Bon, je manque du vocabulaire adéquat, des concepts qui vont bien avec, etc. Du coup, je vais avoir du mal à développer outre-mesure. Je rappelle en outre que je n'ai pas lu La Horde, et que je compte le lire ; pas de cassage en règle de Damasio, donc, dont je ne verrais pas l'intérêt. Ceci dit, cette explication me paraissait un peu capillotractée... Ma référence à Huysmans, c'est simplement qu'il me semble qu'on est ici davant un auteur dont le style (pour cet extrait du moins) est assez emphatique, "tape à l'oeil" diraient les mauvaises langues, riche en mots rares ou à l'emploi saugrenu, ce qui me paraît bien correspondre à Huysmans, un vrai maître en la matière (la recherche de la musicalité est également perceptible). Sauf que ça me semble ici moins convaincant.systar a écrit :Tiré par les cheveux, pas besoin d'aller jusque-là: peut-être, je ne dis pas que j'ai raison sur tout, mais en retour il faut me donner un exemple d'analyse probante qui, elle, ne serait pas tirée par les cheveux... Ton exemple sur Huysmans serait intéressant, à titre de comparaison, par exemple...Nébal a écrit :Ca me paraît franchement tiré par les cheveux. Pas besoin d'aller jusque là, non ? Même si le mot n'existe pas, il est directement évocateur, et son incongruité (bouh le vilain mot) contribue à renforcer l'effet (a fortiori, certes, s'il participe harmonieusement de la musicalité de la phrase). C'est une pratique après tout courante en poésie (mais j'avoue que je n'y connais pas grand chosesystar a écrit :Ensuite déploiement global de la description, avec retour à la maman : noter la façon dont Damasio a souvent tendance, dans ce pragraphe, mais la chose est vraie pour le roman, à aller chercher des impropriétés de la langue pour les rendre presque naturelles à l’oreille : « m’avaient paysagé ce cadeau germinal », par exemple, ça fonctionne, alors que ça ne veut rien dire, si l’on est terre-à-terre, ça fonctionne parce que le g, le i, le a se recombinent, se disséminent de paysage à germinal, qu’il en ressort un effet jubilatoire très fort, et que la langue elle-même nous permet d’entendre une efflorescence, une germination.), ainsi que chez les adeptes du "mot rare" (là, je pense à Huysmans, par exemple, pour évoquer un grand styliste à l'écriture parfois franchement boursouflée, mais qui produit généralement un effet phénoménal - en tout cas, sur moi, ça marche...
).
Peut-être que quelques extraits de Huysmans (mais j'imagine que tu l'as pratiqué

Une petite réflexion sur le style, puisque c'est le sujet, extrait de La Cathédrale :
Ici, c'est notamment "globulé" qui m'intéresse, et dont l'emploi me semble comparable au "paysager" que tu avais relevé. Après l'accumulation outrancière de la première partie, il retourne au vocabulaire "médical" employé de façon surprenante pour interpeller le lecteur et renforcer l'effet de la phrase. Dans l'abstrait, ce mot rare / saugrenu, ce qu'on voudra, est totalement incompréhensible. Ici, il est limpide.J.-K. Huysmans a écrit :Oui, imitant la pharmacopée homéopathique qui se sert encore de substances infâmes, de jus de cloporte, de venin de serpent, de suc de hanneton, de sécrétion de putois et de pus de variole, le tout enrobé dans du sucre de lait pour en celer la saveur et l'aspect, le monde des lettres triture, lui aussi, dans le but de les faire absorber sans hauts de coeur, les plus dégoûtantes des matières ; c'est une incessante manipulation de jalousies de quartier et de potins de loges, le tout, globulé dans une perfidie de bon ton, pour en masquer et l'odeur et le goût.
Un autre exemple, plus vaste, dans une description outrancière et délibérément surchargée, à la musicalité très recherchée, et saturée de ces mots rares ou à l'emploi inattendu qui réveillent l'attention du lecteur pour constituer en définitive un spectacle fascinant, en jouant en permanence sur la rupture entre abjection et grandeur, jusqu'à la synthèse complète ; c'est la célèbre description du Christ de Grünewald, dans le premier chapitre de Là-bas (ça devrait te plaire, ça !

Mais on le rencontre aussi dans des passages plus sobres, qui jouent des mêmes procédés (vocabulaire saugrenu, rupture de tons, musicalité) ; après le Christ, M. Folantin qui mange du fromage (première page d'A vau-l'eau) :
Je trouve ça magnifique... et je serais bien incapable d'expliquer pourquoi (outre la musicalité remarquable du dernier fragment).J.-K. Huysmans a écrit :Le garçon mit sa main gauche sur la hanche, appuya sa main droite sur le dos d'une chaise et il se balança sur un seul pied, en pinçant les lèvres.
"Dame, ça dépend des goûts, dit-il ; moi, à la place de Monsieur, je demanderais du Roquefort.
- Eh bien, donnez-moi un Roquefort."
Et M. Jean Folantin, assis devant une table encombrée d'assiettes dont le cul estampillait d'un cachet bleu la nappe, fit la moue, ne doutant pas qu'il allait manger un désolant fromage ; son attente ne fut nullement déçue ; le garçon apporta une sorte de dentelle blanche marbrée d'indigo, évidemment découpée dans un pain de savon de Marseille.
