais pas moins !).
Alors, quand Evangelisti parle de "La Science-fiction, métaphore du présent" c'est aussi absurde que quand je ne sais plus qui écrivait : "La gare, métaphore du voyage".
Lem a écrit jadis : "considérer les écrivains de SF comme des historiens du futur (quoi que cette métaphore, déjà ancienne, ait la vie étonnamment dure).", où il n'y a pas la moindre métaphore (et bien que je sois assez d'accord avec ce rapprochement !).
Gérard Klein lui-même écrivait : "Le thème du grand ordinateur est aussi une métaphore de l’Administration planificatrice ultime".
Alors je partage la perplexité de l'Oncle...
J'ai horreur de citer des dictionnaires mais ce n'est pas du tout ce qu'en disent la douzaine que j'ai sous la main, dont de rhétorique. L'idée centrale, c'est celle du glissement de sens, de la représentation. Dans ma propre métaphore, L'Administration planificatrice ultime est bien représentée par substitution par Le Grand Ordinateur dans une foultitude de textes de science-fiction. On pourrait de même dire que la gare est plutôt une métonymie du voyage mais je ne vois pas ce que ça ajoute, sauf à précipiter des tas de malheureux sur leurs dictionnaires.
J'ai l'impression qu'à jouer sur les mots et souvent à jouer les imbéciles, vous évitez soigneusement ce dont il est question et dont on essaie de parler et de comprendre les raisons. Ce qui me semble autrement intéressant.
Mon immortalité est provisoire.

Lem

Message par Lem » jeu. janv. 28, 2010 5:08 pm

L'ordinaire en pareil cas :
Wikipédia (à prendre avec les précautions d'usage mais ça semble correct et ça m'évite de dactylographier une page de dictionnaire) a écrit :La métaphore, du grec metaphorá (au sens propre, transport), est une figure de style fondée sur l'analogie et/ou la substitution. C'est un type particulier d'image sans outil de comparaison qui associe un terme à un autre appartenant à un champ lexical différent afin de traduire une pensée plus riche et plus complexe que celle qu'exprime un vocabulaire descriptif concret.
Ainsi dans l'expression de Julien Gracq (Un balcon en forêt), « Son rire de pluie fraîche », l'auteur décrit le rire de la jeune fille rencontrée dans les bois un jour pluvieux en l'associant à une pluie aux connotations particulières (bruit, pureté, nature) faisant du personnage féminin une nymphe qui séduit le jeune lieutenant cantonné dans la forêt des Ardennes. La métaphore constitue ainsi une utilisation suggestive et expressive de la langue.
De façon plus générale, la métaphore recouvre par sa forme raccourcie tous les usages de l'image en se différenciant de la comparaison (entendue au sens stylistique) par l'absence d'outil de rapprochement (« comme, ressembler à, pareil à... ») qui rend plus forte l'association des deux termes et souligne une équivalence dans la métaphore annoncée avec comparé et comparant, (par exemple : « Bergère, ô tour Eiffel », Apollinaire, Zone), ou emploi du verbe être, (« La nature est un temple », Baudelaire, Correspondances), qui peut aller jusqu'à la substitution dans la métaphore directe avec le comparant seul qui rend l'explicitation plus difficile et fait appel au contexte (« Ceux qui sont chauves à l'intérieur de la tête », Prévert Dîner de têtes - « J'ai vu l'enfer des femmes là-bas », Rimbaud Une saison en enfer).
La métaphore se retrouve donc naturellement dans la littérature et particulièrement dans l'expression poétique, mais elle est d'un usage quotidien dans l'emploi d'épithètes (« un cadeau royal » – « une ruse de Sioux »...), de personnification (« Nadal, roi de Roland-Garros ! »), d'invention verbale (« les poulets » = gendarmes) ou de formes lexicalisées (« les bras d'un fauteuil »)... Elle est également utilisée par les spécialistes qui veulent à la fois conceptualiser un phénomène et le vulgariser (le Big Bang, la double spirale de l'ADN, le serpent monétaire, l'empire ottoman, homme malade de l'Europe au XIXe siècle...).
Dans les exemples donnés ci-dessus, je discerne quelques possibilités d'histoires si les métaphores sont réifiées :
– fiction spéculative : une jeune femme dont le rire se manifeste sous la forme d'une petite pluie venue d'on ne sait où (Lafferty y ajouterait quelques poissons tombés du ciel) ;
– anticipation sociale : un monde entièrement urbanisé dont les rares terrains encore naturels font l'objet d'une adoration de type religieux (on n'entre dans un bosquet qu'après s'être déchaussé, pour prier, sous la surveillance d'écoprêtres)
– horreur scientifique : des têtes de vieillards maintenues en vie par une machine organisent un dîner.
– fantasy : les femmes ont un enfer particulier quand Dieu n'est pas présent.
– fantasy dragonmarxienne : le serpent monétaire.

Je ne sais trop quoi répondre à la question d'Oncle sur l'invention et la réification. Tout ce que je peux dire, c'est que le lexique de l'inhumain, du métaphyique, de l'inconnu, du spéculatif – bref : de ce qu'on essaie de décrire – est essentiellement utilisé aujourd'hui comme métaphore dans le langage courant. Par exemple, pour exprimer avec un peu de vigueur qu'un type se comporte de manière étrange ou qu'il possède des capacités hors du commun, on dit qu'il est "un extraterrestre". Pour imager le fait que plus on observe le ciel lointain, plus on regarde des objets anciens, on dit que "le télescope est une machine à remonter le temps", etc. Par automatisme de journaliste, on écrit "Haiti, c'est l'Enfer" avec en sous-titre "les survivants de la fin du monde".

(Et pour Giangi : les écrivains de SF, "historiens du futur" est bien une métaphore).

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