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L'édito de Galaxies Nouvelle Série n°6
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L'édito de Galaxies Nouvelle Série n°6

C’était pendant la Convention française de Science-fiction 2009. J’avais mené un long entretien public avec André Ruellan (Kurt Steiner), et celui-ci avait ravi l’assistance par ses réponses très érudites, et sa capacité à se poser en spectateur de la société. Notamment, il avait évoqué son agacement devant les glissements de la sémantique, comme « pouvoir d’achat », qui remplaçait « salaire », avec toute la charge de modification des comportements et des façons de penser liée à cette manipulation du vocabulaire. Le soir, je le reconduisis à son hôtel, et nous avons poursuivi la conversation, et c’est alors qu’il lança cette formule lumineuse : « La science-fiction ? C’est un langage ». Il y a là une définition englobante du genre qui, contrairement à toutes les définitions habituelles, me semble de nature à pouvoir être acceptée de tous.

Car ce n’est pas qu’une formule. Quand il affirme que la SF est un langage, André Ruellan ne fait que résumer les travaux des universitaires qui, comme Irène Langlet – elle aussi présente à la convention de Bellaing – dans son ouvrage La science-fiction. Lecture et poétique d'un genre littéraire, ou Art Evans (que nous avons rencontré à la Convention mondiale de Montréal), directeur d’un laboratoire d’études sur la littérature de science-fiction, à l’Université de l’Indiana, qui publie trois fois par an Science Fiction Studies, consacrent leurs recherches à la science-fiction et y voient en effet ce tissu de signes, de codes, de structures récurrentes qui en font un langage.

C’est sans doute aussi cette communauté langagière – ou devrait-on dire méta-langagière ? – qui explique cette attirance naturelle des fans et autres amateurs vers les autres science-fictions, pour rechercher, derrière la diversité des langues et celle des cultures cette communauté de codes, de signes, même si ceux-ci éclatent à leur tour en écoles différentes.

Jacques Barberi, qui a accepté l’invitation de Galaxies dans ce numéro, et nous donne une nouvelle inédite et percutante, Le Génome et la mort, l’a bien compris, qui tisse depuis quelques décennies une toile d’aragne de textes, nouvelles et romans, où il capture idées, tendances et tensions pour construire une œuvre dont nous parlent ici avec talent Richard Comballot et Alain Dartevelle, dans un dossier abondant, à l’abondance justifiée qui explique que nous ayons préféré repousser notre série sur les SF européennes au numéro suivant.

Cette recherche d’un méta-langage explique aussi pourquoi nous restons attachés, à Galaxies, à notre exploration des textes en langues étrangères, que nous nous efforçons de mettre à la disposition de nos lecteurs francophones. Après plusieurs incursions dans les domaines hispaniques, italiens, nous allons enfin, dans ce numéro, vers l’immense domaine de la littérature slave, et notamment russophone, avec une nouvelle assez noire de Vladimir Pokrovski, Immortels, qui, à travers une nouvelle déclinaison du thème exploré depuis l’antiquité du malheur de ne pouvoir mourir, revisite les bas-fonds de Gorki dans une Russie Poutinienne, post-soviétique, où mieux vaut jouer profil bas quand on ne laisse aucun espoir aux héritiers…

Le thème de l’immortalité, qui est peut-être en creux celui de la nouvelle de Barberi, est aussi celui du texte d’Orson Scott Card, lui aussi inédit en français, un des trois textes anglo-saxons de ce numéro, pour le plaisir de beaucoup de nos lecteurs qui m’en ont réclamés. Avec Justin Stanchfield et Jay Caselberg, nous trouvons ici deux récits très différents, mais qui l’un et l’autre, en conduisant le lecteur à ajuster son regard à celui des personnages – et j’utiliserais volontiers le mot « caractères » qui n’est un anglicisme que pour ceux qui ignorent La Bruyère – nous emmènent dans leur univers, étrange, chaotique, dans le cas des boucles temporelles de Stanchfield, mélancolique, grave et tellement humain pour celui de Caselberg.

Boucles temporelles encore, mais cette fois ajustées aux lois du marché, chez Lyzambre, dont la nouvelle a obtenu cette année le Prix Infini, et donc son ticket d’entrée dans votre revue, selon un accord dont tout nous pousse à nous féliciter.
Et enfin, Devoir d’achat, qu’André Ruellan a jeté pour nous sous les touches de sa machine, avec le cliquetis que j’imagine en tournant un instant les yeux vers l’Underwood 1925 désormais silencieuse qui garde le bureau de la rédaction d’oublier les racines du genre. Ruellan y illustre avec de multiples clins d’œil les propos qu’il nous a tenus.

Encore un mot, un paragraphe pour évoquer à nouveau la Convention mondiale de Montréal, et celle de Bellaing. Les deux furent très riches d’échanges, d’accords passés, de textes promis, tout cela que vous verrez, au fil des numéros prochains de Galaxies, se concrétiser dans ces pages. Deux langues encore : arabe et brésilien, pour vous mettre l’eau à la bouche.
Bonne lecture ! Et bonne rentrée, puisque de toute façon les vacances sont derrière nous…
 
Pierre Gévart
29 août  2009

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