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Interview 2015 : Philippe Curval pour Akiloë
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Interview 2015 : Philippe Curval pour Akiloë

 ActuSF : Akiloë ou le souffle de la forêt est sorti en mars dernier aux éditions La Volte. Une première version était sortie en 1998 chez Flammarion. Qu’est-ce qui vous a incité à reprendre et à compléter ce texte ? 
 
Philippe Curval : C’est un roman entièrement nouveau que je publie. En effet, la directrice de Flammarion, à l’époque, avait exigé que je coupe la première moitié du roman, en prétendant que la deuxième se rapprochait trop de la science-fiction. J’avais accepté puisque les éditions Flammarion devaient présenter Akiloë comme le roman de la rentrée, concourir pour les prix littéraires, avec, en point d’orgue, une émission d’Apostrophes en compagnie de Claude Levi-Strauss et Jean-Marie Le Clézio sur les Indiens d’Amérique. Malheureusement, au printemps, les réserves de Flammarion ont brûlé, l’éditeur a imprimé en priorité les livres commandés par les libraires et mon roman n’a pas été prêt à temps, afin de le présenter à la presse et aux jurys.
 
J’ai beaucoup souffert de cet échec. Aussi, quand Mathias Echenay m’a proposé de le publier dans son intégralité, je me suis remis à l’ouvrage en réécrivant la version originale du début à la fin. C’est pourquoi j’ai retitré ce roman fort différent de celui qui était paru, Akiloë ou le souffle de la forêt. Il comporte plus du double de pages par rapport à la première version. Surtout, il correspond à mon projet initial.
 
 
ActuSF : Akiloë raconte l’histoire d’un Indien Wayana. La Guyane est un décor peu utilisé en SF. Pourquoi avoir fait ce choix ethnique très précis pour votre héros ? 
 
Philippe Curval : Non seulement j’ai voyagé et séjourné en Guyane, mais j’y ai fait plusieurs reportages en tant que journaliste. Ce qui m’a permis de pénétrer au cœur de la brousse, d’avoir accès à des territoires interdits aux touristes, de rencontrer des Indiens Wayana, des Bonis, de voir la première fusée Ariane s’envoler, bref, d’aimer ce pays extraordinaire et ses habitants qui ont nourri mon imaginaire. De surcroit, le très ancien projet qui me tenaillait de raconter l’histoire d’un garçon sauvage qui parcourrait, de saut en saut, l’histoire de l’humanité, jusqu’à devenir l’un des premiers hommes de l’espace, trouvait en Guyane un cadre parfaitement adapté.
 
ActuSF : vous évoquez à travers ce roman l’effet de la culture occidentale sur d’autres cultures. Est-ce une critique globale de l’occidentalisation ou simplement la dénonciation de ses effets pervers ?  
 
Philippe Curval :  Je souhaitais d’abord montrer comment l’éveil de la conscience chez un jeune enfant pouvait entrer en conflit avec les idées reçues que véhiculent nos sociétés. Par là, je voulais restituer mes propres impressions d’enfance et d’adolescence. Akiloë ou le souffle de la forêt est, en quelque sorte, une autobiographie rêvée. Plus largement, je souhaitais raconter, à travers un roman d’initiation, comment un jeune Indien d’Amérique, brutalement orphelin, avec pour seul atout sa culture de cueilleur-chasseur, pouvait déjouer tous les pièges que nous tend la civilisation occidentale par la seule force de son imagination, puisée à son expérience de la forêt. À cela s’ajoute, bien évidemment, le contexte si particulier de la Guyane où les effets de l’occidentalisation sont à la base de son histoire si particulière ; où la mémoire du bagne, l’action des indépendantistes, la voracité des chercheurs d’or, les difficultés économiques, l’afflux des immigrants, la base spatiale de Kourou suscitent d’incroyables conflits qui sont une source de réflexion sur la complexité du métissage entre différentes cultures.
 
 
ActuSF : Akiloë, votre héros, est un enfant qui a des capacités intellectuelles plus élevées que la moyenne. Était-ce un moyen de justifier son ascension sociale fracassante ou vouliez-vous également évoquer la thématique des enfants surdoués ? 
 
Philippe Curval : Plus que ses capacités intellectuelles élevées, Akiloë développe en même temps d’excellentes facultés d’adaptation, une puissante imagination qui lui permet d’aborder les situations les plus difficiles. Celle-ci provient de sa fréquentation de la forêt, de sa propension à cultiver l’animisme vis-à-vis des objets ou des êtres les plus insolites, comme les ustensiles de cuisine où sa mère décédée préparait le manioc, le petit paresseux qu’il a recueilli au cours d’une chasse, son pied droit, Alawane, qui lui apprend comment franchir les obstacles, etc. Si Akiloë peut être considéré comme un surdoué, c’est qu’il attache une extrême importance au moindre détail de ce qui l’entoure.
 
