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Interview Loïc Le Borgne pour Hysteresis
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Interview Loïc Le Borgne pour Hysteresis

Actusf : Comment est née l’idée de ce livre ? 
Loïc Le Borgne : Il y a six ans, alors que j’étais encore journaliste, j’ai suivi une visite en pleine nature proposée par une association de protection de l’environnement de ma région. Les bénévoles ont évoqué les légendes liées aux arbres, et les raisons pour lesquelles elles existaient, souvent depuis des siècles. Ces fables sont souvent liées à l’usage de ces arbres, que nous avons pour la plupart oublié aujourd’hui, ou aux menaces qu’ils peuvent représenter. Les aulnes par exemple sont entourés de légendes inquiétantes. Comme par hasard, ils poussent souvent près d’eaux stagnantes, dangereuses pour les enfants. Je suis né non loin de la forêt de Brocéliande, en Bretagne, et ces sujets me passionnent depuis longtemps. Ce reportage a, je crois, été l’élément déclencheur. On retrouve certains de ces arbres dans Hystérésis. Fau existe pour de bon, même s’il ne porte pas ce nom… 
 
 
Actusf : Qu’aviez-vous envie de faire avec ce village assez isolé et qui a ses propres lois ? 
Loïc Le Borgne : J’habite dans une petite ville, en pleine campagne. Quand je me promène dans la rue, je croise toujours quelqu’un que je connais. Je voulais resserrer encore cette sensation de proximité, jusqu’à la rendre étouffante. À Rouperroux, tout le monde se connaît, mais chacun cache des secrets. L’arrivée de Jason, qui suit celle d’un enquêteur officiel, va mettre le feu aux poudres.
 
 
Actusf : Comment voyez-vous Jason votre personnage principal ? 
Loïc Le Borgne : Jason est un ours, Romain le comprend dès le début. Il a tout vu, tout connu. Il a tué pour survivre mais il a vieilli. Il porte en lui des douleurs passées, des remords, mais il n’a jamais oublié la grande promesse de sa jeunesse, celle de retrouver la jeune fille qu’il aimait. J’aime le mélange de violence et de romantisme qui bouillonne en lui. C’est une sorte de vieux chevalier, fidèle à un antique serment.
 
 
Actusf : Le roman est truffé de citations de poètes (entre autres) mais aussi d’extraits de chansons notamment de chanteur comme Hendrix mais aussi de vous même. C’est un plaisir de composer ces textes ? C’est quelque chose que vous faites régulièrement ou les avez-vous composés vous-même ?
Loïc Le Borgne : Dans Hystérésis, il y a des citations évidentes de chanteurs mais aussi d’autres plus discrètes, insérées dans les répliques de Jason, qui cite par exemple Bob Dylan, Jim Morrison, Jacques Brel, sans même s’en rendre compte parfois. Je voulais que cela ait l’air naturel. Par ailleurs, j’aime écrire des poésies, des chansons de temps en temps. C’est une forme d’écriture jubilatoire, que je désirais depuis longtemps intégrer dans un roman parce qu’elle ouvre de nouveaux horizons. Avec des vers, on peut faire passer des sensations que chacun peut interpréter à sa manière. J’ai le sentiment d’établir un nouveau type de relation avec le lecteur. En réalité, j’ai commencé, enfant, par écrire des poésies. Étudiant, j’ai écrit des textes pour un chanteur de ma région. J’étais fasciné de les voir se transformer en chansons, en studio. Je rêverais de recommencer cette expérience ! Peut-être qu’un chanteur ou un groupe sera intéressé un jour par les chansons de Jason Marieke ?
 
 
Actusf : On y lit une critique des extrêmes, entre la technologie qui a fini par provoquer ce que vous appelez “La Panique” et le retour à la terre qui se transforme en dictature des croyances. Aviez-vous envie d’un message ? De donner une autre dimension à votre roman en plus de son histoire ? 
Loïc Le Borgne : Je ne pense jamais à un message. Il arrive de lui-même à travers les personnages. En me glissant dans la peau et la tête de nos descendants, traumatisés par l’effondrement de notre société quarante ans plus tôt, j’arrive peut-être à un message, mais c’est le leur. J’ai beaucoup d’empathie pour mes personnages. Leur colère et leur souffrance imprègnent donc l’ensemble du récit. J’ai tendance à dire ce qui se passe sans réfléchir aux conséquences de ces écrits. À chacun d’en déduire ce qu’il souhaite. C’est peut-être parce que j’ai été journaliste durant plus de quinze ans. On sait ce qu’on risque avec le réchauffement climatique, je voulais me projeter dans la tête de ceux qui suivront de manière quasi journalistique, clinique. Je dis les choses, tant pis si ça fait mal… y compris à l’auteur.
 
