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Temps

Stephen Baxter ( Auteur), Roland C. Wagner (Traducteur), Sylvie Denis (Traducteur), Alain Brion (Illustrateur de couverture)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 30/09/2010  -  livre
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Temps

Mathématicien, un temps candidat astronaute (vite recalé), c'est dans l'enseignement qu'il a d'abord trouvé sa voie avant de finir par ne plus se consacrer qu'à l'écriture. Bonne pioche, puisque Stephen Baxter est certainement l'un des auteurs les plus en vue – et les plus primés – de la SF mondiale. Pendant anglais des poids lourds de la Hard Science à l'américaine que sont Greg Bear ou David Brin, c'est avec un regard très particulier qu'il part à la poursuite de ses obsessions. Un regard souvent glaçant, parfois un peu déshumanisé, en tout cas d'une lucidité sans concession, qui remet l'Homme à sa juste place : celle d'une contingence mineure de l'ordre des choses.

C'est avec une vision bien plus humble de notre espèce qu'on ressort de la lecture de Temps.

« Puissiez-vous vivre en des temps intéressants. »

Nous sommes en 2011. Aux confins de la physique, là où mouvement, matière et temps se confondent, se trouve la multiplicité. Univers qui se créent et se défont, compossibles ou divergents, s'engendrant sur une ligne généalogique titanesque qui nous oblige à propulser notre pensée sur des échelles de valeurs proprement vertigineuses.

C'est à sa découverte que Baxter nous emmène avec ce roman, premier de la Trilogie des Univers multiples. En écho à cette infinité de possibles, c'est sous l'angle de plusieurs réalités subjectives qu'il bâtit son intrigue. Parmi toute une kyrielle de personnages, un peu à la manière d'un Brunner, il nous en fait suivre plus particulièrement cinq.

Tout d'abord Reid Malenfant. Recalé aux tests de sélection de la NASA, cet ancien pilote de chasse a choisi de prendre son destin en main. En quelques dizaines années, sa compagnie – le Pied à l'Étrier – a investi dans une galaxie de secteurs industriels, et réalise des profits substantiels dans une économie pourtant sinistrée. Saignée à blanc dans ses ressources naturelles, stigmatisée par une gestion déplorable de l'environnement, la planète ne peut plus nous offrir le luxe d'être dispendieux. La seule alternative est une économie en circuit fermé, repliée sur un stock fini de ressources, recyclées et réinjectées dans le système. C'est évidemment un terrain de jeu trop restreint pour un insatiable égoïste comme Malenfant. Et son dernier projet en date flirte dangereusement avec la limite de charge. Il a décidé de couper l'herbe sous le pied d'une NASA depuis trop longtemps hors du coup, et de rouvrir la route des étoiles. Son objectif, mettre en perce la ceinture d'astéroïdes, l'exploiter, s'en servir de base avancée et partir à la conquête du cosmos. Reid Malenfant a décidé de propulser l'Humanité vers l'éternité. Son premier vol est planifié. S'appuyant sur une technologie de récupération, l'ingéniosité et une volonté presque obsessionnelle il est sur le point d'envoyer dans l'espace un vaisseau, qui sera piloté par un céphalopode modifié.

Emma Stoney est l'ex-femme de Malenfant. Bafouée et humiliée, elle n'en a pas moins continué de travailler pour le Pied à l'Étrier. Elle en est contrôleur financier, mais la nature de ses rapports avec Malenfant fait d'elle une sorte de directrice de conscience. La garantie que ce gamin gâté habitué à tout mettre en œuvre pour satisfaire ses caprices, ne se perd pas totalement de vue.

Maura Della, député de l'Iowa, est une parlementaire retorse qui va choisir de soutenir Malenfant à Washington. Son monde n'est qu'une crise permanente à gérer. Écologie convalescente, économie sous assistance respiratoire, mais aussi épidémies mortelles et même l'apparition d'enfants invraisemblablement surdoués un peu partout sur la planète sont autant de signes avant-coureurs d'une crise plus grave, que la mégalomanie de Malenfant permettra peut-être d'éviter.

Michael, lui, est l'un de ces surdoués. Un « Enfant bleu » comme les médias n'ont pas tardé à les surnommer, en raison de la fascination qu'ils semblent tous avoir pour des motifs en forme de disques bleus. À vrai dire, Michael est même le plus exceptionnel d'entre eux. Originaire d'un petit village de Zambie, ce garçon de neuf ans a une perception intuitive de la mécanique quantique qui lui a déjà permis, du fond de son bout de désert, de relier en un tout cohérent les théories de la relativité et celles de la physique quantique.

