ActuSF : Bonjour Cédric, peux-tu tout d'abord nous dresser un petit portrait de toi-même et des multiples cordes que tu as à ton arc ?

ActuSF : Avant toute chose peux-tu nous expliquer le mot Sovok ?
CF : C’est un adjectif argotique qui désigne les individus et les idées qui sont profondément imprégnés de nostalgie pour l’ex-URSS. C’est un mélange de plusieurs sentiments russes, entre la mélancolie charmante à la Good Bye Lenin ! Et le manque complet de recul historique de ces gens qui visitent le Grūtas Park en Lituanie afin de retrouver l’authenticité des goulags staliniens d’antan. C’est donc la variation russe du C’était mieux avant.
ActuSF : Sovok, avant d'être un roman a été un jeu de rôle numérique, acceptes-tu de revenir sur cette expérience, et de nous parler de l'univers que tu as conçu. Quand et pourquoi as-tu eu envie de retranscrire cet univers à travers un roman ?
CF : Souvent, en jeu de rôles, nous incarnons des héros qui castagnent des monstres ou zigouillent d’indicibles sectateurs désireux d’invoquer des choses non euclidiennes sur Terre. Avec Sovok, je voulais renverser ce paradigme en proposant de jouer des personnages devant sauver leur prochain. Mais je ne voulais pas que ça vire à la pantalonnade gnangnan façon Les Routes du Paradis, j’avais envie que les personnages soient confrontés à des dilemmes, qu’ils soient aux premières loges des petites misères. Or dans le jeu de rôles intitulé Cyberpunk, qui était une pierre angulaire de notre loisir dans les années 90, il existait cette idée que dans le futur, il y aurait des ambulances volantes, avec à leur bord un équipage mixant urgentistes et soldats. On les appelait la Trauma Team : quand nos personnages était dans la merde, on les contactait, ils arrivaient sur place, tiraient sur tout qui bougeait dans la ruelle sordide où nous nous étions fourrés, puis nous soignaient. C’était une sorte d’Agence tous risques mais qui se faisait payer très cher et qui tirait vraiment sur nos adversaires au lieu de sauter sur un trampoline pour simuler le souffle de l’explosion d’une grenade. J’ai gardé cette image, mais je l’ai collé à une réalité sociale bien différente en la plaçant dans une version de Moscou où la rouille l’a emporté sur le chrome.
Le jeu de rôles Sovok a été le premier jeu vendu uniquement en PDF en France. Et l’éditeur a fermé ses portes peu après la sortie du jeu, si bien qu’entre le mode de diffusion en avance sur son temps et la courte période de vente, j’ai toujours eu le sentiment que cet univers n’avait pas eu sa chance. J’ai plusieurs fois essayé de produire une nouvelle édition de ce jeu, mais ça n’a jamais fonctionné. J’ai donc abandonné Sovok pendant des années, avant de me dire que ça ferait un cadre de roman intéressant après Wastburg. Par contre, je ne voulais pas écrire une novélisation du jeu de rôles, donc je n’ai pas relu le PDF initial, je me suis contenté de repartir de mes souvenirs pour faire ma petite tambouille d’écrivain. Le roman n’est sans doute pas raccord avec le jeu, mais c’est pas bien grave, cette version romancée a désormais prépondérance sur le reste.
ActuSF : Ton premier roman, Wastburg, traitait d'une ville dans un contexte de Spaghetti-Fantasy (je viens d'inventer le concept pour l'opposer à l'Heroic-Fantasy). Le véritable héros de Sovok, est-ce Moscou ?

J’espère avoir rendu cette version déformée de Moscou tangible, mais ce n’était pas mon but premier avec cette histoire. Je voulais que le lecteur puisse facilement s’incarner dans Méhoudar, même si, a priori, il est si différent de nous.
ActuSF : Pourquoi as-tu décidé de donner à ton roman un cadre uchronique ? Qu'est-ce que celui-ci apporte en plus à ton univers rétro-futuriste ?
