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Les archives : Interview de Catherine Dufour pour Le Goût de l'immortalité
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Les archives : Interview de Catherine Dufour pour Le Goût de l'immortalité

Voici une belle archive d'Actusf, l'interview de Catherine Dufour au moment de la sortie du Goût de l'immortalité en 2005 (Prix Bob-Morane, prix Rosny aîné, prix du Lundi et grand prix de l'Imaginaire).
 
Actusf : On commence par le commencement, comment est née l'idée de ce roman Le Goût de l'immortalité ?
Catherine Dufour : Ce livre est né de la confluence de beaucoup d'idées. La première, c'était d'utiliser un style imité de Marguerite Yourcenar dans un livre de Science Fiction. Je voulais raconter l'histoire d'une vieille grand-mère qui évoque sa folle jeunesse il y a 200 ans, en l'an 2100, à l'époque où il y avait encore de l'électricité fabriquée à partir d'uranium et des implants mammaires, où l'on mourrait à 80 ans. Et je me suis dit que la meilleure manière de faire comprendre aux lecteurs que la narratrice est une vieille dame, c'était de prendre un style désuet.Toute la difficulté a été ensuite d'essayer de ne pas tomber dans le pédant et le pompeux. A chacun de dire s'il trouve que j'ai réussi ou non.

La deuxième idée, c'était de poser la question de l'allongement de l'espérance de vie. Que deviendra le monde lorsqu'il sera dirigé par des gens qui n'auront plus 40 ou 50 ans, mais le triple ? Et jusqu'où sommes-nous prêts à aller pour ne pas mourir ? Par exemple, combien de personnes auraient le courage de dire non si on leur proposait d'élever un clone d'eux-mêmes, pour prélever les organes dont ils auront un jour besoin ? En fait, la question est : "Sommes-nous prêts à laisser la place à la génération suivante ? ". C'est une thématique très actuelle avec les problèmes qui sont liés à l'allongement de l'espérance de vie, que ce soit sur l'emploi ou sur la solitude et la dépendance des personnes âgées...

Et puis après, un livre, ça se débrouille comme ça veut ! J'essaie de le maîtriser mais finalement, lorsque je regarde ce que j'ai dit par rapport à ce que je voulais dire, j'ai parfois l'impression d'être manipulée par mon ordinateur. Il y a des écrivains qui parviennent à faire dire exactement ce qu'ils veulent à leur traitement de texte, pas moi.
 


Actusf : Ton héroïne est très vieille mais elle est aussi coincée dans un corps d'enfant de 8 ans...
Catherine Dufour : Elle est effectivement coincée dans un corps qui n'évolue pas. Ce corps est le support d'un esprit qui évolue, mais il n'a plus d'évolution personnelle. On reste dans les mêmes angoisses fondamentales, celles d'un esprit face à un corps qui le trahit. Dans les " Mémoires d'Hadrien " de Yourcenar, qui a vraiment été mon influence première aussi bien pour le fond que pour la forme, on trouve la même chose : Hadrien était un grand sportif et un grand jouisseur jusqu'à ce que son corps tombe malade, entraînant dans sa chute l'esprit qui y était enfermé. Autant il y a d'abord eu une harmonie parfaite entre le corps et l'esprit, autant il y a ensuite conflit et lutte entre les deux.

Actusf : Ce qui est en effet frappant, c'est que même si son corps est bloqué, elle a profondément envie de vivre.
Catherine Dufour : C'est une constante humaine. Une des Fables de La Fontaine parle d'un homme qui accumule les malheurs et appelle la mort à grands cris. Quand elle arrive, il lui demande de porter son fagot. La morale de la fable c'est que, quelque soit l'état dans lequel on se retrouve, l'être humain n'a qu'une envie : continuer à vivre. Dans mon livre, je fais intervenir un personnage qui est inspiré d'un de mes amis, décédé du sida à l'époque où il n'y avait aucun traitement. Il était parvenu à s'échapper d'une clinique où, littéralement, on euthanasiait les jeunes sidateux, pour rentrer chez lui où il testait toutes les thérapies possibles et imaginables. Je lui ai demandé de quelle façon il voyait approcher la mort et il m'a répondu : "Rien que le fait de se réveiller le matin et de voir le ciel bleu suffit pour justifier tous les combats". J'ai remis la phrase presque telle quelle dans Le Goût de l'immortalité. J'ai essayé d'approcher au plus près l'âpreté de la lutte d'une conscience face au grand vide qu'est la mort. C'est très difficile parce qu'on n'a jamais fini d'en faire le tour. Peut-être que c'est une tentative de préparation personnelle à ce moment qu'on va tous vivre. Ca peut paraître étrange d'aborder ce thème dans un livre mais visiblement, il me hante. Et peut-être que ça fera du bien à d'autres gens de voir qu'ils ne sont pas tout seul à y penser.