ActuSF : Akiloë passe de sa forêt natale jusqu’aux étoiles en devenant astronaute. Est-ce un parallèle avec l’histoire humaine, et l’avancée technologique qui a fait un bond sur le siècle dernier ?    
 
Philippe Curval : C’est évidemment la raison même qui m’a incité à écrire Akiloë ou le souffle de la forêt qui, s’il évoque un roman d’aventures, est structuré à la manière d’une fiction spéculative revendiquée. À plusieurs reprises, j’ai d’ailleurs écrit des romans de littérature dite générale où la pression technologique sur la société imprimait tellement sa marque sur les personnages et leur environnement qu’ils évoluaient au fil de l’histoire selon une logique propre à celle de la science-fiction.
 
ActuSF : L’opposition entre le monde occidental et les origines indiennes du héros, la forêt qui s’oppose à la ville... Akiloë tient-il également de la fable écologique ? 
 
Philippe Curval : Non, je ne pense pas qu’il s’agisse d’une fable écologique, car les enjeux du roman sont d’une telle complexité qu’ils font la part belle à toutes les opinions contradictoires qui surgissent aujourd’hui à propos de l’évolution de nos sociétés et des problèmes climatiques qui pèsent sur l’environnement. Bien sûr, la forêt amazonienne y joue un grand rôle puisqu’elle représente le poumon de cette histoire. Les populations qui l’habitent sont décrites comme les derniers possesseurs d’une sagesse héritée du difficile combat qu’ont mené nos lointains ancêtres pour survivre. Mais l’essentiel tient dans la trajectoire de mon personnage qui va s’affranchir peu à peu des limites imposées par notre condition humaine pour aborder la conquête de l’univers.
 
ActuSF : Le héros est à l’écoute du souffle de sa forêt. Y a-t-il une dimension mystique dans la quête initiatique de Akiloë ? 
 
Philippe Curval : Mystique, non ! Car je suis résolument athée. Par contre, je partage avec Akiloë une vraie sensibilité à l’égard de tout ce qui nous entoure, la magie des objets, l’étrangeté surnaturelle de la nature, l’originalité profonde de chaque être humain, l’étonnante variété des animaux, des minéraux, la splendeur des végétaux, la beauté des paysages. Outre une fascination envers la science, j’ai tendance, comme lui, à attribuer aux êtres et aux choses un pouvoir dont nous subissons en secret les influences. S’il y a, dans ce roman, une quête initiatique, elle se transpose dans le désir de comprendre par quoi et pourquoi nous vivons.
 
 
ActuSF : Akiloë va devenir astronaute au bout de son chemin. Au-delà de la réflexion sociale du roman, est-ce qu’il n’y a pas tout simplement le rêve d’un enfant qui veut s’envoler dans les étoiles ?  
 
Philippe Curval : Certes, depuis mon premier roman, Le ressac de l’espace, jusqu’à Congo Pantin, une grande partie de mon œuvre est inspirée par l’émerveillement que m’a procuré, très jeune, la lecture du Conquérant de la planète Mars d’Edgar Rice Burroughs, où John Carter s’envole dans l’espace sous le simple effet de son inspiration. C’est à partir de ce choc initial que j’ai décidé d’écrire de la science-fiction. Seul moyen pour un écrivain de transmettre à ses lecteurs le désir d’affronter l’avenir, en larguant notre passé obscur fait de larmes et de sang, avec une arme autrement efficiente, celle de l’intelligence libertaire.
 
 ActuSF : Avez-vous d’autres projets d’écriture en cours ? 
 
Philippe Curval : Oui, je travaille actuellement sur deux romans. Le premier sur les développements et le rôle de l’art dans un prochain avenir. Il se déroule à Paris et à Venise dans un monde où chacun est branché par une puce implantée dans son cortex. Le second, dont une première version est achevée, se présente comme une transposition de mon itinéraire personnel. Il raconte comment et pourquoi un marginal prêt à céder à la délinquance devient un écrivain de science-fiction.
 
ActuSF : Où vos lecteurs pourront-ils vous trouver en dédicaces dans les mois qui viennent ? 
 
Philippe Curval : Aux Utopiales à la rentrée prochaine.
 
ActuSF : Le mot de la fin : quel est votre roman coup de cœur du moment ? 

Philippe Curval : L’Adjacent de Christopher Priest
 
 
 
 
 

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