CF : J’ai du mal à envisager le rétro-futurisme sans l’uchronie. Si le développement technologique n’est pas le même que dans notre réalité, c’est forcément qu’il y a eu divergence à un moment ou un autre. Or je vois mal un univers muter technologiquement sans que cette variation n’ait d’impacts ou de causes politiques ou sociales. Toutefois il serait vain de chercher le point de divergence précis de cet univers car il n’est même pas fixé dans ma tête. Je n’ai pas cherché à créer un élément dissonant et à imaginer comment se propage cette incongruité : j’ai imaginé une version de Moscou dont le futur est en retard sur le notre, c’est tout. Ça me permettait d’accentuer certains éléments du décor, de prendre beaucoup de liberté avec le réel. Car, bien évidemment, je n’ai jamais mis les pieds au Birobidjan. Mais ça ne doit pas m’empêcher d’en parler à tort et à travers.
ActuSF : Peux-tu nous parler du travail quotidien qu'a représenté ton livre, du premier jet au Bon à tirer chez l'éditeur ?
CF : J’ai écrit la plus grosse partie de Sovok pendant ma pause de midi alors que je travaillais comme recruteur au téléphone pour une banque. Ça transparaît dans le roman à travers la scène de l’entrevue d’embauche de Méhoudar et certains détails sur le centre d’appels de Blijni, d’ailleurs. C’était ma respiration dans la journée, une heure pendant laquelle j’utilisais cette partie de mon cerveau qui doit se taire pendant les heures de bureau. J’étais donc assis dans un cubicule, en train de manger rapidos un sandwich alors que mes voisines conduisaient des entrevues téléphoniques en respectant scrupuleusement leur script d’appel. Romantique, n’est-ce pas ?
ActuSF : Sur quels projets travailles-tu actuellement ?
CF : Je fais des recherches pour mon prochain roman, qui devrait se dérouler à Montréal. J’ai décidé qu’il était temps d’arrêter d’inventer un cité imaginaire pour parler de ma réalité linguistique et culturelle partionnée ou d’évoquer Moscou pour mieux parler de mes hivers québécois. Autant prendre le décor original, non ?
ActuSF : Y a-t-il un moyen de te suivre au quotidien ?
CF : Je fais partie des 17 personnes qui utilisent encore Google Plus, mais j’y parle de jeu de rôles, pas de mon processus créatif. J’ai un blog avec des colocataires où je parle de mes lectures. C’est finalement là où je parle indirectement le plus de mon prochain roman car on y voit les livres qui m’accompagnent pendant la phase d’écriture.
ActuSF : Le mot de la fin t'appartient, fais-toi plaisir !
CF : C’est marrant car je suis un ancien Chambérien. Si je n’avais pas quitté la Savoie pour le Québec, c’est vers ActuSF que je me serais naturellement tourné au moment de chercher à faire publier Wastburg. Ce n’est pas un désaveu des Moutons, hein, d’autant que nous sommes tous unis sous la bannière des Indés de l’Imaginaire. D’ailleurs, mon ami Jean-Laurent Del Socorro (avec qui j’ai écrit et joué des conneries en jeu de rôles il y a une dizaine d’années) sort prochainement un roman de fantasy chez ActuSF, je suis impatient de le lire.

Question à Prince Gigi, l'illustrateur
ActuSF : Votre Altesse, acceptez-vous de nous parler de vous et de vos œuvres ?
Prince Gigi : Mes "oeuvres" c'est un bien grand mot. Je suis un illustrateur qui a bossé plus d'une quinzaine d'année dans le jeu vidéo, mais je travaille maintenant essentiellement pour l'édition jeunesse et adulte, j'ai notamment fait quelques couvertures chez les moutons électriques. Sinon mon travail plus personnel est influencé par la littérature populaire et les romans feuilletons de la fin du 19e et du début 20e siècle.
ActuSF : La couverture de Sovok, est d'une beauté glaçante et saisissante, pourriez-vous nous raconter son histoire, de l'idée, en passant par la conception (et les moyens utilisés) pour aboutir à l'oeuvre finale ?
Prince Gigi : L'idée de départ un univers rétro-futuriste soviétique,"soviet-punk", m'inspirais beaucoup. C'est une idée originale, ce qui est intéressant pour un dessinateur. L'environnement dure glacial devais être également présent. Nous avions évoqué au départ le style graphique de la propagande soviétique, mais cela nous semblait un peu convenu. Je voulais évoquer le constructivisme avec par le décor et l'architecture des bâtiments, mais aussi par la composition de l'image.
