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Interview Ayerdhal
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Interview Ayerdhal

Actusf : Comment est née l’idée de l’Homéocratie ? Comment pourrais-tu nous la présenter ? 
Ayerdhal : Homéo-, du grec ὅμοιος (hómoios), signifie « semblable » et, au cas où cela aurait échappé à quelqu’un (on ne sait jamais, on n’est jamais assez prudent), -cratie, du grec κράτος (krátos) signifie « pouvoir ». L’Homéocratie est donc un système de gouvernement dans lequel tous les membres disposent des mêmes pouvoirs, droits et devoirs. Cela dit, puisque ses membres sont des États-nations, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un gouvernement fédéral, déguisé sous un néologisme dont la seule vocation est de faire joli. Essayez, mettez-le dans un cadre au-dessus de la chasse d’eau et vous constaterez que ça fait très joli, surtout si vous avez des goûts de chiottes.
Désolé, je suis incapable de commencer un paragraphe aussi pompeusement sans le tourner en dérision. Je ne recommencerai plus, c’est promis. Je veux dire : je promets d’essayer.
Pouf pouf, où en étions-nous ?
Ah oui, l’Homéocratie ! L’Homéocratie est une déclinaison constitutionnelle des Nations Unies à l’échelle ­interplanétaire. Réunissant, si je ne m’abuse, deux cent soixante États-mondes, du moins dans La Bohême et l’ivraie, elle est gouvernée par une assemblée – le Conseil Homéo­crate – qui élit un président, épaulé par des institutions – par exemple la Commission éthique – qui ont une furieuse tendance à échapper à tout contrôle pour servir des intérêts sans rapport avec le bien-être des différentes communautés et des citoyens qui les composent. Cela vous rappelle sûrement quelque chose.
Ajoutez à cela les magouilles des différents États-mondes, dont les systèmes politiques sont aussi divers qu’instables, le lobbying d’entreprises transplanétaires et les exactions de consortiums épaulés par l’un, l’autre ou plusieurs services secrets. Incorporez de-ci de-là quelques pincées d’idéalismes pas forcément compatibles. Mélangez bien et vous obtenez un beau bordel qui n’est pas sans rappeler celui que nous connaissons ici et maintenant.
 
 
Actusf : Comment a-t-elle évolué au fil des années ?
Ayerdhal : L’Homéocratie est née des vestiges d’une petite fédération d’États-mondes (époque de Mytale) qui, après être venue à bout d’un gouvernement totalitaire, s’est délitée en croissant. Sa cohésion réside dans la crainte d’un retour du totalitarisme et dans sa capacité à mettre en place des structures coercitives qui ne cessent de la précipiter vers le gouffre qu’elle redoute. Elle n’évolue pas, elle rebondit de crise en crise, au fil d’une expansion qui la distend à la limite de la rupture et qui la rappelle, un peu comme un élastique, vers ses credo initiaux. Elle vit de ses oppositions et elle survit grâce à ses opposants, qui la ressoudent ­malgré eux en s’engluant dans l’interstellarisation (ça ne vous rappelle rien ?) particulièrement d’un point de vue économique et politique. Certains s’organisent en marge d’elle, d’autres lui échappent complètement ou l’expulsent de leur monde, sa grande force est de les ignorer, tablant sur son immensité et sur sa pérennité pour, au besoin, les réintégrer en son sein. À terme, elle est appelée à s’ouvrir à d’autres structures ou à en rallier une plus vaste, dont ­l’humanité ne serait qu’un composant.
 
 
Actusf : Tu y as placé trois romans (dont ton premier) et les deux novellas qui sont dans ce recueil. Pourrais-tu y revenir aujourd’hui ?
Ayerdhal : Oui. Une période m’intéresse particuliè­rement. Celle de l’Expansion, qui suit La Bohême et l’ivraie et inclut Le Chant du Drille et les deux novellas de ce recueil. J’ai beaucoup à dire sur les perversités du colonialisme...
 