Actusf : Ce n’est pas très gai comme thème. Même si on avait des pistes en lisant tes nouvelles, c’était une vraie volonté de s’éloigner un peu des histoires humoristiques de tes précédents romans?
Catherine Dufour : Je crois que ça me fait beaucoup de bien d’écrire un livre un peu gore comme celui-ci. Même si je retourne aujourd’hui dans la fantasy burlesque et que ça me fait du bien aussi. C’est très clair qu’il y a des profondeurs dans lesquelles il vaut mieux ne pas se risquer et qu’il y a des livres que je n’écrirai pas, parce qu’ils sont trop sinistres. Je crois aussi que j’ai une tendance naturelle à écrire de la littérature pas drôle du tout et que je prends la fantasy burlesque comme un antidote. Mais au fond, ce que j’aime vraiment, c’est battre en brèche tout ce qui est sentiment imposé, comme le mythe de Blanche Neige dans " Blanche-Neige et les lance-missiles " ou celui de l’amour obligatoire entre mère et fille dans ce roman. Je trouve ça plutôt sain de présenter des ruptures de principes. Même si, après, ça peut donner une littérature qu’on considère comme choquante. Mais toute forme d’art, si elle ne bouscule pas un peu l’ordre établi, ne vaut rien. Ce n’est pas la peine de perdre du temps à se conforter dans ses propres croyances.
 


Actusf : Ce qui est marquant c’est que l’univers du Goût de l’immortalité est très noir. Tu es pessimiste sur l’avenir de la Terre ?
Catherine Dufour : En fait, je n’ai pas l’impression qu’il soit plus noir que le veut la raison. Notre monde actuel n’est pas en grande forme et je n’ai pas l’impression qu’on aille vers un mieux. Comme tout le monde, j’ai des inquiétudes concernant l’eau potable, l’ozone, etc. Peut-être serons nous moins bêtes que ce que j’ai extrapolé, mais il faut qu’on fasse vite.

Actusf : Mais cette ambiance noire, c’était pour accentuer ton histoire ?
Catherine Dufour : Non, c’était vraiment une volonté d’anticipation. J’ai pris quelques éléments actuels et j’ai essayé de voir ce qu’ils allaient donner dans un siècle. Je ne parle pas que de la pollution. Je prends aussi en compte le développement des nanotechnologies et des biotechnologies. Tout n’est donc pas négatif. Par contre, ces progrès sont mal distribués : tout le monde n’y a pas accès. Et ça aussi, je pense qu’on y va tout droit. Tout le monde ne bénéficiera pas des nanotechnologies ou des avancées en génétique.

Actusf : C’est finalement un livre très personnel. C’est ton roman le plus personnel ?
Catherine Dufour : Tous les romans sont personnels. Si on les écrit de trop loin, ça se voit. Mais c’est vrai que celui là est particulièrement personnel. Ce qui est bizarre, c’est que les lecteurs y voient des choses que je n’avais pas vues et, parfois, ils n’ont pas tort. Je découvre mes propres névroses. C’est bien, ça m’économise une séance chez le psy. Même si ça fait aussi plaisir d’avoir des lecteurs qui voient dans ce livre ce que je voulais y mettre.

Actusf : Une des caractéristiques du livre, c’est que tu n’as quasiment que des anti-héros...
Catherine Dufour : Oh si, il y en a un, de héros ! En plus, c’est une bête de sexe ! J’ai fait attention à mettre un beau personnage charismatique parce qu’on m’avait dit : " Dans tes romans, il y en a trop de personnages et pas de héros, central ou non ". Donc j’ai fait gaffe, en essayant de mettre moins de personnages et de les faire un peu moins ambivalents ; de créer des personnages auxquels on puisse s’identifier.

