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Dernières nouvelles de la Terre...

Pierre Bordage ( Auteur), Gess (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 19/08/2010  -  livre
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Dernières nouvelles de la Terre...

Dernières nouvelles de la Terre est le second recueil de nouvelles de Pierre Bordage, plus adepte du marathon que du sprint en écriture. Si plusieurs de ses romans sont devenus des classiques de la SF française, ses nouvelles n’ont pas la notoriété des Guerriers du Silence, de Wang, de L’Enjomineur, œuvres puissantes et inspirées, où l’auteur déroule des univers aussi variés que passionnants sur plus de cinq cents pages par tome. Ecrites ces dernières années, au détour d'une anthologie (Les archives du futur, 10 façons d'assassiner notre planète, Complots capitaux, Utopiales 2009, etc.), les nouvelles des deux recueils s’inscrivent temporellement dans une certaine continuité thématique et une certaine unité de ton. Nouvelle vieTM abordait déjà les thèmes du clonage, du patrimoine génétique, de la dérive de la nature humaine ou des puissants qui nous gouvernent.

Dans un style toujours limpide, imagé, parfois un peu lisse à force d’être policée, l’auteur des Fables de l’Humpur est un conteur patenté ; il déroule ses récits avec un naturel consommé, en parfaite osmose avec ses personnages, toujours en quête de liberté et de dépassement. La nouvelle est un exercice un peu différent. Elle a ses exigences particulières et ne laisse pas à l’auteur la possibilité de sonder les profondeurs psychologiques de son personnage, de le confronter aux autres et à une succession d’événements catalyseurs. Elle permet des jeux de style, des audaces narratives, elle met en exergue l’inventivité technique ou scénaristique de l’auteur SF, elle privilégie la surprise et la chute du récit, plus que la force du propos. Pierre Bordage s’en tire avec élégance, intelligence et professionnalisme, il nous livre un bon recueil de SF, agréable à lire et dans l’air du temps, mais il ne profite pas du genre pour explorer de nouvelles voies et proposer, à travers ses personnages, des voix originales.
L'introduction en forme de nouvelle (« Sources ») et d'interview par une lectrice du futur était pourtant une façon amusante et prometteuse de présenter les préférences et les références de l'auteur.

Quatorze nouvelles d’un futur délétère

La voix du Matin : Deux élèves maintenus éternellement dans une jeunesse artificielle doivent exécuter mécaniquement les gestes de tous les jours pour aller à l’école, sous l’autorité d’une voix qui égrène en permanence le compte à rebours.

Pedrito : Un ancien torero, fait acte de résistance en allant à une corrida sauvage, après avoir pris vingt ans de prison pour exercice illégal de la tauromachie.

Dans le regard des miens : Un homme qui a fait fortune sur une planète revient sur Terre pour retrouver ses proches, mais la transgénose a provoqué une mutation de l’espèce.

Fort 53 : La compagnie Excalibur part à l’assaut d’un bunker, seul un héros parvient à y pénétrer. Il y fait la rencontre d’étranges créatures magiques qui semblent vouloir le faire revenir dans un autre monde.

Son nom est personne : Un historien du futur rencontre le jeune Jules Verne, pour vérifier la réalité de sa fugue à Saint… Ce faisant, il conforte l’histoire en incitant le futur auteur à revenir chez lui.

On va marcher sur la Lune : Les chinois ont su prouver au monde que l’escapade d’Armstrong et d’Aldrin en juillet 1969 n’était qu’un leurre. Ils vont enfin pouvoir fouler le sol lunaire pour de bon.

De ma prison : Enfermé dans sa prison conceptuelle, détaché de son corps, un homme, devenu pensée pure, perçoit les limites désormais indépassables de la pensée humaine.

En chair : Pour avoir connu une union charnelle, une femme est condamnée à vivre consciente dans un embryon pendant neuf mois.

Mauvaise nouvelle : La vengeance machiavélique d’une interne de médecine qui s’installe à la campagne pour punir un psychopathe.

