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Interview Christian Chavassieux sur Mausolées
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Interview Christian Chavassieux sur Mausolées

Actusf : Pouvez-vous vous présenter et nous dire comment vous en êtes venu à l’écriture ?
Christian Chavassieux : J'ai 53 ans, je travaille à Roanne (Loire) et je vis à la campagne. En dehors de mes activités professionnelles, je consacre tout mon temps à l'écriture et à l'amour de ma douce. Comme beaucoup d'écrivains, la source de mon goût pour l'écriture est si lointaine qu'elle se perd dans des limbes, mais je sais que j'ai pondu ce que je croyais être un roman à l'âge de 11 ans et une sorte de « légende des siècles » en alexandrins, vers 13 ans. Ma première motivation, je suppose, était de (me) raconter des histoires. Pour cela, d'ailleurs, j'ai d'abord déployé tout un arsenal : BD, films, fictions radiophoniques, scénographies d'expos, tout était bon pour entraîner un spectateur dans un univers, une aventure, des tribulations. Petit à petit, grâce à la poésie notamment et à des auteurs dont je parlerai plus loin, je me suis avisé qu'il était tout aussi essentiel de proposer une voix singulière. J'ai laissé tomber toutes les autres formes artistiques et me suis consacré exclusivement à l'écriture - à ce que j'appelle une forme enchantée de l'écriture : la littérature. 
 
 
Actusf : Quelles sont vos influences ?
Christian Chavassieux : Vers 17-18 ans, je me suis échappé des lectures académiques qui faisaient mes délices, Hugo, Homère, la Bible... et j'ai plongé dans la SF de façon boulimique. C’est assez mystérieux, mais il existe sans doute des passerelles entre la complexité des mythes anciens, la fantaisie d'auteurs romantiques, et le foisonnement d'imagination des auteurs de SF. J'ai tout lu alors : Herbert, Van Vogt, Asimov, Bradbury, Lovecraft, Bloch, Matheson, K. Dick, Spinrad, Rosny-Aîné... surtout les Anglo-saxons, pas du tout les français, hors Verne, Boule ou Barjavel (Rosny-Aîné ? Il est belge, vous savez). Et puis, j'ai découvert Brussolo, King, en même temps que des auteurs comme Kafka, Buzatti ou Marïen. Mais ce sont des raccourcis, en fait, je lis et j'ai toujours lu toutes les formes de littérature, à partir du moment où j'ai à faire à un phrasé, une texture, quelqu'un qui manipule la langue et la fait jubiler. De Chloé Delaume en passant par Pierre Michon ou Volodine, de Pierre Présumey à Éric Chevillard en passant par Céline, Woolf ou Rabelais, je veux seulement me sentir désarçonné, aimé, surpris. Le récit, les péripéties, sont un viatique (et j'aime que ce soit adroit et riche), mais je veux que l'aventure ne s'arrête pas à ce stade, je veux vivre une expérience littéraire. Donc, en tant qu'auteur, bien sûr, j'ai l'ambition de m'exprimer sur tous ces niveaux. Le récit pour le récit m'ennuie, je ne peux plus lire ce genre de bouquins, ça me met en colère.
 
 
Actusf : Est-ce qu’il est plus difficile d’écrire un roman, ou de la poésie et du théâtre ? Quel mode d’écriture préférez-vous ?
Christian Chavassieux : Le roman m'est le plus naturel. J'aime sa longueur, l'amplitude, le temps qu'il exige de la part de l'auteur et du lecteur. J'aime sa capacité à développer des idées, des ambiances, à donner chair à des personnages, à les faire évoluer sur des années, j'aime l'opportunité qu'il offre de mêler les genres aussi. Quelle chance, vous imaginez ? Un mot : un sens ; une phrase : une idée ; vous voyez le nombre d'idées qu'on peut délivrer dans un roman, et tout cela, comme en musique, dans une variété de registres illimitée ? C'est un support merveilleux. J'aime beaucoup le théâtre, notamment à cause du travail de mon metteur en scène, François Podetti*, qui explore l'intention de chaque mot, travaille le texte au plus près. Un bonheur pour un écrivain. Pour la poésie, bien que certains de mes textes soient publiés chez des éditeurs de poésie (La petite Fabrique, Sang d'Encre) ou dans des revues de poésie (Microbe, Le Chasse-Patates, Comme en poésie), je ne sais pas écrire de poèmes. Disons qu'il s'agit de prose poétique. Parfois, dans mes romans, certains surgissements, certaines images ressortent de la poésie. Il y a aussi l'écriture de BD, mais comme presque aucune des quelque 300 planches scénarisées pour mes potes dessinateurs n'a connu de publication, passons à autre chose.
 
