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L’instant Critic - Octobre 2014
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L’instant Critic - Octobre 2014

Octobre est déjà bien entamé et voici donc la sélection de ce mois pour le deuxième « instant Critic ».

La lisière de BohèmeCommençons avec le gros coup de cœur du moment, un premier roman, fantastique, paru aux Moutons Electriques, à savoir La lisière de Bohême, du jeune et fringant Jacques Baudou. Si ce nom ne vous dit rien, il vous suffira, grâce à Google, de quelques minutes pour savoir qui il est et tout ce qu’il a déjà pu accomplir dans une autre vie. La lisière de Bohême nous narre l’histoire d’un écrivain (écrire un premier roman avec une histoire d’écrivain ressemble à un acte de naissance, non ?) et d’une de ses lectrices liés par l’image de trois personnages, une femme, un homme et un enfant que tous les deux ont rencontré d’une façon différente. La lectrice les a croisés dans un album de son enfance, qui l’a toujours fascinée mais dont elle a oublié le titre et l’auteur. L’écrivain, lui, prétend bien vite les avoir rencontré et les considère comme des apparitions (Une Dame Blanche, un écolier, et un militaire) qui l’on hanté jusqu’à ce qu’il se doive de les inclure comme personnages de son dernier roman. L’écrivain n’a donc pas lu l’album évoqué par sa lectrice mais le mystère va pouvoir se forger : comment, alors qu’ils ne se connaissent pas, un tel rapprochement est-il seulement possible ? Ainsi, notre écrivain va conduire sa lectrice observer par elle-même, les uns après les autres, ces fameux fantômes… Que dire ? Jacques Baudou livre ici un roman suave, aux allures de conte macabre parfois, à la construction parfaitement maîtrisée. Même si le roman n’est pas épargné par quelques menues erreurs de primo-romancier, on se laisse vite emporter dans cette histoire qui parfois lorgne du côté du romantisme fantastique, mais aussi de la peinture naturaliste, s’attardant sur la description d’environnements à la fois poétiques et précis et donnant l’impression au lecteur d’évoluer au cœur d’une fresque, celles de Jules Bastien-Lepage par exemple. Comme l’analyse si bien Colette Becker dans Lire le réalisme et le naturalisme  (ed. Armand Collin) « les naturalistes ne restent pas à la surface. Ils dévoilent, font tomber les masques pour aller au-delà des apparences », et c’est ce que pratique, avec un brio certain, Jacques Baudou avec La lisière de Bohême. Bien entendu, le roman est sous influences, mais ici, nul besoin de les rechercher, l’auteur nous les livre en exergue de ses chapitres, allant d’André Dhôtel à Megan Lidholm (auteur que Jacques Baudou admire à l’instar de son double Robin Hobb), en passant par Robert Holdstock, et d’ailleurs la couverture de La lisière de Bohême évoque, comme une ombre paternelle, l’imaginaire du romancier anglais. Roman d’atmosphères (le pluriel est ici de mise), roman à énigme (l’auteur a un vécu important de ce côté-là puisqu’il est un des spécialistes français du roman policier), La lisière de Bohême ne vous embarque pas dans une « grande aventure », et les amateurs de sensations fortes seront déçus, le roman vous embarque dans une bulle douce et mystérieuse, qui vous laissera dans un état d’esprit étonnamment calme, malgré une fin pas si attendue que cela.
On finira sur ce roman qui fait crépiter le feu de notre imaginaire en ajoutant que l’éditeur a publié là un très bel objet, avec jaquette, élégant hardcover capable de raviver la flamme du bibliophile le plus blasé. Bref, comme je le dirai tous les mois pour mon gros coup de cœur : on court chez son libraire !

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Celle qui a tous les dons, de M.R CareyInterlude avec mon collègue Simon. D’après lui je ne parle pas assez de zombies ! Zut alors, je veux bien l’admettre ! En tout cas, il me charge d’évoquer avec vous  un roman qu’il a adoré – que je viens de commencer et c’est vrai qu’il est prometteur – publié ce mois-ci par les éditions L’Atalante. Il s’agit de Celle qui a tous les dons, de M.R Carey (un as de la fantasy urbaine). Voici ce que Simon veut vous en dire : "Quand Mike Carey ("Hellblazer", "Felix Castor") écrit une histoire de zombies façon "The Last of us", on obtient un thriller fantastique aussi efficace et prenant que ses précédentes productions, le côté intimiste en plus. Un roman beau, fort, poignant qui reste en tête très longtemps après avoir tourné la dernière page. »
Avouez que c’est tentant, non ?
Fin de l’interlude.
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Le Jardin des silences Mélanie FaziEt sinon, que doit-on retenir des parutions du mois d’octobre ? De notre côté, quelques titres nous paraissent essentiels :
Tout d’abord, le très attendu nouveau recueil de Mélanie Fazi chez Bragelonne, Le Jardin des silences. On y trouvera des textes déjà publiés ailleurs (dans les anthologies Contes de ville et de Fusées ou encore Reines et Dragons, notamment) mais aussi quelques inédits. Inutile de le préciser : cet achat est obligatoire, nous avons en France trop peu de nouvellistes de la trempe de Mélanie Fazi, il serait donc dommage de passer à côté.

