En cette période de vacances, nous pouvons en profiter pour lire un peu et j’ai eu des coups de cœur pour deux romans complètement différents, chacun remarquable.
Benjamin Lupu, avec « Le Grand Jeu », s’était fait connaître pour avoir écrit un excellent roman d’uchronie steampunk, plein d’action. Il revient maintenant avec un autre roman toujours plein d’action mais en changeant de registre : « Sœurs de haine », premier tome du diptyque « Le Solstice des Ombres » (Mnémos), est un roman de fantasy sombre et dure qui explore les tréfonds de la psychologie humaine, en particulier le besoin de croire et la religion en général. Dans un monde où les Anciens Rois, êtres quasi invulnérables et immortels, d’une cruauté sans nom, ont été défaits lors d’une guerre d’une centaine d’années par une coalition de guerriers venus d’au-delà la Mer Froide, gagnée grâce à des reliques (aussi étonnantes que dangereuses) ramenées par Saint Orostrate d’un périple dans le désert. Les vainqueurs se sont partagées les terres et les reliques, formant six baronnies qui, après une paix de six cents ans, se déchirent maintenant car le culte orostrate a été dénoncé comme hérétique par le prédicateur Borésias ce qui l’a amené au bûcher.
Mais il a converti à sa vision de la religion l’un des plus puissants barons et la guerre fait rage depuis des dizaines d’années lorsque le roman commence, marquée par l’assassinat du baron et de son fils venus négocier et protégés par une trêve sanctionnée par les plus hautes autorités religieuses, les mêmes qui absoudront ensuite les autres barons assassins et parjures. Lorsque le roman commence, la résistance et la vengeance de la veuve du baron et des hérétiques ravagent les territoires. Et c’est dans ce chaos qu’Umbrod, un jeune moine enlumineur talentueux, va se retrouver pris dans les intrigues et les complots des uns et des autres, d’autant plus qu’il semble être détenteur d’un pouvoir magique extraordinaire.
Difficile de vous en dire plus sans déflorer le roman mais Benjamin Lupu nous fait découvrir un monde dur, où le fanatisme religieux – la différence d’interprétation entre orostrates et borésiaques laisse rêveur quant au besoin de croire – guide les hommes, au point de les aveugler et de justifier toutes les atrocités (tout en n’empêchant pas les gens de pouvoir de l’instrumentaliser pour augment leur puissance), de les transformer littéralement en cas psychiatriques mais dont on comprend le mécanisme à défaut – fort heureusement ! – de le partager. Il met aussi en scène la soif de vengeance – autre variante de fanatisme -, principalement entre les deux sœurs du titre, chacune ayant épousé un baron du camp opposé mais réglant en même des temps des comptes bien plus anciens. Et ce monde de l’Hyrdrie, rempli de créatures étranges et de lieux tout aussi fantastiques, est absolument fascinant, d’autant plus qu’il est décrit avec une abondance de détails (géographie, peuples, institutions et coutumes, histoire) ce qui permet d’apprécier les actions et les motivations de tous les personnages, bien que le lecteur ressente – moi en tout cas - peu d’empathie à leur égard vu ce qu’ils sont, avec l’exception de ce vieux soldat qu’est Balcère, prêt à tout pour protéger Umbrod qui lui a fait découvrir ce qu’était la beauté dans un monde qui en semble dépourvu.
J’avoue avoir très hâte de me plonger dans le deuxième tome !
Avec « Un soupçon d’humanité » (Mu), Loïc Henry, auteur de SF déjà récompensé pour « Loar », aborde de manière très originale un sujet au cœur des préoccupations actuelles, à savoir l’intelligence artificielle (I.A.). A la fin du XXIè siècle, la plupart des pays (à l’exception du Groënland et de l’Islande) ont laissé les rênes de la gouvernance et de la prise de décision aux I.A. avec pour mission d’assurer les meilleures conditions de vie à l’humanité afin d’assurer son bonheur : le résultat est une planète régénérée, un niveau de vie et de totale sécurité élevé pour tout le monde (à part quelques derniers pays n’ayant pas encore adopté les I.A. et ravagés par la guerre), bref une quasi-utopie. Mais alors pourquoi reste-t-il des insatisfaits, des gens qui refusent d’être contrôlés et dirigés en permanence, n’ont pas d’implant, bien que les I.A. aient créé justement des zones franches sans contrôle ? Et dans cette France parfaitement sûre, pourquoi un drone a-t-il soudainement abattu Just Savenige, l’un des dirigeants de la société de sécurité Goffanon ? Seule l’I.A. centrale a pu autoriser ce tir or elle nie l’avoir fait.
L’inspecteur Santxo Izurtza va être chargé de l’enquête, en étroite collaboration avec IonA, l’I.A. sen charge de la police et de la sécurité. Il va se retrouver à rencontrer l’entourage de Just et ses investigations vont l’amener à faire connaissance de divers personnages qui peuvent l’aider à comprendre ce qui s’est passé comme Elaheh Mirzakhani, mathématicienne de génie qui a contribué à créer et former des I.A. ou Deirdre, escorte de très haut niveau (qu’il soit physique ou culturel), sans oublier Héloïse, joueuse de go hors pair et championne sportive, ou l’énigmatique père jésuite Cheun Le Bolzer, spécialiste mondialement reconnu des nanotechnologies. A partir de là il va démêler les fils et faire des découvertes surprenantes, qui font que livre, écrit en courts chapitres, avance très vite. Loïc Henry a manifestement étudié très en profondeur l’intelligence artificielle – par exemple j’ai ainsi appris les différences entre apprentissage supervisé et apprentissage non supervisé – et toutes les technologies pointe en matière de nanotechnologies, de drones militaires ou non, de biotechnologies etc… Cela nous donne un roman passionnant car bien étayé sur nos connaissances actuelles pour en tirer les possibilités et les développements à venir et, surtout, une réflexion approfondie sur toutes les questions que soulève l’I.A. et ce qu’on peut en faire (et son intelligence au sens humain du terme) ainsi que sur la science en général (et les idées du transhumanisme en particulier) et son bon ou mauvais usage. La conclusion qu’en tire l’auteur laisse rêveur, nous souhaiterions tous, je pense, qu’il en soit ainsi pour nos descendants.
Un roman de grande SF, celle qui fait réfléchir et qui rend plus intelligent, un roman qui devrait être lu par tous nos politiciens, quel qu’en soit le bord, afin qu’ils puissent réfléchir et être informés lorsqu’ils votent des lois sur des sujets qu’ils ignorent, mais là je suis sans doute un peu trop optimiste… En tout cas à lire par tous les amateurs de SF !