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Interview 2017 : François Angelier pour les 20 ans de Mauvais genres
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Interview 2017 : François Angelier pour les 20 ans de Mauvais genres

ActuSF : Quelle place est accordée aux littératures de l'imaginaire sur France Culture?
François Angelier : France culture et les littératures de l'imaginaire, c'est une longue histoire. En rodant dans les archives de France Culture, j'ai voulu voir comment elles ont été perçues au fil des décennies en me focalisant sur la science-fiction. Les années 50 ont vu les spécialistes en parler comme d'un non-sujet, présent partout, notamment chez Homère, dont L'Odyssée serait finalement de la SF. Les années soixante sont plus détendues et dynamiques mais vont relayer le même discours. Il faut attendre l'arriver des frères Bogdanov pour voir une évolution significative dans les 70's, où la science-fiction devient un genre, une littérature à part entière. A contrario, le polar a toujours été présent. Mais depuis mes débuts, on a pu parler de l'imaginaire. Par exemple, en  1983, j'ai voulu faire une émission sur Lovecraft. Le responsable était gaulliste, admirateur de Malraux et assez frileux mais j'ai rencontré des voix plus favorables et j'ai pu faire une émission sur cet auteur dès le début des années 80, pour vous dire l'ancienneté de la présence des imaginaires. Petit à petit, ces derniers ont eu un espace réservé, une place qui était la leur, surtout le fantastique. Dernièrement les choses se sont emballées avec l'émission de philosophie, ou la Méthode Scientifique dont un de leur podcast hebdomadaire aborde la SF sous un angle scientifique. Même les émissions du matin s'y mettent. On a donc une émission spécialisée, Mauvais Genres et d'autres, plus générales mais qui abordent ces mondes là. Le regard de l'auteur de BD/polar/SF ou de l'acteur de cinéma porno est pris en compte, et fait office de témoignage et pas uniquement de la promo pour son dernier méfait. Alain Damasio intervient ainsi souvent sur des sujets de société. 

 
 

ActuSF : Et pour le polar? Est-il un genre de l'imaginaire pour vous?
François Angelier : L'imaginaire est un univers mental, esthétique, qui reflète son époque. Le Polar est imaginaire même si il est différent de la fantasy ou de la SF. C'est une sorte de rabot calciné de la littérature réaliste de part ses thèmes (sociaux, politiques...). Ce sont les formes émancipées du polar vers le fantastique qui me passionnent. Et si on regarde ses classiques, le genre a souvent emprunté des chemins peu orthodoxes, regardez Poe, Conan Doyle ou même Simenon ! C'est ça qui m'intéresse dans le polar, cette échappée vers d'autres genres à partir du réalisme. 

"LE POLAR EST IMAGINAIRE MÊME SI IL EST DIFFÉRENT DE LA FANTASY OU DE LA SF".  

ActuSF : Du coup, quid de Mauvais Genres? Quel rôle avez-vous joué sur les ondes?
François Angelier : Mauvais Genres a toujours été un émission particulière, une communauté restreinte et un monde en soi. Que ce soit en 1992 ou en 1997, notre but a été de fédérer des amateurs autour d'un rendez-vous régulier. Il y eut d'abord eu un effet de surprise pour la direction au début mais aucune jamais aucun censure ni pression. Au fil du temps, l'émission a accompagné l'évolution des genres de la marginalité au grand public et est devenue plus exigeante, on quitte l'exotisme et on entre dans des territoires familiers du grand public, donc il faut apporter quelque chose qui ait de l'intérêt. Mais ne surtout pas tomber dans l'élitisme ! On partage et on échange. Ce fut  notamment le cas aux Utopiales de Nantes, ou nous avons tenu une émission en direct du festival avec une salle comble.Nous avons invités des spécialistes renommés tels que : Jean-Daniel Brèque, Joseph Altairac, Serge Lehman.

ActuSF : Parlons un peu d'élitisme justement, on l'évoque parfois en parlant de la culture que vous défendez, notamment de ses publics.
François Angelier : La question de l'élitisme, je n'ai pas d'intérêt pour la chose. On démarre nos émissions ''sur la roue arrière'' sans pour autant vouloir se mettre à dos l'auditeur. Il y a clairement une communauté qui s'est formée autour de l'émission mais elle n'est pas fermée. Ce sont des cultures qui se partagent facilement. L'effet élitiste est, je pense, bien souvent involontaire, du fait du manque de notoriété d'un invité ou de son travail par exemple. La question se pose mais il ne faut pas en prendre compte. Je pense qu'il faut aussi, à l'opposée, éviter le côté ''Pour les nuls'' qui éteint toute forme de mystère et de fascination. Ces questions ne se posent pas au sujet de l'économie ou de la sociologie par exemple, qui pourtant peuvent être ardues à appréhender.  

"CE SONT DES CULTURES QUI SE PARTAGENT FACILEMENT."

Actusf : Revenons un peu sur l'émission et son format, vous évoluez en bande. Comment cette dernière fonctionne, comment procédez-vous pour recruter vos complices?
François Angelier : La bande, l'orchestre, la république même, c'est primordial ! Personnellement, j'ai un système bien rodé pour recruter. Je transforme mes invités en chroniqueurs. Ils sont toujours intéressants mais certains d'entre eux ont un potentiel, une personnalité au micro si vous voulez. Il leur faut trois qualités essentielles: la connaissance approfondie de leur(s) sujet(s), la vision qu'ils en ont (ce qui n'est pas la même chose) et enfin leur éloquence, bien sûr. Parfois, ce sont des collègues qui finissent par nous rejoindre, des stagiaires restent plus longtemps que prévu ou le bouche à oreille fait son œuvre, mais je suis assez content de ma méthode (rire). On conçoit l'émission avec un sas d'entrée, formé par le générique (très étudié) et la consultation de l'Encyclopédie Pratique des Mauvais Genres de Céline du Chéné, un milieu d'émission variable en fonction des invités et des chroniqueurs présents et puis un final avec la séquence Obsessions de Christophe Bier, qui clôture avant le générique de fin.