La nuit des trois veilleurs : Un vaisseau conquérant atterrit sur une planète pour en prendre possession. Les indigènes ne parlent pas et semblent donc inoffensifs, mais les colonisateurs vont vite découvrir qu’il ne suffit pas de parler pour se faire respecter.

Une plage en Normandie : À la suite de catastrophes écologiques, les Américains essaient de rejoindre l’Europe à la nage, mais ce sont des Américains récemment naturalisés qui essaient de les en dissuader, à coup de mitraillette s’il le faut.

Le chant de l'esgasse : Un marin haut en couleur a rencontré l’esgasse, cet animal fabuleux qui détient le secret de l’immortalité.

Traces : Condamné à se terrer dans les égouts, un jeune homme atteint d’une étrange maladie revient chez son père, un des rares rescapés de la transgénose, pour l’assassiner.

Dernières nouvelles de la Terre : Le narrateur doit travailler dur au pôle sud d’une planète en cours de terraformation pour gagner sa vie. Il doit trouver du travail, sans trop montrer ses compétences et son savoir, pas très appréciés dans la région. Les nouvelles de la Terre sont de plus en plus mauvaises. Il n’y aura donc plus d’autre issue.

Dernières nouvelles du temps

D’excellente tenue, ces nouvelles sont teintées d’un pessimisme désabusé. On y décèle plus les signes d’un renoncement, d’un destin inéluctable que ceux d’une colère ou d’une alarme. Pierre Bordage joue plus sur le registre de la résignation que sur celui du clin d’œil ou de la surprise. Quatre thématiques s’en dégagent clairement : la nostalgie, l’immortalité, l’enfermement et la manipulation. Quatre thématiques passées au prisme du temps qui passe.

La nostalgie, c’est celle du monde que nous quittons pour une réalité supervisée par les machines et les nanotechnologies (« La voix du matin »), par les nouveaux interdits sociaux qui réduisent le champ des possibles (« Pedrito »), par les bouleversements climatiques (« Une plage en Normandie ») ou par le recul historique (« Son nom est personne »). C’est aussi celle de l’homme qui perd en humanité ce qu’il gagne en immatérialité, par le biais d’un accident génétique (« Dans le regard des miens », « Traces ») ou par le biais de proscriptions charnelles (« En chair »). C’est encore la hantise d’une vie difficile après la catastrophe dans la nouvelle éponyme (« Dernières nouvelles de la Terre »).

L’immortalité est celle du pacte faustien : l’éternelle jeunesse contre une dénaturation de l’homme. Le prix est celui de la transgénose, cette maladie génétique qui a contrecarré le projet des apprentis sorciers (« Dans le regard des miens », « Traces ») ou encore celle de la désincarnation, de la perte de sens (« La voix du matin »). C’est aussi celle du recommencement éternel pour celui qui boit la coupe d’immortalité (« Fort 53 ») ou la promesse si difficile à atteindre de l’esgasse (« Le chant de l’esgasse »).

L’enfermement, c’est celui du corps (« En chair »), mais aussi celui du fort (« Fort 53 ») ou de l’Europe assiégée (« Une plage en Normandie »). C’est encore, dans un registre plus personnel de l’auteur, celui de l’humanité (« De ma prison »).

La manipulation, quant à elle, est une loi du genre humain. Elle est partout. Elle est politique (« On va marcher sur la lune »), sociale (« La voix du matin »), ludique (« Fort 53 »), historique (« Son nom est personne »). Elle peut être aussi psychique et culturelle (« La nuit des trois veilleurs »).

Seule une nouvelle apparaît hors sujet. Sans doute n’est-elle pas intitulée « Mauvaise nouvelle » par hasard. « Mauvaise » parce qu’elle verse plutôt dans la vengeance et l’horreur et qu’elle détone dans un recueil de SF.

Ces quatre thématiques qui interpellent l’homme d’aujourd’hui, à l’aube d’une nouvelle humanité, rejoignent, en forme de bilan prématuré, le destin d’un auteur : troquer l’immortalité d’une œuvre contre le temps qui passe, l’enfermement et la diablerie manipulatrice des destins de papier.

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