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Interview 2018 : Marcus Dupont-Besnard & Jeanne L’Hévéder pour la revue Anticipation
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Interview 2018 : Marcus Dupont-Besnard & Jeanne L’Hévéder pour la revue Anticipation

ActuSF : Votre revue Anticipation est disponible depuis juin 2018. Pouvez-vous nous en expliquer le concept ?

Marcus Dupont-Besnard & Jeanne L’Hévéder : Anticipation proposera, dans chaque numéro, une enquête de temps long sur un « futur possible ». À travers une pluralité de points de vue, nous analyserons l'avenir dans toutes ses dimensions pour en dresser des archétypes. L'idée est que les lecteurs et lectrices se sentent comme des architectes : au début de la revue, le futur abordé n'est qu'une vague ébauche, et puis il prend forme au fil de la lecture. Pour dessiner ces archétypes du futur, notre revue se base sur un éclectisme d'interviews. Par exemple, le premier numéro sur le transhumanisme se penche certes sur son aspect technoscientifique, mais aussi sur ses versants politiques, sociaux, psychanalytiques. D'où l'omniprésence de la science-fiction dans la revue : sa capacité à dresser le portrait de l'avenir avec une précision et une acuité redoutables fait d'elle un excellent outil d'analyse. Cette galaxie d'approches contribue à construire une vision globale et cohérente de l'avenir. Et enfin, puisque nous sommes attachés à plonger littéralement les lecteurs et lectrices dans le futur, l'originalité de notre format est de proposer des grands entretiens retranscris en intégralité sous forme de questions / réponses. Le résultat est une véritable immersion dans la vision, les recherches, les idées de nos intervenant.e.s.

ActuSF : Elle est disponible en format papier et numérique. Quelles sont vos motivations pour ce double format ?

M. D-B. & J. L'H. : Le numérique offre des innovations révolutionnaires dans le traitement de l'actualité, mais on a trop tendance à croire que le journalisme sur papier va mourir à cause de ça. En fait, il est simplement question ici de réinvention ; de créer une nouvelle configuration générale faisant que ces deux formats se complètent intelligemment. Si nous avons choisi la forme d'une « revue-livre » essentiellement papier pour Anticipation, c'est parce que ce support est adéquat pour des enquêtes et décryptages de temps long. Avec un bouquin, on peut se poser sur notre canapé ou dans un transat, respirer un grand coup et prendre le temps de lire en détails. Avec un bouquin, c'est le nombre de pages qui s'adapte aux besoins de l'enquête. Et avec un bouquin, exit le survol du texte ou bien la seule lecture des titres, le lecteur a choisi d'acquérir cet ouvrage par affinité ou par curiosité pour le sujet abordé, et donc on sait qu'il va le lire avec soin, en retenant la plupart des informations. Nous avons ajouté une version ebook tout simplement parce que cette expérience permise par les ouvrages sur papier est dorénavant vécue par un large public à travers les liseuses numériques. Ces lecteurs et lectrices y trouvent de l'apaisement, du plaisir autant qu'avec le papier, ainsi qu'une praticité économique. Il faut respecter cela en donnant le choix entre les deux supports.

 


ActuSF : Sur votre site, vous qualifiez votre magazine de revue-livre. Pourquoi avoir choisi ce terme ?

M. D-B. & J. L'H. : La réponse est en partie liée à ce que nous avons évoqué précédemment. Anticipation n'est ni un magazine, ni un journal. Sa forme est hybride. Anticipation est, dans sa prise en main, un véritable livre de moyen format. Voilà qui était, à nos yeux, la meilleure façon d'épouser ce que le papier peut offrir au journalisme pour son aspect temps long : faire de chaque numéro de la revue un objet en soi, que l'on peut ranger dans sa bibliothèque, garder de côté pour le relire, emporter avec soi, manipuler avec plaisir. Le premier numéro constitue donc un seul et même texte, divisé en grandes parties et en grands entretiens, sur 124 pages. Mais le confort de lecture est légèrement différent que pour un roman ou un essai, nous avons épuré la mise en page avec un interligne et une police d'écriture plus larges, afin de faciliter une lecture fluide nécessaire à une approche journalistique.

ActuSF : Quelles seront les rubriques au sommaire de Anticipation ?

M. D-B. & J. L'H. : Dans le numéro 1 sur le transhumanisme, nous abordons les sciences et technologies, mais aussi la médecine, la philosophie, la politique, et nous faisons de nombreuses excursions du côté de la science-fiction… Mais le numéro n'est pas découpé en fonction de ces thèmes. Il n'y a aucune rubrique dans Anticipation, ce sont plutôt des grandes parties qui découpent l'enquête. Vous n'aurez pas d'articles à picorer par-ci par-là dans des rubriques, le texte est construit comme un « tout » cohérent et se lit, de préférence, dans l'ordre (nous n'avons pas mis de sommaire pour pousser, justement, à la découverte au fil des pages). Les différentes thématiques sont réparties au fil de l'enquête et en fonction des spécialités de celles et ceux avec qui nous nous sommes entretenus.