* Et oui, le Cap'tain Shampooing de Hero corp est aussi un homme de théâtre. Et un grand amoureux de la littérature.
 
 
Actusf : Vous travaillez comment ? Pouvez-vous nous parler de la genèse de Mausolées ?
Christian Chavassieux : Nulla dies sine linea. J'écris chaque jour (j'ai d'ailleurs un blog alimenté quotidiennement), depuis une quinzaine d'années. Ça commence à faire une grosse production. J'écris directement sur l'ordinateur, sauf exception. Je peaufine chaque phrase, au mot près. Je ne mets jamais un mot vague ou fluctuant pour exprimer une notion. J'ai appris par expérience que la moindre nuance de pensée est servie par un mot et un seul. Il faut le trouver, cela peut prendre un temps énorme, des vérifications laborieuses, une visite dans des dictionnaires oubliés, des emprunts à d'autres langues, mais j'aime cette justesse, cette précision du vocabulaire. La conséquence de ce travail est l'épure. On supprime beaucoup, on élague, on évince quand on veut être précis. J'ai inventé un petit oxymoron qui exprime bien l'idée : « Écrire, c'est effacer ».
Mausolées est un de mes premiers romans, le premier en tout cas qui me semblait assez bien construit pour être proposé à l'édition. Et puis le temps a passé (10 ans ou plus) ; je gardais cet énorme volume sous le coude, bien conscient qu'il n'était pas éditable en l'état (même si Andrevon, premier lecteur « pro », m'avait encouragé). Entre temps, j'avais eu le bonheur d'être édité. Un jour, entre deux chantiers, j'ai retroussé les manches et je m'y suis mis. J'ai retrouvé avec un bonheur mêlé d'effroi les thèmes qui m'inspirent toujours aujourd'hui (les dictatures, la démocratie, l'identité des individus et des sociétés, la relation fiction/réel) et une écriture, euh... disons un peu lourdingue. J'ai tout repris, tout réécrit, fait maigrir le mammouth et amélioré l'ensemble grâce à l'expérience que j'avais acquise. Mnémos l'a accepté. Il s'est passé encore un an avant la publication, délai mis à profit pour retravailler avec Frédéric Weil et ma correctrice, Stéphanie Chabert, qui a relevé impitoyablement la moindre image un peu paresseuse ou notion un peu commune. Il fallait ce regard extérieur pour améliorer encore le texte. Moi, j'en étais trop proche, trop imprégné, je n'avais plus le recul nécessaire.
 
 
Actusf : Pourquoi ce titre ?
Christian Chavassieux : Le titre d'origine était « À la Droite du Diable ». Je me suis promené avec ça pendant des années et, en 2012, quand Mnémos a choisi le roman, venait de sortir un roman de Fantasy sous ce titre. La tuile ! Finalement, j'ai trouvé, sur une inspiration : Mausolées. Il a été adopté par tout le monde très vite. Il évoque d'abord un mausolée décrit dans le roman, une sorte de cathédrale cristalline construite par un célèbre comédien, rendu fou de douleur par la mort de sa compagne ; il évoque ensuite une réplique d'un des personnages, condamné par la maladie, qui est saisi par l'impression que tout ce qu'il a entrepris est vain et qu'il sera enterré dans son palais, devenu un autre mausolée, non loin du premier. Et puis, le titre dit quelque chose de l'ambiance du livre, de la morbidité qu'il renferme, des passions délétères et tragiques qui y sont à l’œuvre. Je suis finalement très heureux que nous ayons été obligés de ne pas garder le titre d'origine. Mausolées est bien meilleur. 
 
 
Actusf : Comment vous est venue l’idée du Palais des fous ?
Christian Chavassieux : Comment viennent les idées... Elles s'imposent, je ne sais pas. Je suppose que, amoureux d'histoire de l'art, je ne suis pas insensible à la présence des jeux d'échec dans les natures mortes flamandes. Le récit inquiet qui semble émaner de ces tableaux tellement silencieux, par la simple présence d'un damier.... Il y a plusieurs effets de miroir et mises en abyme dans Mausolées. Le jeu de stratégie permet d'en établir un de plus. Il peut être vu comme une allégorie de la vie dans le vrai Palais et des personnages qu'il abrite ; création d'un homme de pouvoir, il est le symptôme de son obsession de la trahison et des complexes relations d'alliance et de diplomatie. Il est un révélateur et le support des fantasmes des protagonistes (et du lecteur, j'espère). Dois-je dire que c’est, comme tant de vérités assénées dans le roman, un leurre de plus ? On donne trop d'importance aux symboles dans l'existence, vous ne trouvez pas ? On leur donne trop de pouvoir. 
 