Une intuition qu'aurait aimé avoir Cornelius Taine. Mathématicien, promis jadis à un avenir brillant, il a sombré dans une folie numérale pour n'en ressortir que bien des années plus tard, en tant qu'agent d'une énigmatique société appelée Eschatologie. Actionnaire généreux du Pied à l'Étrier, Eschatologie se veut une sorte d'observatoire du futur. Basant leurs prédictions sur des méthodes strictement statistiques, ils en sont arrivés à la conclusion que l'humanité allait avoir à se confronter à sa fin inéluctable dans un délai d'environ deux siècles. Une fin que seul Malenfant pourrait être capable d'éviter. Cornelius va convaincre le milliardaire de dérouter sa mission, pour l'envoyer sur Cruithne, un astéroïde insolite qui orbite comme une seconde Lune autour de la Terre, et sur lequel il est convaincu que des humains situés en aval sur le fleuve du temps nous ont laissé un message.

Et c'est bel et bien, envers et contre tout, sur cette boule de roche désolée, prisonnière de notre orbite que va se jouer le futur de l'humanité.

« Racing around to come up behind you again
The sun is the same in a relative way, but you're older... »


De ces prémisses fatalement elliptiques, va sortir ce qui est probablement le meilleur roman de Stephen Baxter à ce jour. Sans doute aussi le plus maîtrisé.

Premier tome de la trilogie Manifold (platement devenue Les Univers multiples en français), Temps est l'un des futurs possibles proposés par Baxter en s'appuyant sur le paradoxe de Fermi, et dans une certaine mesure sur son renversement. L'astronome italien Enrico Fermi pose le postulat d'une civilisation extra-terrestre qui aurait développé une technologique suffisante pour envisager le vol spatial, même à un niveau relativement rudimentaire. Admettons maintenant que cette civilisation parvienne à s'établir suffisamment longtemps sur une autre planète que celle dont elle est originaire pour en exploiter les ressources et s'en servir comme d'une seconde base d'où elle partirait à la conquête d'autres systèmes qui seraient, à leurs tours, pareillement exploités. Même en ne comptant que sur des vitesses bien inférieures à celle de la lumière, Fermi estime qu'en seulement quelques millions d'années, cette progression exponentielle rendrait la présence de cette espèce dans notre univers absolument incontournable. Donc si les extraterrestres existent, comment se fait-il que nous ne les ayons pas rencontrés, ou à tout le moins que nous n'ayons pas détecté leur présence ?

Et si cette espèce colonisatrice, c'était nous ? Une mission qui pourrait nous échoir car nous serions la seule forme de vie intelligente de l'univers. Loin d'être libératrice, la confrontation avec cette idée, telle qu'orchestrée par Baxter, est profondément dérangeante. Déprimante même. Et par un insolite effet de mise en abyme, elle nous replace dans une juste perspective de notre place dans l'ordre galactique. Une place tout à la fois privilégiée et insignifiante.

Temps est un roman tout en paradoxe. Pour nous emmener aussi loin dans les méandres des univers multiples, Stephen Baxter va trouver une ligne ténue entre le cosmique et l'intime, et s'y aventurer. Il plonge ainsi dans le feu des étoiles et dans l'intimité brisée d'un couple qui s'est disloqué sans parvenir à se quitter. Et c'est parce qu'il s'attache avec beaucoup d'empathie à dépeindre ses personnages, qu'il parvient à nous faire croire à l'amplitude des ses visions du futur. On ne mesure la puissance des forces qu'il nous décrit qu'à l'aune des passions humaines. Pari casse-gueule. Lorsqu'on connaît la propension de l'auteur à un didactisme qui frôle parfois le pontifiant, on pouvait légitimement craindre un grand écart malheureux ; la juxtaposition de perspectives irréconciliables. Pourtant ça marche. Il parvient à établir une échelle de démesure sur laquelle il va pouvoir placer presque exhaustivement tous les possibles de son hypothèse. Sommes-nous seuls ? Notre extinction est-elle inéluctable ? Serons-nous capables de nous survivre pour essaimer vers le futur ? Le salut est-il à portée des pauvres humains que nous sommes, ou viendra-t-il d'ailleurs ? Ailleurs dans l'espace, ou dans le temps ?

Toutefois rassurez-vous, Baxter n'a pas complètement renoncé à sa précision scientifique. Il nous est tout de même asséné de longues pages qui vont vous demander une attention... soutenue. Mais comme il s'attache à ne pas perdre de vue son propos, à ne pas nous larguer pendant la montée dans l'atmosphère, la récompense est à la mesure de l'effort fourni. Baxter réussit le tour de force de nous faire ressentir cette écrasante solitude au cœur d'une incommensurable immensité, mais aussi une sorte de foi aveugle en des forces plus grandes. Une gnose scientiste très personnelle sur laquelle viendra peut-être se briser la certitude de notre fin.

Temps est, je le disais, un roman ambitieux. Accessible ? Sans doute ; mais pas sans effort. Un roman qui se mérite un peu, mais n'est-ce pas ce que nous recherchons – aussi – dans la science fiction. Roland C.Wagner, qui en signe avec Sylvie Denis la traduction, n'a eu de cesse de louer cette dimension quasi messianique qu'a su y insuffler Baxter. À raison. Jonglant habilement avec de tels concepts, il renoue avec le vertige. Et c'est bon.

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