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Archives Interview Ian McDonald (2012)
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Archives Interview Ian McDonald (2012)

A l'occasion des 20 ans d'Actusf.com en 2020, on vous propose nos plus belles archives. Aujourd'hui une interview en 2012 de Ian McDonald pour La Maison des Derviches.
 
Actusf : Comment l’idée de ce roman est née ?
Ian McDonald : Tout m'est venu lors d'un vol entre Los Angeles et Londres en 2006 alors que je revenais de la Convention Mondiale de Science Fiction d'Anaheim (« La Petite Déesse » était nominée pour le Hugo de la meilleure novella). J'étais intéressé par la Turquie depuis un moment, surtout depuis que le pays, assez calmement et sans que personne ne s'en rende vraiment compte, avait vécu une révolution économique, grâce à sa situation parfaite entre les économies basées sur le pétrole du Caucase et celles de l'Union européenne. Une fois arrivé à l'aéroport d'Heathrow, tout était en place : il y aurait six personnages et ils seraient plus étroitement liés ensemble que ceux du Fleuve des dieux, ils seraient tous associés à la vieille maison des derviches de la place Adam Dede et tout se déroulerait sur cinq jours. Les longs courriers sont de bons endroits pour s'enfoncer loin dans son esprit.
 
 
Actusf : La Maison des Derviches est un roman d’une richesse incroyable. Est-ce qu’il vous a demandé beaucoup de documentation ?
Ian McDonald : Oui, j'ai trois étagères remplies de livres sur la Turquie (et les nanotechnologies, le négoce de matières premières et la calligraphie islamique) et il m'a fallu plusieurs voyages à Istanbul pour obtenir tout ce dont j'avais besoin (quelle épreuve ! Ma période préférée pour y aller était en janvier avec la neige sur les mosquées et les cafés pleins de salep, cette boisson chaude faite à partir de poudre de racines d'orchis ; la lumière d'hiver sur les ferries du Bosphore et les hommes continuant de pêcher sur le pont Galata, simplement emmitouflés pour lutter contre le froid... Comme vous pouvez le voir, c'est une de mes villes préférées). Il m'a fallu trois ans avant de commencer à l'écrire.
 
Actusf : On a à la fois un récit très moderne (nanotechnologie) mais aussi très tourné vers le passé (anciennes légendes, poids des traditions, etc.) Qu’aviez-vous envie de faire avec ce livre ?
Ian McDonald : Exactement. Le présent contient toujours le passé et dans le futur, notre présent appartiendra à l'histoire. Il n'existe pas de feuille blanche historique, aucune société ni technologie ne fait table rase du passé et instaure une année zéro. Ainsi, si raconter le futur revient à décrire un endroit où les gens vivent plutôt qu'un endroit où se déroule une intrigue, il doit contenir également le passé. Et Istanbul a une sacrée histoire.
 
Actusf : Justement, pouvez-vous nous parler de cette légende de l'homme mellifié ? Comment l'avez-vous découverte ? Qu'a-t-elle de particulier par rapport à d'autres légendes ?
Ian McDonald : Tout le monde semble adorer l'homme mellifié. Je suis tombé sur cette histoire dans un article sur BoingBoing en juillet 2006. Et j'ai su qu'il fallait que je l'utilise. Cela faisait partie de ces choses
qui se sont assemblées dans ma tête lors de ce voyage en avion. J'ai fait un peu de recherches et découvert l'origine de cette histoire, dans les écrits d'un pharmacologue chinois, Li Szizhen. Il le citait en tant que quasi-légende arabe. De nos jours, j'apprécie beaucoup ces choses qui pourraient devenir légendaires... ou non. Et s'il y a bien un endroit au XXIe siècle où vous pourriez trouver un homme mellifié, c'est Istanbul. Sont-ils réels ? Peut-être. Ce qui me plairait le plus, ce serait que la légende dans le roman devienne populaire.
 
Je n'en ai pas terminé avec l'homme mellifié. La question qui me revient le plus de mes lecteurs est « que lui arrive-t-il ? ». J'ai une proposition sur le marché en ce moment qui y répond... et bien d'autres choses. Six histoires se sont liées autour de celle de l'homme mellifié, du XVIIe siècle en Anatolie jusqu'à l'Istanbul à l'aube du XXIIe siècle. Cela a soulevé pas mal d'intérêt.
 
Actusf : L’économie et la politique, avec notamment la question de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, sont au cœur de ce roman. Qu’est-ce qui vous intéressait dans les deux sujets ?
Ian McDonald : La politique est toujours intéressante, c'est le moteur de n'importe quel roman de science fiction qui essaye d'envisager sérieusement un futur possible. Et la politique turque l'est particulièrement... et a déjà changé depuis que j'ai écrit le roman. Le gouvernement bien plus islamique de Recep Tayyip Erdogan semble moins favorable à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne : ils ont le sentiment que leur pays n'a pas besoin de l'UE pour être un joueur majeur dans la politique régionale – regardez leur position face aux évènements en Syrie. Il y a un vieux jeu politique entre l'Iran et la Turquie (qui remonte au XVIe siècle) et la Turquie est déterminée à contrer l'influence iranienne afin de promouvoir la sienne. Le pays est encore officiellement laïque et c'est un politicien insensé qui voudrait changer ça. Il y a aussi une longue histoire de révoltes et de soulèvements.
Quant à l'économie, du moins il me semble, elle est devenue un sujet à traiter d'une manière science fictive depuis qu'elle est considérée comme une science expérimentale – l'économie comportementale est quelque chose de fascinant. Je la vois comme un sous-ensemble de la psychologie sociale, expliquant les nombreux comportements irrationnels derrière la supposée rationalité de l'économie classique. Les agents ne peuvent répondre rationnellement à un stimulus irrationnel.
 