 
Actusf : Le poids du passé et de la mémoire m’ont semblé être un des éléments centraux du roman...
Christian Chavassieux : Oui, merci de relever cet aspect. C’est une dimension essentielle en effet. Il se trouve que, à l'époque de l'écriture de Mausolées, mon père entrait dans le lent engourdissement de la maladie d'Alzheimer. J'ai vu cet être de mémoire et de savoir, s'évanouir sous mes yeux, au fil d'un long processus, j'ai assisté à l'effondrement de ses facultés, j'ai vu son identité basculer dans le néant. J'étudiais en même temps l'histoire du livre, j'ai eu la chance de manipuler de vrais manuscrits enluminés. Je crois que tout cela a imposé des parallèles entre le texte, support de mémoire pour les peuples, et la mémoire des hommes. Que serait une société dont la mémoire se réduit, s'amenuise, finit par disparaître ? Qui serions-nous sans la permanence de nos propres récits ? Et réciproquement, que seraient nos récits, sans notre vigilance à les conserver vivants ?
 
 
Actusf : Est-ce que la ville de Sargonne participe à la vie du texte, au même titre que les personnages ? On peut la considérer comme un protagoniste à part entière ?
Christian Chavassieux : Oui. Sargonne est divisée en deux parties concentriques. La périphérie est une ville récente, sans doute construite après les Conflits (mais je ne m'y attarde pas, elle n'a pas d'intérêt). La ville ancienne, au centre, semble un organisme. Elle a ses humeurs, son architecture est étrange, inconfortable, quelque chose ne va pas, elle génère le malaise. Sa complexion labyrinthique est à l'unisson du récit, des enjeux, des atermoiements, elle est aussi une allégorie de ce qui se passe dans le roman. Au niveau du texte, elle me permettait d'apporter des odeurs, des sensations. Elle est aussi un leurre : les personnages sortent de la forteresse pour prendre l'air et se retrouvent dans un magma presque viscéral, reflet des pulsions intimes, des peurs primitives. 
 
 
Actusf : Quel est votre rapport au livre, en tant que support ? Comment percevez-vous l'arrivée du numérique ?
Christian Chavassieux : Mon âge dit assez que je suis imprégné de la culture papier. Je vous ai dit que j'avais étudié l'histoire du livre. Il se trouve que ma compagne est libraire, que nous avons une assez belle collection de bibliophilie et... un certain nombre de livres. J'ai été graphiste, j'ai la chance d'avoir été publié chez des éditeurs de livres d'artiste, quelques exemplaires précieux illustrés d'eaux-fortes originales. Je sais ce que c’est qu'un beau papier, le grain d'une typo au plomb, une reliure soignée, une estampe. J'adore ça. Pour autant, je ne redoute pas le passage au numérique. J'y vois la mort du roman, en tout cas tel que nous le pratiquons encore, et tel que j'aime encore l'écrire, mais chaque civilisation imagine la forme littéraire qui lui est adaptée. J'écrirai pour le support numérique des récits spécifiques, dans une langue créée pour elle. Ce ne sera ni du blogging, ni du tweet, ce sera autre chose. Je ne crains pas d'en découdre avec des formes inédites. 
 
 
Actusf : Quels sont vos projets ?
Christian Chavassieux : Il y en a beaucoup. Avec Mnémos d'abord : je crois que je peux annoncer une trilogie de Fantasy (enfin, aussi Fantasy que Mausolées est SF, si vous voyez ce que je veux dire) et, plus tard, une préquelle de Mausolées. L'occasion de révéler certaines choses du passé de Pavel, Iradj, Set et les autres, de mettre en scène les chimères et les humanimaux, d'entrer dans la complexité et la barbarie des Conflits. Mais nous n'en sommes pas là. Dans le cadre de mes autres domaines d'écriture, ma prochaine pièce, Pasiphaé, sera jouée dès septembre prochain, il y aura plusieurs éditions en poésie aussi et mon prochain roman est à paraître chez Phébus, pour la rentrée littéraire 2014. Il s'intitule « L'Affaire des vivants » et j'aimerais que les lecteurs de Mausolées viennent y aventurer leur curiosité, comme j'espère que les lecteurs de ma veine « blanche » viendront découvrir mon travail en littérature de l'imaginaire. Ah, s'il était en mon pouvoir de rendre plus perméables certaines cloisons !

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