ActuSF : Et cette bande, qui la compose actuellement ?
François Angelier : Alors, nous avons aujourd'hui Philippe Rouyet, éminent spécialiste du cinéma gore et de Michael Haneke, Jean-Baptiste Thoret, cinéaste, documentariste et essayiste amoureux du cinéma américain.  Le fameux Christophe Bier, érudit et acteur de son état, Fausto Fasulo le rédacteur en chef de Mad Movies et amateur éclairé de mangas. Sixtine Audebert est notre mascotte depuis 2016 et Jean-Luc Rivera (organisateur des fameuses Rencontres de Sèvres) nous parle fantasy, ésotérisme et phénomènes inexpliqués. Elise Lépine est notre experte en polars et pour finir, Pacôme Thiellement est l'exégète polyvalent, qui peut parler de BD, musique (fin connaisseur de l'oeuvre de Zappa) ou de David Lynch.
 

 
ActuSF : En 20 ans, le monde de la radio a évolué et l'on peut aujourd'hui écouter votre émissions sur de nouveaux supports, quel est votre avis sur les podcast et les nouvelles façons d'écouter la radio...en dehors de la radio justement ?
François Angelier : On la subit et on en bénéficie comme tout le monde. On doit penser au fait qu'il y a maintenant de nombreux sites internet qui occupent le même créneau, donc on doit faire preuve d'originalité et de pertinence. Les podcasts sont disponibles ad vitam eternam maintenant...est ce que ça change la nature profonde de l'émission? Il est sûr que ça casse la magie du direct et des rediffusions inopinées. Ça crée une pluralité des moyens d'écoutes pour les auditeurs. Au final, c'est surtout eux que ça concerne, ils peuvent faire leur propre sonothèque, avec des thématiques qui leur plaisent, vu qu'on a tendance à faire des émissions orientées sur un sujet précis, comme des revues, ils peuvent avoir une collection en conséquence. Je pense que l'on ne doit pas trop se poser de questions, encore une fois. On doit rester dans le moment, l'instantané, sans penser aux réactions du public dans 50 ans. Sinon, on se fige, on gèle sur place. Si vous prenez un concert enregistré en 1960, les musiciens ne se demandaient pas comment leur musique allait passer l'épreuve du temps, ils ont juste happé, capté ces instants.

ActuSF : Finalement, l'éphémère c'est l'éternité ?
François Angelier : C'est un peu ça oui. Tous les artistes ont une magie de l'instant, et c'est précisément ce qui les fait sortir du temps. C'est paradoxal, mais ce relâchement est essentiel.

 "TOUS LES ARTISTES ONT UNE MAGIE DE L'INSTANT, ET C'EST PRÉCISÉMENT CE QUI LES FAIT SORTIR DU TEMPS."

ActuSF : Récemment, dans le cadre de l'anniversaire de l'émission, la fameuse Encyclopédie Pratique des Mauvais Genres a été publiée sous forme littéraire, pouvez-vous nous en parler ?
François Angelier : Alors, il y a effectivement l'Encyclopédie mais aussi Obsessions, qui collecte les interventions théâtrales, dans tous les sens du terme, de Christophe Bier. Concernant le livre de Céline du Chéné, il compile donc les portraits d'artistes qu'elle a collecté au fil des années. Il rend justice à sa chronique, qui est faite d'un travail d'échange, de rencontres fortes avec des artistes radicaux. On y parle de corps sous toutes leurs formes et coutures, d'érotisme, de transidentité, de plasticiens et performers qui passent habituellement sous les radars. C'est avec ces articles en forme d'abécédaire qu'elle ouvre le bal, de manière percutante. J'aime le fait de commencer par quelque chose de fort, qui fait basculer dans un autre univers, une atmosphère unique. Comme dans un bon thriller, on commence par une scène spectaculaire, à la James Bond ! Christophe, quant à lui, met fin aux hostilités avec une chronique qui a peu à peu évolué en attentat théâtral, à l'écriture lyrique et sèche, où l'on croise aussi toute une galerie de personnages: éditeurs indépendants, illustrateurs clandestins et autres freaks. Avec ses airs de prédicateurs et son ton incantatoire, il forme le porche inquiétant par lequel on sort des Mauvais Genres pour rejoindre des ondes plus claires.  
 
ActuSF : Ce qui impressionne, c'est la cohérence qui se dégage d'une telle réunion, comment parvenez-vous à l'orchestrer ?
François Angelier : Cette cohérence s'inscrit dans le temps, celui de l'émission et l'autre avec un grand T. Je ne m'en rends pas nécessairement compte sur le moment, vu que je suis partie prenante, mais je remarque la formation d'un fort esprit de corps, qui, au delà de l'attrait pour un sujet donné, se nourrit de nos regards mêlés.
 
ActuSF : Une émission que ne renierait pas le Facteur Cheval finalement !
François Angelier : Oui, c'est une bonne comparaison. On ramasse divers objets, trouvés au bord de la route, et on les assemble tous ensemble, on tente de leur donner du sens sans les rendre banals pour autant. Et on partage humblement le tout avec nos auditeurs.
 Et c'est bien là tout ce qu'on leur souhaite, qu'ils continuent d'édifier leur palais radiophonique idéal. 

 

 

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