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Interview 2017 : Fabien Thévenot pour le Feu sacré.
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Interview 2017 : Fabien Thévenot pour le Feu sacré.

ActuSF : Fabien Thévenot, pouvez-vous déjà nous présenter les éditions du Feu Sacré et sa ligne éditoriale ?
 
Fabien Thévenot : La maison d’édition a publié ses premiers livres en 2012. A l’époque, j’ignorais ce que pouvait bien être une ligne éditoriale. Je suis parti de zéro, sans expérience aucune, avec juste l’idée de publier des livres dans lesquels je me retrouvais. Je n’ai jamais tellement cherché à fixer ma ligne éditoriale. Je suppose que de publications en publications, une image de cette "ligne" commence à se former. Ma sensibilité de lecteur est le dénominateur commun, je crois, et les rencontres font le reste. 
 
Nous publions principalement de la poésie et des "essais libres" (je veux dire par là : émancipés des formes trop rébarbatives de l’essai traditionnel et pour qui le mot "forme" n’est pas un gros mot).  J’aime les textes qui débordent, qui refusent de se tenir à leur place, qui empiètent sur les plates-bandes des autres.  
 
 
 
2/ Si la SF et la littérature de l'imaginaire n'est pas de facto au cœur des sorties de la maison d'édition, pour autant on y trouve deux textes sur des auteurs bien connus (Dantec et Dick), ainsi qu'un roman-feuilleton mettant en scène le fantôme du King. Pourquoi ces auteurs-là et ce roman-là ?
  
Dantec et Dick sont deux auteurs qui sont parvenus à dépasser les frontières des genres littéraires. Dick est le plus lu des auteurs de SF chez les non-lecteurs de SF. Dantec, quant à lui, a publié toute sa vie dans les collections polar ou blanches de grandes maisons d’édition. Dantec et Dick sont au-delà des genres. C’est ça qui m’intéresse chez eux. C’est sûrement la raison pour laquelle on les lit encore aujourd’hui et qu’on les lira encore longtemps. La littérature qui reste dans son petit pré carré m’ennuie terriblement. Les auteurs qui m’intéressent sont ceux qui hybrident.  Je dirais même plus : la littérature avance à partir du moment où elle hybride. 
 
 
3/ Ces derniers mois, la maison d’édition a lancé une nouvelle collection, Les Feux Follets. Pouvez-vous nous présenter son approche ? A l’ère ou la critique / chronique littéraire se déporte sur le numérique, qu’est-ce qui motive ce retour à une chronique sous forme de livre ?
 
Avec Les Feux Follets, il s’agit moins de chroniquer un roman que de donner à un écrivain l’opportunité d’écrire sur son "livre-monde", sur le texte qui lui a donné envie d’écrire, vers lequel il revient sans cesse.
 
Le chroniqueur littéraire, quand il écrit des choses positives, cherche à faire lire tel ou tel livre. Il travaille sur l’avant de la lecture. L’auteur d’un Feu Follet, lui, écrit sur ce qui se passe une fois qu’on a reposé le livre. Comment le roman travaille-t-il en nous ? Qu’est-ce qu’un livre vers lequel on revient régulièrement ? Et pour quelles raisons ? C’est ça qui m’intéresse. C’est à ces questions que les auteurs doivent répondre.
 
Les chroniqueurs me donnent souvent l’impression qu’ils parlent de quelque chose d’inerte, alors qu’à mes yeux la littérature est une forme de vie, qui continue à habiter le lecteur, le transforme. Les Feux Follets est une collection où des auteurs sont invités à raconter de quelle manière ils ont été un jour vampirisés par un livre.
 
 
Aurélien Lemant, Villa Vortex a été publié en 2003. Initialement classé en SF, pour autant ce roman se joue davantage des genres que cette simple classification ?
 
 Vous avez raison ! J’ai de la compassion pour les responsables du rayon « disques » dans les centrales d’achats. Les Red Hot Chili Peppers, c’est quoi ? Du funk, du metal, du punk, du hip-hop, de l’indie rock, de la variété ? De la fusion ? Ca dépend des albums ? Villa Vortex, c’est une librairie dans laquelle trouver tous les ouvrages auxquels vous n’auriez pas pensé, et avec lesquels vous allez ressortir. Je considère Villa Vortex comme une œuvre pop, au même titre que For your pleasure de Roxy Music, Les Fourberies de Scapin de Molière, Elektra de Frank Miller ou les toiles de Roy Lichtenstein. Comme vous le suggérez, le roman a changé d’étiquetage, puisque Gallimard l’a tout d’abord publié à « La Noire », avant de le ranger parmi les ouvrages de science-fiction, pour à nouveau le déplacer chez Folio Policier. Le livre s’amuse, c’est lui qui, inclassable, se déplace, rend visite à toutes les étagères, résiste à tous les inventaires.
 
De votre point de vue, comment s'intègre la science-fiction dans l'œuvre romanesque de Dantec, particulièrement dans Villa Vortex ? 
 
