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Ayerdhal : tentative d'approche littéraire...
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Ayerdhal : tentative d'approche littéraire...

On connaît surtout Ayerdhal comme l'un des auteurs qui a relancé (avec Pierre Bordage) l'intérêt du public français pour la science fiction francophone. En remettant au goût du jour le space-opéra, en livrant des romans fleuves de plus de 1000 pages comme La bohème et l'Ivraie (bien que découpé en quatre tomes à l'origine) alors que la moyenne se situait vers 200 grand maximum, en abordant de nouveaux thèmes, en étant l'un des premiers à quitter le Fleuve Noir pour J'ai Lu, en emportant avec lui un illustrateur, et en dirigeant la première anthologie francophone des années 90, Ayerdhal a bousculé l'ordre établi. Pourtant, ne lui reconnaître que ces mérites reviendrait à nier toutes les spécificités littéraires de l'auteur. Car avant tout, Ayerdhal est un écrivain de premier ordre, possédant son propre style et son propre univers. Je vous propose donc de tenter une plongée dans son œuvre, pour en distinguer les particularités. Quelles sont les figures redondantes que l'on peut observer dans ses romans ?

Un auteur engagé...

Ayerdhal est un écrivain de science fiction. Mais au contraire de nombreux auteurs, il emploie finalement assez peu la science et le merveilleux scientifique dans ses romans. Ses trames narratives sont beaucoup plus basées sur ses personnages, sur ce qu'ils ont d'humain. Car Ayerdhal est avant tout un humaniste dans ses écrits. Sa grande force est de se situer au niveau de l'homme. Le personnage des Chroniques d'un rêve enclavé par exemple, est un utopiste qui nous entraîne dans ses rêves de démocratie et d'égalité entre les hommes, tout cela en plein moyen âge. Il fait appel aux idéaux des lecteurs, les interpellant contre l'injustice. En ce sens, on peut dire qu'Ayerdhal écrit une littérature engagée. Tout y passe, de la dénonciation de la misère, à celle de l'asservissement de l'être humain, en faisant un détour par l'absurdité de la guerre et l'horreur de l'injustice.

Dans Balade Choreïale comme dans Le Chant du Drille, il met en scène la colonisation d'une planète par les humains, au mépris des autochtones. Dans Demain une Oasis, il dénonce clairement l'abandon du tiers monde par les pays riches, et le décalage entre le nord et le sud. Il fustige le doux confort matériel du héros, habitant tranquille de l'Europe. Bien sûr, sous le voile de la science fiction, c'est la situation actuelle qu'il dénonce. Et il ne fait pas dans la dentelle ! Ce dernier roman est vraiment spectaculaire car il montre le choc entre le héros, européen, blanc, financièrement à l'abri et la pauvreté de l'Afrique. C'est un livre âpre derrière lequel Ayerdhal interpelle ses lecteurs ! Et aujourd'hui encore il n'en a pas fini de nous interroger, de nous bousculer. Son dernier roman Transparences porte sa part de questions sur le monde, sur la manipulation des états et des personnes, sur la place de la misère.

Cet engagement dépasse même le cadre de ses livres. On sent bien qu'il ne s'agit pas seulement d'un artifice littéraire. Pour preuve, dans la préface de Genèse, l'anthologie française qu'il a dirigée, Ayerdhal écrit : " Vous n'avez pas été sans remarquer que, depuis une vingtaine d'années, les outils de communication ont évolué de manière exponentielle ? Eh bien ! Figurez-vous que, par la communication, le monde se mondialise ! Si si. Pas partout, non, il y a encore quatre milliards et demi d'humains qui ne sont que locataires de leur propre existence, et beaucoup de pauvres, parmi le milliard et demi de propriétaires, ont peine à croire qu'ils habitent des pays riches. ". Si ce n'est pas le signe qu'il se sent concerné par ces problèmes... D'ailleurs en écrivant Le Droit du Serf en 2000, il agit aussi dans sa sphère, celle de la littérature et de la situation des auteurs et de leurs droits sur leurs livres…

Vous l'aurez compris, ce que nous appellerons l'humanisme est donc un des thèmes de prédilection d'Ayerdhal. On peut noter que dans ces romans, cela s'accompagne souvent d'une absence de la violence chez les héros. Parleur est foncièrement non-violent et le revendique. Quant à l'Interne, le personnage principal de Demain une Oasis, il est incapable de faire du mal à une mouche... Devant l'injustice, plutôt que de faire appel à la force, ils mettent en branle leur imagination. A noter que dans Transparences, cet aspect des choses à un peu évolué, son héroïne n'hésitant pas à jouer avec tout ce qui peut trancher, découper, poignarder ses ennemis.

Intelligence et dialogue

La situation d'Yvlain dans La bohème et l'Ivraie est un peu similaire à celle de l'interne dans Demain une Oasis. Yvlain n'emploie en aucun cas la force pour renverser l'ordre établi. Seule son intelligence lui servira pour parvenir à ses fins. Yvlain et Parleur sont d'ailleurs finalement assez proches. Aucun des deux ne cherche le pouvoir suprême, bien qu'ils aient un ascendant psychologique sur les autres personnages par leur charisme exceptionnel. Le premier souhaite mettre à mal une institution qui l'empêche d'exercer son art, et le second se contente de mettre ses idées au service de la communauté. L'un et l'autre sont d'ailleurs entourés de femmes, autre spécificité de l'écriture d'Ayerdhal.