 


 

ActuSF : Votre premier numéro a pour titre « Transhumanisme : la science va-t-elle modifier l’espèce humaine ? ». Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a fait sélectionner cette thématique pour le numéro inaugural ?

M. D-B. & J. L'H. : Le transhumanisme est un mouvement qui entend fusionner l'être humain avec les technologies. Cela peut être perçu comme un fantasme un peu enfantin de type cyborg, mais le problème est que les sciences et technologies sont en train de prendre une telle importance dans nos vies que ce fantasme est en passe de se structurer, de prendre corps dans la société comme pouvant relever d'une possibilité. Des partis politiques et des associations transhumanistes se créent partout dans le monde. Quand on voit qu'on ne peut plus se débrouiller sans un smartphone, il est difficile d'imaginer que les générations à suivre refuserons de se le voir implanter dans le poignet ou dans le cerveau. Et il y a, dès aujourd'hui, des gens pour essayer de faire ça, des transhumanistes aux biohackers, avec toute une vision spécifique du monde derrière. Dès lors, notre travail journalistique n'est pas d'agiter le spectre d'une apocalypse dystopique, mais de prendre acte des énormes enjeux du transhumanisme : il faut anticiper jusqu'où peut et doit aller la modification du visage de l'Humanité par les technosciences, pour éviter les dérives. Avec ce premier sujet, on touche au coeur de ce qui a motivé la création d'Anticipation : décrypter le futur, pour mieux comprendre les enjeux actuels de notre société et mieux en préparer le devenir. Chaque personne interviewée apporte ses propres réponses, nous avons rencontré des « anti » et des « pro », mais l'idée générale du numéro est journalistiquement neutre : apporter des clés de compréhension pour favoriser un débat public sur ce sujet.

ActuSF : À quelles thématiques peut-on s’attendre dans les prochains numéros ?

M. D-B. & J. L'H. : Sur un sujet comme le transhumanisme, nous sommes par essence dans une question reliée au futur. Mais dans l'art de l'anticipation, il s'agit aussi de prendre des éléments fondamentaux de nos vies quotidiennes, de notre société, et d'extrapoler pour en percevoir le devenir. Donc les mutations urbaines (villes, transports), les rapports humains (famille, amour, égalités), notre impact sur la nature (biodiversité, environnement, alimentation), la géopolitique et évidemment l'exploration spatiale sont autant de grands thèmes sur lesquels nous aimerions enquêter pour les prochains numéros.

 

ActuSF : Vous vous lancez avec Anticipation sur le marché des revues, avec comme spécificité de vous concentrer l’anticipation. Comment est perçue la science-fiction dans le journalisme actuel ?

M. D-B. & J. L'H. : La science-fiction a longtemps été reléguée dans la presse comme sous-genre. Ce n'est plus entièrement le cas. Déjà, dans les colonnes culturelles, les films et les séries SF ont une plus grande place du fait de leur grand retour sur nos écrans. Pour la littérature, cela reste encore assez compliqué. Ensuite, nombreux sont les titres de presse et les médias qui se sont pourvus, au cours de cette décennie, d'une rubrique dédiée tout ou en partie au futur : RTL, Le HuffPost, Libération, Le Monde, etc. Et dans cette rubrique, on retrouve beaucoup de sujets liés à la SF. Il y a eu une prise de conscience dans le journalisme que la SF est un puissant outil d'analyse sur des sujets fondamentaux de la société et de l'actualité. Ce n'est pas pour rien que le créateur de la série « Black Mirror » est aussi journaliste ! Pour se projeter jusque très loin dans l'avenir, les auteurs et autrices de SF ont besoin d'ancrer solidement leurs réflexions dans le présent, puis ils extrapolent. Donc face à l'omniprésence croissante des sciences et technologies dans notre quotidien, la SF est le genre fictionnel qui répond le plus aux questionnements actuels que tout le monde se pose. Le journalisme va être amené à mobiliser et valoriser toujours davantage ce genre. C'est aussi la mission que nous nous donnons personnellement, que ce soit dans nos carrières individuelles ou dans Anticipation.

ActuSF : Puisque l’on parle du monde de demain, comment projetez-vous l’avenir de la revue ? Des hors-séries à venir peut-être ?

M. D-B. & J. L'H. : Le format d'Anticipation est très libre, chaque numéro pourrait être totalement différent, ce qui va être, nous l’espérons, une force. Si le numéro 1 comporte 124 pages, une quinzaine d'entretiens et quatre-cinq illustrations, nous ne voyons aucune objection à ce que le numéro 3 comporte, par exemple, plus de 200 pages, quatre-cinq grands entretiens et une vingtaine de pages de comics avec deux nouvelles ! En fait, chaque numéro s'adaptera aux besoins du sujet, selon ce que donnerons les enquêtes, selon nos envies et les propositions qu'on pourra aussi nous faire. Chaque numéro sera une « expérience » unique, pourquoi pas transmédia. En tout cas, nous songeons vraiment à enrichir nos futures pages avec un peu de fiction : nous aimerions, un jour, publier des nouvelles, des comics, des mangas… Soit dans des hors-séries, soit tout simplement pour accompagner les enquêtes.

 

Crédits photos : Muriel Besnard & Geoffrey Husband

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