La science-fiction regorge de visionnaires que l’on n’écoute pas et, à en juger par l’état actuel de notre monde, John Brunner a très certainement été l’un d’entre eux. Véritable Cassandre littéraire, il nous a laissé quelques chefs-d’œuvre que l’on a certainement eu tort de ne pas prendre au premier degré ! Tous à Zanzibar, et Le troupeau aveugle, pour ne citer que les plus connus, décrivaient une Terre défigurée et surpeuplée, gangrenée par les régimes totalitaires, les commissions d’eugénisme, où certaines régions sont si polluées qu’il est impossible de sortir sans masque, où la résistance acquise par les microbes aux antibiotiques fait le lit des épidémies… Et que dire de Sur l’onde de choc et de son réseau informatique ubique… Parmi ses livres un peu moins connus, on tombe fréquemment sur d’excellentes histoires qui ne manquent ni de la profondeur, ni de l’originalité de ses meilleures réussites, comme le démontre la fascinante enquête d’Éclipse totale…
A un certain point de son évolution, toute civilisation est-elle destinée à disparaître ?
Sur Terre, la découverte d’un procédé permettant les déplacements à une vitesse bien supérieure à celle de la lumière, un Fonds Spatial International a été créé dans le but d’explorer l’univers. Seulement, une telle entreprise coûte cher et il n’a été possible de construire qu’un seul vaisseau interstellaire… Au cours d’une de ses expéditions, alors que la gouvernance du Fonds commence à douter de l’intérêt de telles missions, les ruines d’une civilisation très avancée sont découvertes sur Sigma Draconis III. Une équipe d’une trentaine de scientifiques y est dépêchée pour en étudier cette mystérieuse culture qui a évolué durant trois mille ans avant de s’éteindre inexplicablement, passant de l’âge de la pierre taillée à celui de l’exploration spatiale dans ce laps de temps incompréhensiblement bref. L’éphémère destin des Draconiens préfigure-t-il celui des Terriens et, peut-être, de toute société soumise à la pression sélective de ses avancées technologiques ?
Un très bon complément à La tétralogie noire…
Loin de n’être qu’une banale aventure d’archéologie-fiction, Éclipse totale enrichit son propos en mêlant ethnologie, linguistique, psychologie, politique, et assaisonne le tout d’une réflexion eschatologique dont l’humanité du vingt-et-unième siècle pourrait (ou ferait bien de) s’inspirer avant de poursuivre sa route vers un futur de plus en plus incertain… Au cours des quelques deux-cent cinquante pages de ce passionnant roman, John Brunner nous parle de la naissance et de la mort des civilisations, de ce qui lie entre eux les membres d’une société, et de ce qui cause bien souvent la fin de ces communautés éphémères, aussi vaste et techniquement avancées soient-elles. Mais qui écoute vraiment les visionnaires ? A en juger par l’absence d’Éclipse totale des rayonnages de nos librairies depuis une trentaine d’années, pas grand monde…