Je ne me suis jamais posé la question en ces termes. C’est l’œuvre romanesque de Dantec qui s’intègre à la science-fiction, comme elle s‘intègre d’elle-même au polar, au fantastique, au road-book, ou à l’anticipation sociale. En fonction des énergies du récit et des besoins conceptuels du romancier, le genre se tord pour devenir autre, sans crier gare, ce qui est là aussi pop, jazz, fusion. Sans crier gare car, chez Dantec, la SF n’est pas un ingrédient, mais un lieu où l’on arrive avec lui comme à une étape nécessaire. On ne s’y arrête jamais longtemps, quoique certains ouvrages tels que Cosmos Incorporated ou Grande Jonction soient clairement disposés par l’auteur dans un environnement futuriste, où l’action et la fable qu’elle dispense se retrouvent à l’interface de la technologie et de la métaphysique. En réalité, c’est plutôt ça, les romans de Dantec, et tout particulièrement Villa Vortex. C’est penser la science et la fiction en lien permanent et conscient avec la mort et l’au-delà. C’est-à-dire favoriser un endroit de sa narration où se rejoignent mystique, occultisme, étude de la Kabbale, gnose et techniques de prédiction de l’avenir telles que la géopolitique ou la futurologie. Le tout, non pas au service de l’intrigue, mais servi par elle. Villa Vortex en est la fleur des pois.
 
6/ Vous choisissez d'aborder le roman par sa matière (son nombre de page, son titre, son découpage) avant d'aborder son contenu à proprement parler. Qu'est-ce qui vous a motivé à utiliser cette approche ?
 
Avant de nous brancher sur la littérature, les Feux Follets nous parlent de livres. D’ailleurs, si on écoute bien, on emploie davantage ce mot, « livre », plutôt que celui de littérature. Le médium, plutôt que l’information qu’il contient. A l’oral autant qu’à l’écrit. Comme en musique pop, où l’on parle de « mettre un disque » au lieu d’écouter une chanson. On nomme l’objet pour parler des choses invisibles qu’il va susciter dans notre esprit. La sacralité évidente que suscite l’écoute d’un disque, le fétichisme de l’objet circulaire et plat, destiné à tournoyer selon une vitesse établie si on veut en comprendre le contenu, les outils intermédiaires qui sont indispensables à notre lecture du vinyle ou du laser (diamant, saphir ou lentille, amplificateur, haut-parleurs ou écouteurs…) ne font pas qu’instaurer un climat propice. Ils demandent de l’équipement, nos écoutes ne sont rendues possibles que par les présences écrasantes de la matière et de l’électricité. La culture pop est aussi et d’abord un totémisme, la fille hybride de l’art et de sa consommation, parce qu’elle est autant la célébration de l’œuvre que le culte de l’objet qui la renferme, puis de ceux qui la complètent. Un disque, même un 45T ou un mini-CD, même une K7, on s’en souvient aussi et peut-être même surtout en fonction de sa pochette, de sa plasticité. Un roman, on peut le lire sans autre matériel qu’un œil ou deux, quelques doigts de la main, pourtant l’on s’avance encore plus loin dans ce rapport physique à l’objet, puisque l’on ne peut pas le reposer sans interrompre totalement l’expérience de la lecture. La tête de lecture, le diamant, c’est vous. Ce rapport au matériau n’est ici pas anodin. Regardant Villa Vortex comme une œuvre pop, il m’a semblé intéressant de décrire en premier lieu ce livre comme on parlerait de la jaquette d’un DVD, ou d’une voiture, avec ses caractéristiques techniques commerciales, froides mais pertinentes. Les gens vous demandent souvent si tel ou tel livre dont vous leur parlez est long, n’est-ce pas, soit parce qu’ils aiment les récits épiques, soit parce qu’au contraire ça les décourage de commencer un pavé. Vous pouvez leur répondre que Villa Vortex en première édition pèse 490 grammes, et qu’il mesure 20,5cmx14cmx5,02cm.
 
7/ Vous êtes vous-même auteur. De votre point de vue, qu'est-ce qui diffère entre le lecteur-lecteur et l'auteur-lecteur ?
 
Je lis pour écrire. J’écris pour donner à lire. Mon but de lecteur comme d’auteur est qu’il n’y ait plus de différence, puisque l’auteur veut devenir le lecteur en devenant son cerveau. Non pas en en prenant possession, ce qui serait bêtement satanique, mais en offrant au lecteur de devenir au contraire une extension de l’auteur, libérée de celui-ci. Et le lecteur veut du voyage, alors autant profiter de ce véhicule supplémentaire, livré avec le bouquin. Quand j’ai lu Dantec, j’ai autant ressenti physiquement dans les plis de mon cerveau la présence de cet écrivain que l’existence aboutie de ses textes qui élisaient domicile en moi. Il ne me restait plus, si je le souhaitais, qu’à aménager ce nouvel espace. Il y a eu un avant et un après Maurice Dantec dans ma vie. C’est de là que me vient cette envie de devenir un chaudron à lecteurs, plutôt qu’une usine à livres.  
 

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