Pour l'ambulance volante de classe Jigouli, ça à était aussi un vrai plaisir d'inventer son design. J'ai eu une total liberté.. L'avant du véhicule est inspiré des locomotives russes des années 30 et l'arriérer d'ambulance militaire de la deuxième guerre mondiale. Toute la signalétique et par contre est reprise d'ambulance russe contemporaine.
Pour la technique déjà beaucoup de documentation. Pas mal de croquis illisible pour la composition de l'image et ensuite bas j'ai bossé plusieurs heures sur ma palette graphique.
ActuSF : Sur quels autres projets travaillez-vous actuellement ?
Prince Gigi : Par prudence, je ne préfère pas trop dévoiler des projets en cours...désolé
ActuSF : Y-a-t-il un moyen de vous suivre au quotidien ?
Prince Gigi : Au quotidien peut-être pas, mais mes images sont visibles sur mon blog
ActuSF : Votre Altesse, le mot de la fin vous appartient, faites-vous plaisir !
Prince Gigi : Et bien je vais me faire et vous plaisir en vous proposant d'aller un tour sur le site du musée convergence conisme.
J'espère que ça vous amusera ce n'est pas de la SF, toutefois il a des gros paradoxes temporels dedans.
Questions à Julien Bétan, l'éditeur
ActuSF : Quand et comment Sovok s'est-il pointé chez les Moutons ?
Julien Bétan : Suite à la publication de Wastburg son premier roman, Cédric Ferrand nous avait fait part de son envie d’écrire un roman uchronique se déroulant dans le milieu de la médecine d’urgence, au sein d’une Union soviétique crépusculaire. Un univers rétro-futuriste qu’il avait déjà développé pour un jeu, nous a-t-il expliqué. Nous avons accepté son projet avec enthousiasme et, quelques mois plus tard, le manuscrit de Sovok atterrissait sur notre bureau.
ActuSF : Peux-tu nous raconter l'histoire de ce roman mais de ton point de vue d'éditeur ?
Julien Bétan : Mon rôle est resté ponctuel sur ce titre : Cédric avait, comme pour Wastburg, une vision très claire de ses choix stylistiques et narratifs. Un roman réaliste, noir, qui s’attache, comme dans le précédent, au quotidien des « petites gens » ; une construction qui semble au premier abord linéaire, mais qui se révèle bien plus complexe qu’il n’y paraît. On intègre cette équipe d’urgentistes à travers le regard d’un jeune stagiaire, équipe qui elle-même constitue le point d’entrée dans une société moscovite en pleine déliquescence, au bord de la révolution ; le récit fonctionne ainsi sur plusieurs strates, se resserrant en spirale autour des protagonistes à mesure que les événements se précipitent. La couverture avait déjà été faite depuis longtemps par l’illustrateur lyonnais Prince Gigi, avant même que le roman ne soit fini d’ être rédigé, sur indications de l’auteur. Une fois le texte finalisé avec Cédric Ferrand et relu par nos correcteurs, il ne restait plus qu’à le mettre en page, tâche dont s’est brillamment acquitté Mérédith Debaque, notre nouvel assistant éditorial.
ActuSF : Les Moutons prévoient-ils d'autres romans uchroniques dans un futur proche ?
Julien Bétan : Pas cette année, mais même si nous avons plusieurs essais dans les tuyaux (Trolls ! ou encore le passionnant Sorcières ! de Julie Proust Tanguy), nous comptons publier de plus en plus de fictions, qu’il s’agisse de titres de nos auteurs « historiques » ou de nouveaux arrivants. Nous venons en effet de signer plusieurs contrats avec des auteur(e)s en qui nous croyons beaucoup ! Et parmi les romans en cours de rédaction pour nous, il y a bien une uchronie, une uchronie victorienne cette fois, qui si tout se passe bien devrait sortir chez nous au cours du premier semestre 2016. Enfin, que ses fans se rassurent : Nicolas Le Breton est en train d’écrire la suite des Âmes envolées !
ActuSF : Le mot de la fin t'appartient, fais-toi plaisir !