Actusf : Vous y parlez du sujet sensible du terrorisme dans un pays que l’on connaît peu. Est-ce plus délicat de parler du terrorisme que d’un autre sujet ? Et comment ce roman a-t-il été accueilli lors de sa sortie ?
Ian McDonald : C'est quelque chose que je connais bien, ayant vécu durant trente-cinq ans les troubles de l'Irlande du Nord. Le principal à propos du terrorisme dans La Maison des derviches c'est que ce n'est pas ce que vous pensez que c'est. C'est délibéré : « oh, une bombe dans un tram, ça doit être les Islamistes radicaux ». Et bien, non, ce n'est pas eux. C'est bien plus bizarre que ça. Mon boulot en tant qu'écrivain est de faire
s'interroger les lecteurs sur les idées reçues – celles du monde en général mais également les miennes. La science fiction est un bon médium pour ça.
 
Actusf : Certaines critiques vous présentent comme un “sociologue du futur”. Est-ce que la formule vous convient ?
Ian McDonald : C'est très gentil mais écrire est bien plus amusant.
 
Actusf : Est-ce que d'autres nouvelles ou novella sont prévues dans cet univers, un peu comme avec l'Inde du Fleuve des dieux, décrite dans plusieurs autres textes ?
Ian McDonald : Voir plus haut. Titre de travail : « The Memory of Honey ».
 
Actusf : Après le Brésil, l'Inde et la Turquie, quelle est la prochaine destination ?
Ian McDonald : Je travaille en ce moment sur la série young adult Everness mais, en plus de « The Memory of Honey », j'ai un autre projet en cours, Hopeland, qui est en gestation depuis dix ans maintenant. Des grandes cultures, je suis maintenant intéressé par les plus petites. Des endroits comme Les Tonga, dans le Pacifique Sud, où ma compagne, Enid, a travaillé pendant deux ans : 120 000 habitants. Et l'Islande – qui a une population plus petite que la ville de Belfast – et qui pourtant accomplit tant. J'ai aussi cette idée d'une nouvelle forme de structure familiale mise au point dans les années 1920 qui approche la taille d'une nation et est conçue pour durée dix mille ans. J'ai débuté ce roman l'année dernière, à Londres, durant les émeutes. Ce livre aussi a soulevé beaucoup d'intérêt de la part des éditeurs. Je le sens bien. C'est quelque chose que je voulais écrire depuis un moment et si je ne le fais pas maintenant, je ne le ferais jamais.
 
Actusf : Parlez-nous de ces romans que nous ne connaissons pas encore en France, les deux tomes d’Everness ? De quoi parlent-ils ?
Ian McDonald : C'est une série pour les lecteurs plus jeunes – à partir de 12 ans, même si les adultes pourront les apprécier. Elle est surtout faite pour les garçons mais sans écarter le public féminin non plus. Le père d'Everett Singh, un physicien, est enlevé devant ses yeux dans une rue de Londres mais il s'est arrangé pour que le jeune garçon de 14 ans se retrouve en possession de l'Infundibulum : une carte accompagnée du moyen de naviguer entre toutes les terres parallèles. Everett découvre que notre monde a récemment développé un portail, Heisenberg Gate, et sont maintenant en contact avec les Nine parallel earths of the Plenitude of Known Worlds. L'Infundibulum permet à son possesseur de voyager n'importe où dans les mondes connus ou inconnus et se révèle être un appareil d'un pouvoir presque sans limites s'il tombe entre de mauvaises mains – qui appartiennent à la mortellement élégante Charlotte Villiers (elle s'habille comme dans les années 1940, un super look pour une Méchante Fille). Everett fuit à travers les mondes parallèles pour essayer de sauver son père et garder l'Infundibulum en sécurité. Il y a de l'action, de l'aventure, des vaisseaux volants (évidemment!), du football et de la cuisine Punjabi. Les méchants n'ont aucune chance.
 
Le premier roman, Planesrunner, arrivera en 2013. Je ne sais pas pour le deuxième, Be My Ennemy, qui a été publié aux USA par Pyr. Je travaille sur le troisième volume, Empress of the Sun. L'histoire devrait s'étaler sur sept livres.
 
Actusf : Quels sont vos projets, sur quoi travaillez-vous ?
Ian McDonald : Comme je l'ai dit, je travaille sur Empress of the Sun et je travaille également sur un script de Film Secret, et sur quelques nouvelles – il est temps d'en écrire à nouveau. Et sur les prémisses d'une nouvelle trilogie qui sera complètement différente de ce que j'ai pu faire jusque-là. Mais c'est ce que j'essaye de faire à chaque fois.

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