Tant qu’à être dans les nouvelles, les éditions La Volte (Le Déchronologue, les romans de Jeff Noon…) publient une anthologie intitulée Faites demi-tour dès que possible. Des noms très intéressants au sommaire : David Calvo, Léo Dhayer, Ketty Steward, Jacques Barbéri ou encore Léo Henry. Même si, au fond, on ne comprend pas totalement la thématique de l’anthologie, les noms au sommaire devraient convaincre n’importe quel amateur de nouvelles de se jeter à l’eau.

Le Roi en JauneLes fans de True Detective, la série télé dont la première saison est déjà devenue culte, peuvent également se réjouir : le livre de poche reprend ce mois-ci (sous un joli packaging) la traduction de Christophe Thill parue aux éditions Malpertuis du Roi en Jaune de Robert William Chambers, avec l’appareil critique semble-t-il. Voilà une belle occasion pour le grand public de découvrir l’œuvre étrange d’un auteur resté dans l’ombre d’un Lovecraft qu’il influença largement, tout comme il influença Raymond Chandler pour sa nouvelle… Le Roi en Jaune… Et une juste récompense, aussi, pour l’éditeur des éditions Malpertuis qui, depuis de nombreuses années, essaie de réhabiliter Robert W. Chambers – en témoigne le numéro remarquable du fanzine Dragons & Microchips (éd. De L’Œil du Sphinx) qu’il avait dirigé voilà quelques années sur Le Roi en Jaune.

Dernières nouvelles d'Œsthrénie de Anne-Sylvie SalzmanOctobre marque également le retour des éditions Dystopia avec deux titres attendus : Chants du cauchemar et de la nuit de Thomas Ligotti et Dernières nouvelles d'Œsthrénie de Anne-Sylvie Salzman. L’éditeur des Soldats de la mer a pris pour habitude de nous surprendre, majoritairement avec des romans ou recueils plus proches du fantastique que de la SF, qui déçoivent rarement, surtout que le visuel des ouvrages est lui aussi extrêmement soigné par l’illustrateur maison, Stéphane Perger.

De son côté, Denoël publie un roman surprenant de Franck Ferric, Trois oboles pour Charon, qui revisite de façon très originale (et avec ce bon petit goût des histoires d’immortels qu’on adore) le mythe de Sisyphe. Bien écrit, passionnant. Une plume que j’avais découvert avec le très bon post-apocalyptique La loi du désert (éd. Du Riez).

Et, avant de vous quitter, à retenir également ce mois-ci, en vrac :

Les éditions ActuSF sortent une petite curiosité, dans la collection Hélios des Indés de l’Imaginaire : Le Grand Amant de Dan Simmons. Une novella par l’auteur de l’Echiquier du Mal. Si le texte n’est pas inédit par ici, il méritait bien son propre écrin, et il est beau !

Siudmak, Art fantastique est un artbook du célèbre illustrateur, connu pour avoir réalisé la grande majorité des illustrations des romans Presses-Pocket dans les années 1980/90. Le livre promet d’être superbe et est édité par un nouveau venu sur la scène SF : les éditions Piranha, avec leur collection Incertain Futur, dirigée par Alexandre Marcinkowski. À suivre, donc.

Breizh of the Dead Julien MorganEn octobre, les éditions Critic fêtent déjà leurs cinq ans ! Pour l’occasion, votre libraire vous offre un roman déjanté de Julien Morgan, Breizh of the Dead (les zombies chez les Bretons, la classe, non ?) si vous achetez deux romans des éditions Critic.

Vous pourrez bientôt vous jeter, par exemple, sur Le Fleuve obscur de l’avenir, une compilation de trois romans essentiels de B.R.  Bruss accompagnée d’une postface monumentale de Laurent Genefort !

Et enfin, même si je ne parle pas beaucoup de romans jeunesse, je tenais à signaler la parution du premier tome chez Scrinéo de La Voie des Oracles, d’Estelle Faye. Parce qu’Estelle Faye compte parmi les voix féminines les plus intéressantes de ces dernières années, parce que sa plume a déjà fait des miracles avec Porcelaine ou Un Eclat de givre (Les Moutons Electriques) et qu’il serait étonnant que ce roman-ci soit moins bon !

Allez, tous chez vos libraires !

Xavier Dollo

(nota : cette rubrique traite de livres lus par le(s) chroniqueur(s) mais aussi de livres simplement attendus comme le Saint Graal et donc, pas encore parus/lus ; la précision semble être utile)

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