Des filles :

Les femmes sont toujours omniprésentes chez Ayerdhal. Que ce soit dans Parleur, La bohème et l'Ivraie, Cybione, Polytan, L'Histrion, Mytale, Balade Choreïale, Demain une Oasis ou Etoiles Mourantes, L'homme aux semelles de foudres ou bien encore Transparences la gent féminine est bien représentée.

Dans Parleur, L'homme aux semelles de foudre et La bohème et l'Ivraie, elles secondent le héros, lui piquant même à l'occasion la vedette. Par exemple, dans Demain une Oasis, l'Interne est confronté à la femme qui dirige le groupe de terroristes qui l'a enlevé. Dans Cybione et Polytan, Elyia tient le rôle principal, et dans L'Histrion, le héros est sexomorphe, c'est à dire qu'il peut changer de sexe s'il le souhaite. D'ailleurs, Aimlin sera Aimline pendant une bonne partie de l'histoire... Bref, les femmes sont partout.

Souvent même, elles dirigent dans l'ombre. Yvlain possède un harem de trois femmes qui sont ses lieutenants. Parleur est lui aussi bien entouré par deux jeunes filles qui le secondent efficacement. Quant à Mark, le héros de L'homme aux semelles de foudre, il est aidé dans son enquête par sa grand mère, sa jeune voisine, et celle qui deviendra son amante !

L'image de la femme chez Ayerdhal est donc loin d'être machiste, bien au contraire. Elles sont toutes libérées, actives, intelligentes, carnassières... On est à 100 000 lieux de la pauvre princesse éplorée attendant d'être secourue par son prince charmant.

Pour rajouter encore un exemple d'héroïnes à poigne, Erythrée dans Etoiles Mourantes possède un caractère bien trempé ! C'est elle qui est à la tête du principal mouvement d'opposition dans sa ville, mettant à mal ses institutions. Elle est contestataire, forte en gueule, libérée et farouche, rien que ça.

Dans l'attitude de non violence des héros comme Yvlain, les femmes en endossent la responsabilité. Souvent, elles sont même de véritables gardes du corps pour les héros. La Naïa tuera pour protéger Yvlain, et la Mante ne permettrait à personne de toucher un seul cheveux de Parleur. Quand à Marie-Thérèse, elle aussi saura être violente dans Demain une Oasis.

Curieusement, cette prise en main féminine s'étend parfois au fil des romans, comme si le héros passait au second plan. C'est en tout cas l'impression qu'on a en lisant Chronique d'un rêve enclavé ou La bohème et l'Ivraie. A chaque fois, le personnage principal est vu sous la loupe des personnages féminins. Dans Parleur, Vini sert de narratrice et c'est à travers elle que l'on découvre Parleur. Pour La Bohème et l'Ivraie, Ayerdhal se focalise au fil du roman sur les pensées et les actions des trois personnages féminins qui entourent Yvlain. Bref, ses héros masculins semblent un peu effacés.

Frank Herbert et le Space Opéra :

Une des dernières caractéristiques de l'écriture d'Ayerdhal qui me vient à l'esprit est bien sûr le Space Opéra. Lorsque l'on regarde sa bibliographie, il y a finalement assez peu de romans appartenant à d'autres catégories. A part Conscience Virtuelle, L'homme aux semelles de foudre, Transparences et Chroniques d'un rêve enclavé, tous les autres livres se passent dans les étoiles, sur des planètes éloignées. Certains se précipiteront pour dire que l'ombre de Frank Herbert planant au dessus de certains romans d'Ayerdhal, cela n'a rien de surprenant. C'est en partie vrai. Mais si La Bohème et l'Ivraie et L'Histrion (et bien évidement Sexomorphoses) ont un parfum presque mimétique avec Herbert (on y retrouve le même goût pour les structures politiques, et les petits paragraphes en en-tête des chapitres...), Ayerdhal a su aussi intégrer sa propre personnalité par la suite. Toujours est-il que son jardin littéraire se situe plus du côté des étoiles que véritablement du côté de la fantasy ou du fantastique. Néanmoins ce qui semblait être une vérité jusque là est peut-être en train de changer. Transparences est un thriller à notre époque et il a paraît-il quelques idées de fantasy.

Par contre, côté narration, la diversité est là. Ayerdhal est capable d'utiliser de nombreux procédés comme le récit enchâssé (Conscience Virtuelle), ou la narration à la première personne, le flash-back...

Et les nouvelles alors ?

Côté biblio, c'est clair ! Il a presque autant de romans à son actif que de nouvelles ! Sans trop se mouiller, on peut donc en déduire qu'il semble privilégier les récits aux longs cours...

Pour autant, dédaigner ses nouvelles serait une grave erreur. Il y est aussi à l'aise que dans l'écriture d'un roman. Que ce soit pour Le retour de Jessie (in Jour de l'an 1000 chez Nestiveqnen) où il fait preuve d'un humour jouissif, ou Eloge du déficit, récit à la fois dur et drôle, Ayerdhal excelle aussi dans ce domaine. Si vous ne connaissez pas L'Ayerdhal nouvelliste, je vous conseille fortement d'aller voir dans les recueils où il apparaît au sommaire ou dans La logique de l'Essaim, livre qui reprend quasiment toute ses nouvelles.

Au final on dira qu'Ayerdhal est un auteur complet. En tout cas un auteur qui mérite que l'on s'y attarde. Car en dehors de son indéniable talent de conteur, c'est aussi un écrivain qui dans son engagement à des choses à dire. Et c'est devenu assez rare pour en faire un être à part, à lire absolument.

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