M. Folantin chipota ce fromage, plia sa serviette, se leva, et son dos fut salué par le garçon qui ferma la porte.
Une fois dehors, M. Folantin ouvrit son parapluie et pressa le pas. Aux lames aiguës du froid vous rasant les oreilles et le nez, avaient succédé les fines lanières d'une pluie battante. L'hiver glacial et dur qui sévissait depuis trois jours se détendait et les neiges amollies coulaient, en clapotant, sous un ciel gonflé, comme noyé d'eau.
Du coup je crains d'être totalement hors-sujet... M'enfin, puisqu'on parlait de style, dans tous les cas, en voilà du gros qui tâche. Maintenant, la simplicité, le minimalisme, l'épure, comme on voudra, c'est aussi du style ; c'est moins voyant, mais souvent plus intéressant. Allez, un petit dernier pour la route, qui résume un peu et nous ramène indirectement à la SF (premières pages de Là-bas) :
Etc. C'est sûr qu'on n'est pas obligé d'y adhérer (loin de là...), mais en tout cas, en voilà de la discussion sur le style qui déboite !J.-K. Huysmans a écrit :- Je ne reproche au naturalisme ni ses termes de pontons, ni son vocabulaire de latrines et d'hospices, car ce serait injuste et ce serait absurde ; d'abord, certains sujets les hèlent, puis avec des gravats d'expressions et du brai de mots, l'on peut exhausser d'énormes et de puissantes oeuvres, l'Assommoir, de Zola, le prouve ; non, la question est autre ; ce que je reproche au naturalisme, ce n'est pas le lourd badigeon de son gros style, c'est l'immondice de ses idées ; ce que je lui reproche, c'est d'avoir incarné le matérialisme dans la littérature, d'avoir glorifié la démocratie de l'art !
Oui, tu diras ce que tu voudras, mon bon, mais, tout de même, quelle théorie de cerveau mal famé, quel miteux et étroit système ! Vouloir se confiner dans les buanderies de la chair, rejeter le suprasensible, dénier le rêve, ne pas même comprendre que la curiosité de l'art commence là où les sens cessent de servir !
Tu lèves les épaules, mais voyons, qu'a-t-il donc vu, ton naturalisme, dans tous ces décourageants systèmes qui nous entourent ? Rien. - Quand il s'est agi d'expliquer une passion quelconque, quand il a fallu sonder une plaie, déterger même le plus bénin des bobos de l'âme, il a tout mis sur le compte des appétits et des instincts. Rut et coup de folie, ce sont là ses seules diathèses. En somme, il n'a fouillé que des dessous de nombril et banalement divagué dès qu'il s'approchait des aines ; c'est un herniaire de sentiments, un bandagiste d'âme et voilà tout !
Puis, vois-tu, Durtal, il n'est pas qu'inexpert et obtus, il est fétide, car il a prôné cette vie moderne atroce, vanté l'américanisme nouveau des moeurs, abouti à l'éloge de la force brutale, à l'apothéose du coffre-fort. Par un prodige d'humilité, il a révéré le goût nauséeux des foules, et, par cela même, il a répudié le style, rejeté toute pensée altière, tout élan vers le surnaturel et l'au-delà. Il a si bien représenté les idées bourgeoises qu'il semble, ma parole, issu de l'accouplement de Lisa, la charcutière du Ventre de Paris, et de Homais !
- Mâtin, tu y vas, toi, répondit Durtal, d'un ton piqué. Il ralluma sa cigarette, puis : le matérialisme me répugne tout autant qu'à toi, mais ce n'est pas une raison pour nier les inoubliables services que les naturalistes ont rendu à l'art ; car enfin, ce sont eux qui nous ont débarassé des inhumains fantoches du romantisme et qui ont extrait la littérature d'un idéalisme de ganache et d'une inanition de vieille fille exaltée par le célibat ! - En somme après Balzac, ils ont créé des êtres visibles et palpables et ils les ont mis en accord avec leurs alentours ; ils ont aidé au développement de la langue commencé par les romantiques ; ils ont connu le véritable rire et ont eu parfois même le don des larmes, enfin, ils n'ont pas toujours été soulevés par ce fanatisme de bassesse dont tu parles !
- Si, car ils aiment leur siècle et cela les juge !
- Mais que diable ! ni Flaubert ni les de Goncourt ne l'aimaient, leur siècle !
- Je te l'accorde ; ils sont, ceux-là, de probes, et de séditieux et de hautains artistes, aussi je les place tout à fait à part. J'avoue même, et sans me faire prier, que Zola est un grand paysagiste et un prodigieux manieur de masses et truchement de peuple. Puis il n'a, Dieu merci, pas suivi jusqu'au bout dans ses romans les théories de ses articles qui adulent l'intrusion du positivisme en l'art. Mais chez son meilleur élève, chez Rosny, le seul romancier de talent qui se soit en somme imprégné des idées du maître, c'est devenu, dans un jargon de chimie malade, un laborieux étalage d'érudition laïque, de la science de contremaître !