 
Actusf : Votre narrateur est un enfant qui se trouve souvent aux côtés de Jason. Pourquoi ce choix plutôt qu’une narration directe avec le point de vue du personnage principal) et était-ce difficile en tant qu’écrivain (ou au contraire, les zones d’ombres quand Romain n’est pas près de l’action sont-elles pratiques ? 
Loïc Le Borgne : Romain était enfant à l’époque des faits, mais quelques années ont passé depuis. Je voulais un duo classique vieil homme / jeune novice, qu’on trouve par exemple dans Le Nom de la rose. Romain dispose d’informations, et son innocence intéresse Jason, qui pense pouvoir compter sur lui, alors qu’il doute de tous les autres. Je voulais aussi que Romain s’adresse d’emblée aux lecteurs, directement, sans intermédiaire, dès les premières lignes. Ce roman est en réalité une lettre. L’un de nos ancêtres nous écrit, il a trouvé un truc pour nous poster un message. Peu à peu, on comprend que c’est même une supplique. Grâce au ton frontal mais mesuré de Romain, on réalise que la souffrance de nos descendants est telle qu’elle a rendu un certain nombre de gens cinglés. Romain me permet de ne pas être un donneur de leçon. Il livre ce qu’il voit de manière brute. Est-ce que cela a été difficile ? Pas avec Romain. Mais parfois, j’ai dû changer de narrateur, via les journaux de Gabrielle ou Aymeric. Il a fallu trouver un autre ton : ampoulé mais sincère pour Aymeric, mélange de parler rural et de références à la littérature pré-vingtième siècle pour Gabrielle. 
 
 
Actusf : Y a-t-il un plaisir en tant qu’écrivain à imaginer un retour à la petite communauté qui s’est organisée pour survivre ? 
Loïc Le Borgne : Pas seulement en tant qu’écrivain. Je ne suis pas à l’aise dans les mégapoles, j’ai l’impression d’être un indien quand je m’y promène. Je vis et je vais en vacances dans des endroits perdus (mais pas isolés, je n’ai rien d’un ermite) où les relations humaines sont à la fois simples et primordiales. Je fais ou j’ai fait pas mal de randonnées en pleine nature, j’aime les relations qui en découlent, entre humains ou entre humains et nature. J’aime cette sensation d’effleurer l’essentiel. L’homme n’est pas fait pour les grandes villes, j’en suis convaincu. Ou alors dans des quartiers où on retrouve un esprit de village. Les gens des villes ont souvent la nostalgie des champs…
 
 
Actusf : La thématique évoque de nombreux romans et romanciers, de Barjavel à Leibowitz. Certains vous ont-ils influencé ? 
Loïc Le Borgne : J’ai énormément lu Barjavel durant mon adolescence, ainsi que Stephen King (je pense au Fléau par exemple). Pas Leibowitz, il faut que je découvre ! J’ai lu tout Hemingway aussi, et Jason peut rappeler certains de ses personnages, voire l’auteur lui-même : il est bourru, boit parfois trop,  cache sa fragilité, ne parle pas beaucoup, agit. Mais notre génération a également été très marquée par la télé, le cinéma. Mad Max, Terminator, le cow-boy mystérieux et impitoyable joué par Clint Eastwood, John Wayne… Enfin, les chansons de Dylan ou Brel sont très présentes dans Hystérésis. Je pense par exemple aux paroles de « A hard rain’s gonna fall », « Like a rolling stone », « Ballad of a thin man » pour le premier, à « La ville s’endormait », « Ces gens-là »,  « L’homme dans la cité » pour le second. Ce sont des chansons sombres, épiques, pleines de nuit, de feu, de sang. L’atmosphère à la fin d’Hystérésis en découle. 
 
 
Actusf : Un petit mot du passage entre littérature jeunesse / littérature adulte. Qu’est-ce qui vous a donné envie de changer de “catégorie” ? Et avez-vous travaillé différemment ? 
Loïc Le Borgne : Je n’ai pas l’impression d’avoir changé de catégorie car j’ai toujours pensé que ces frontières, ces catégories étaient plus ou moins artificielles. D’abord parce que, à treize ou quatorze ans, je lisais essentiellement de la littérature pour adultes. Ensuite parce que j’ai longtemps écrit comme un journaliste, sans tenir compte de l’âge des lecteurs. Enfin grâce aux éditeurs eux-mêmes : j’ai écrit Je suis ta nuit pour des adultes, puis l’éditeur m’a demandé de l’adapter pour des young adults (une nouvelle espèce ?), c'est-à-dire de le raccourcir. Puis Le Livre de poche a édité la version young adults… en littérature adulte. En clair, pour moi, ces frontières ressemblent à des arguments marketing, ce que, au fond, je peux comprendre. Disons qu’écrire pour un  éditeur adulte m’a permis de proposer un récit mêlant des formes d’écriture très différentes, ce qui aurait peut-être été plus compliqué en jeunesse… Les différences entre littérature jeunesse et adulte ? En adulte, on peut faire plus long, on peut laisser planer un peu d’ambiguïté, et il vaut mieux avoir un héros dont l’âge correspond à celui du lecteur. Pour moi, ça se résume à ça. Pensez au Petit Prince et dites-moi de quelle littérature il s’agit ?
 
 
Actusf : Quels sont vos projets ? Sur quoi travaillez-vous ?
Loïc Le Borgne : J’ai terminé un roman de science-fiction pour adolescents (les héros ont 12-13 ans), sur le thème de l’évolution humaine, qui devrait paraître en 2015. Je vais maintenant m’attaquer à un roman pour enfants, toujours dans le domaine de la science-fiction. J’aime me projeter dans le futur… pour prendre un peu de recul (heu… ou d’avance !) et mieux scruter le présent.

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