 
Actusf : La Bohême et l’ivraie est ton premier roman et se déroule dans cet univers. Comment l’as-tu imaginé ? Quel écrivain étais-tu à l’époque ?
Ayerdhal : Je n’étais pas écrivain, je le devenais. J’avais cessé de lire des romans depuis deux ans, mais j’étais imprégné des milliers d’ouvrages que j’avais lus, dont une moitié ressortissait à la science-fiction. J’étais à la fois le fruit de ma culture littéraire et plus libre d’elle que je ne l’avais jamais été. Comme pas mal d’auteurs, j’ai mis dans ce premier bouquin tout ce que j’avais dans le ventre – beaucoup de ce qui me travaillait aux tripes et quelques-unes de mes nausées – et l’essentiel de ce que j’avais dans le cœur (celui qui compte, celui qu’on a dans la tête). Je ne peux pas dire que c’est mon ouvrage le plus personnel, tous le sont, d’une manière ou d’une autre, d’une époque de ma vie à une autre, mais il exprime, parfois en filigranes, parfois en caractères bien gras, le regard que j’ai toujours sur le monde et sur l’humanité. Dans ce regard, il y a un peu d’espoir et énormément de colère.
Pour me faciliter la vie en évitant de me mettre en scène, même de manière fantasmée, comme le font nombre de romanciers en herbe, j’ai arbitrairement distribué les trois facettes les plus marquées de ce qui me sert de personnalité à trois personnages différents. Et, pour me distancier un peu plus, un tout petit peu, j’ai construit les noms de mes personnages autour de jeux de mots pourris... ce que j’ai continué à faire, au moins pour les personnages principaux, dans la plupart de mes ouvrages. Bonne chasse !
 
 
Actusf : Le kineïrat, qui est au centre du roman, est un art jouant sur toute la gamme des perceptions humaines. Tu avais envie d’imaginer un art total ?
Ayerdhal : J’ai fait de mon mieux pour que ça y ressemble, en tout cas, et je n’ai toujours pas réussi à en imaginer un plus exhaustif.
 
 
Actusf : C’est l’histoire d’un affrontement entre des artistes et l’Homéocratie. Quel regard portais-tu et portes-tu aujourd’hui sur l’art ? Est-ce toujours un synonyme de liberté sociale ?
Ayerdhal : Heureusement que j’ai lu toutes les questions avant de répondre à celle-ci, sinon j’aurais spoilé la question sur ma sentence préférée.
La culture est le seul garant de la liberté. L’art est un de ses véhicules.
 
 
Actusf : Avec le recul, comment juges-tu ce premier roman ?
Ayerdhal : Avec indulgence et circonstances atténuantes ? Tendresse ? Satisfaction ? Fausse modestie ? Je ne sais pas. Dans mon tiercé personnel, je lui accorde volontiers la médaille en chocolat. Mais c’est aussi le roman le plus important, puisque, en m’ouvrant les portes éditoriales, il m’a permis d’écrire les autres et de vivre, plus ou moins confortablement, de ma plume électronique.
 
 
Actusf : Le Chant du Drille se déroulait sur Taheni et mettait une nouvelle fois à mal l’Homéocratie. Même question, comment est né ce roman et qu’avais-tu envie de faire ?
Ayerdhal : Le Chant du Drille, curieuse histoire. C’est son histoire qui est curieuse, pas celle qu’il raconte, hein ? Encore que...
Il a bien failli être mon premier roman publié et, alors que j’avais déjà écrit la moitié de Mytale, il a été le premier achevé, puisque j’ai dû reprendre La Bohême et l’ivraie pour répondre au calibrage de la collection Anticipation en le découpant en quatre tomes et que j’ai jeté la première et partielle version de Mytale pour cause d’insatisfaction tenace (c’était de la merde).
Dans mes souvenirs, il est né de l’envie de toucher deux mots du colonialisme (déjà !) et de m’essayer à une structure de récit linéaire dans un cadre simplifié. Opération réussie jusqu’à ce que, de report de parution en report de parution, je doive lui aussi le reprendre pour une édition en deux tomes. Par la suite, j’ai eu envie de remettre Lodève Dallelia en scène, cette fois pour toucher deux mots de paléontologie, d’anthropomorphisme et de misonéisme. Un jour, qui sait ? 

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