Actusf : Reparlons de la structure. On sent que ta narratrice cherche au fur et à mesure du récit mais en même temps cela nous permet de découvrir un univers très riche...
Catherine Dufour : Je voulais mettre en scène une personne qui fait une enquête sur son propre passé et qui va chercher des preuves et des traces dans les archives. Un peu comme une recherche historique. Ca donne un récit avec des trous, des zones d’ombres où chacun peut se faire son opinion. Et la narratrice prévient qu’à tel ou tel moment, elle est obligée de faire des suppositions et que la réalité a pu être différente. Cette méthode permet de faire découvrir l’univers du livre, où on trouve notamment un imbécile qui ressort des archives une vieille maladie, le paludisme, pour la répandre à nouveau comme on pourrait le faire aujourd’hui avec la variole ou la peste noire. Au niveau politique, les Etats Unis sont en pleine décadence, l’Europe quasiment inondée, l’Afrique s’en est très mal sortie et finalement, l’activité humaine se concentre en Asie et en Australie. J’ai extrapolé un passé qui est plus proche de moi que de la narratrice, puisqu’elle raconte sa jeunesse en 2100 et qu’elle a 200 ans. C’est un peu fatiguant intellectuellement à faire.

Actusf : Et faire des longs passages sur chaque personnage au lieu d’alterner les chapitres, c’était voulu ? Même au risque que le lecteur ne sache pas au début où vraiment tu veux en venir ?
Catherine Dufour : Oui. Je n’ai pas voulu un bouquin qui soit facile à lire. J’ai privilégié la clarté à l’action. Qu’on connaisse bien les personnages pour ensuite bien comprendre l’action. Certains vous expliqueront que dans un libre, il faut que les paragraphes fassent tant de lignes, les chapitres tant de pages, avec une accroche tous les 1500 signes... Ca m’agace, parce que le résultat tient moins du livre que du clip ou du film hollywoodien, avec un héros qui est moins bête au début qu’à la fin, ce qu’on appelle un ARC quand on est scénariste de blockbuster. Alors que moi, je veux des héros encore plus bêtes et désespérés à la fin qu’au début. Parce que dans la vraie vie, tout va de mal en pis et non l’inverse. Et je n’aime pas le suspens permanent. Ce livre est censé avoir été écrit par une vieille dame : il se lit lentement, de façon calme et posée.

Actusf : Quelles sont les réactions des lecteurs ?
Catherine Dufour : Pour l’instant, elles sont plutôt vachement sympas. Mais celui qui s’est endormi à la page 30 ne va pas me le dire, non plus. Disons que je suis contente parce que pour l’instant, les réactions sont assez sensées par rapport à ce que j’ai voulu écrire. Je me posais vraiment la question pour ce livre là, en me demandant si les lecteurs n’allaient pas le trouver ennuyeux. Apparemment, ce n’est pas le cas. Ils me disent plutôt que c’est bien fichu, que c’est prenant, mais qu’en revanche c’est assez horrible. Je ne pensais pas que ça serait un problème...

Actusf : Quels sont tes projets ? Est-ce qu’on va retrouver des histoires un peu noires que celle-là ?
Catherine Dufour : Mon deuxième livre, L’ivresse des providers est épuisé et Nestiveqnen refuse de le rééditer tant que je n’ai pas écrit le quatrième (rires). Donc, je vais faire le quatrième. Une bonne partie est déjà rédigée. Ca va être une sombre histoire de sirène et j’hésite encore entre parler du Seigneur des Anneaux, d’Astérix ou du Petit Prince. Je vais peut-être tout mélanger. Et je vais beaucoup me faire plaisir. Je pense que ce sera n’importe quoi, donc ça va être bien. J’ai encore un recueil de nouvelles à paraître au Bélial’, avec quelques textes inédits. Et aussi, j’ai rencontré une fille qui écrit aussi bien que Luis Sepulveda, et on a prévu d’écrire un livre ensemble. Moi, je ferai le n’importe quoi et elle, la bonne littérature. On se donne 6 mois pour se planter ou y arriver. Et après, je partirai sur quelque chose de plus personnel. Mais peut-être un peu plus fun que Le Goût de l’immortalité. Et puis, il y a aussi toutes les nouvelles que je dois écrire pour Richard Comballot. Un jour, je prendrai des vacances…
 
(Photos de Lionel Allorge)

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