Plus connu pour ses illustrations que pour ses propres bandes dessinées, René Hausman est un vieux routier de l’univers BD (magazines Le Moustique, Spirou, Chlorophylle, Fluide Glacial, Le Trombone illustré). Discret, sa réputation s’est, en grande partie, fondée sur ses talents de dessinateur animalier et l’élégance soignée de ses dessins. Ses bestiaires, ses illustrations de contes et légendes sont des modèles du genre. Ses dessins, réalistes ou idéalisés, ont une grande force onirique et poétique. Ils sont à la fois vrais et décalés, féroces et féériques. Il y a du Franquin période noire chez Hausman, finesse, spontanéité, cruauté, mais il y a en plus une touche de vérité, d’authenticité brute, un naturalisme instinctif.
René Hausman n’est jamais sorti de l’enfance. Né en Belgique en 1936, il a passé la partie la plus déterminante sa vie en Westphalie. Envouté par les contes sombres et mystérieux que lui racontait sa grand-mère, pendant la sombre guerre, il est resté à jamais dans cet univers brut, dur et fantastique où les animaux sont l’ultime mesure des hommes. Où tout est toujours possible. Surtout le pire.
Dans ce monde où tous se battent pour fixer leur territoire, n'y a-t-il rien de pire qu’un un camp-volant ? Qu’un vagabond sans attache ? Qu’un semblant d'animal errant ? En colère, sa grand-mère le traitait de « camp-volant ». René Hausman exorcise sa peur en racontant l’histoire d’un marginal qui, lui aussi, conte des histoires. Et si c’était toi le camp-volant, grand-mère ?
Vu de l’enfance, le camp-volant, ce n’est pas celui qui fait le plus peur, car il est proche des animaux, il est proche d’une vérité que les hommes ont appris à ignorer. Et c’est bien ce qui sera reproché au héros autobiographique de l’histoire : sa trop grande proximité à l’enfance. Aux enfants qui n’ont pas encore appris, eux, à se détourner du naturel et de la nature. Si René Hausman dessine des moutons, des cochons et des loups, c’est parce que la vérité de l’homme est là. Et nulle part ailleurs.
L’enfant volé
Dans le café d’un vieux village, un conteur hypnotise son auditoire en racontant de vieilles histoires. Des qui font peur mais vraies. Celle de Firmin Pissecrosse et de son mariage raté. Celle d’un « changelin », un enfant échangé contre un autre par des lutins. Celle de Camp-volant, l’enfant volé, devenu vagabond, protégé par les lutins et qui sait tant y faire avec les animaux. Celle d’une enfant volée et celle de Camp-volant, accusé du vol.
Tous ces contes sont liés par un lieu ou par un personnage. Ils font peur aux enfants et aux grands. Ils font d’autant plus peur aux grands qu’ils sont peut-être vrais. Et ils sont d’autant plus vrais qu’ils sont racontés par Camp-volant…
Le conte du Camp-volant
Mi-crayonnés, mi-aquarelle, les dessins sont en brun et blanc. Faut-il préciser que les animaux et les paysages ombrageux sont les plus réussis ? Faut-il préciser que les enfants sont parfois dessinés en couleur ? Que l’atmosphère graphique, automnale et brumeuse, colle à la féérie nostalgique du texte ? Les têtes, les mains, les pieds sont disproportionnés. Les hommes sont des caricatures sauvages. Les visages des adultes sont marqués. Ils souffrent de ne plus être jeunes. Les rides et les ombres des visages les éloignent définitivement de la candeur des origines.
Le ton naturaliste n’est pas loin de celui des Contes de la Bécasse de Maupassant. Mêmes sauvagerie et sympathie paysannes. Même authenticité. Même humour. Même ouverture vers la magie de l’homme rivé à la nature. On y retrouve les mêmes types de personnages (les paysans obtus et incrédules, la simplette, le Uhlan en quête d’enfants). Cruauté infantile. La fusion homme-animal vire parfois au Fluide glacial (le célibataire en manque et la truie).
Le monde adulte est ridicule, rude et rebutant. Les enfants sont leur seule lumière, leur seule richesse. Il faut prendre garde à ne pas se les faire voler. Enfant ravi par des lutins, Camp-volant vit dans un monde indistinct entre l’adulte, l’enfant et l’animal. Ses meilleurs amis sont des enfants ou des parents qui partagent le secret du bonheur avec leurs enfants. Mais cette connivence l’expose à la suspicion et au rejet. Sa seule issue, c’est de raconter des histoires. Des contes, ultimes refuges du mystère. Ultimes médiateurs entre l’enfance et le reste du monde.
Assurément, l’album le plus personnel de René Hausman. Un grand coup de chapeau au Camp-volant, l’ami des animaux, le médium de l’imaginaire. L’auteur de cette histoire.
La chronique de 16h16 !