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Interview de Bertrand Campeis et Karine Gobled pour le Guide de l'Uchronie
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Interview de Bertrand Campeis et Karine Gobled pour le Guide de l'Uchronie

ActuSF : Est-ce que vous pouvez nous dire l'un et l'autre comment vous êtes tombés dans l'uchronie ? 
Bertrand : Pour ma part cela a été par palier ! J’ai lu des uchronies sans savoir que cela était un genre. Ma première grande claque a été la découverte de Fatherland, que j’ai acheté en poche dans une librairie à Ussel. L’autre découverte a été faite chez Gibert Joseph, j’étais étudiant en histoire et je suis tombé sur la première édition de L’Histoire revisitée d’Éric Henriet en 1999. Depuis je collectionne tout ce qui sort, et j’en recherche. Par la suite Éric Henriet est devenu un ami proche et nous échangeons régulièrement sur nos découvertes respectives.
 
Karine : J'ai découvert l'uchronie en 2001 avec La Part de l'autre d'Éric-Emmanuel Schmitt. À l'époque, je ne savais pas qu'il s'agissait d'un roman uchronique. Plus tard, quand j'ai découvert l'étiquette « uchronie », j'ai replongé avec délices dans la les lectures d'histoires alternatives. En 2010, sur le RSFBlog, un blog consacré aux littératures de l’imaginaire que j'anime depuis 7 ans, j'ai lancé un défi littéraire autour de l'uchronie. Ce défi a rassemblé 50 personnes et donné lieu, sur trois mois, à la parution de 235 billets sur des œuvres uchroniques. Un bel engouement. Il m'a aussi permis de rencontrer Bertrand qui, en 2011, m'a ouvert les portes du jury du prix ActuSF de l'Uchronie, présidé par Éric B. Henriet, le plus éminent spécialiste du genre en France.
 
 
ActuSF : Qu'est-ce qui vous passionne dans ce genre ? 
Bertrand : L’éclectisme dont il fait preuve. Certes les œuvres uchroniques imaginant une Seconde Guerre mondiale différente se taillent la part du lion, mais chaque auteur à sa façon de voir les choses. Je suis féru d’uchronie personnelle et s’il n’y en a pas beaucoup, je suis souvent bluffé par l’inventivité dont elles font preuve.
 
Karine : L’ouverture du champ des possibles et la diversité des œuvres que l’étiquette « uchronie » recouvre. Entre les uchronies personnelles légères où M. Toulemonde réinvente sa vie et celles plus graves où le IIIe Reich domine le monde, il y a une vaste étendue de sujets et de traitements possible. Avec un parfois un angle de vue très original ou un regard acéré sur la société ou la vie qui rend l’œuvre alternative encore un peu plus passionnante.
 
 
ActuSF :Y a-t-il une œuvre qui vous a chacun particulièrement marqué ? 
Bertrand : Fatherland de Robert Harris, je le relis encore chaque année. L’échange d’Alan Brennert, une uchronie personnelle, fait également parti de mon Panthéon uchronique personnel.
 
Karine : Mis à part les classiques souvent cités en références incontournables, deux titres d’auteurs français m’ont particulièrement marquée. Le monumental Rêves de gloire de Roland C. Wagner, uchronie kaléidoscopique (politique, musicale, sociétale…) et Tancrède, une uchronie d’Ugo Bellagamba pour la mise en perspective d’un destin individuel malmené par les vagues de l’Histoire.
 
 
ActuSF : Qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire ce guide et pourquoi l'avoir fait ? 
Bertrand : Karine m’a demandé si cela me disait de l’écrire, j’ai dit banco tout de suite. Cela faisait des années que je voulais me lancer dans un projet d’écriture, tout en le repoussant sans cesse en me disant que j’en étais incapable. Ce fut l’occasion d’affronter le Dragon.
 
Karine : L'idée d'écrire un guide sur l'uchronie est née en 2013 et vient d'une frustration ancienne : si j'avais eu connaissance de l'existence de cette "étiquette" en 2001, j'aurais cherché d'autres œuvres relevant du genre après ma lecture de La Part de l'autre... Je voulais donner la possibilité à d’autres lecteurs d’identifier les œuvres uchroniques et de ne pas avoir à vivre cette frustration. J’avais dans ma bibliothèque les petits guides à trimballer des éditions ActuSF. En les regardant, je me suis dit « pourquoi pas un guide sur l’uchronie ? ». J'ai donc proposé à Bertrand, passionné du genre et incollable, que nous l'écrivions ensemble. Il a dit oui et nous avons quitté le terrain des livres pour étudier aussi les autres médias (BD, manga, comic, film, animé, théâtre etc.). Éric B. Henriet a accepté de préfacer le guide et ActuSF de l'éditer.
 
 
ActuSF : Il y a le prix Actusf de l'uchronie auquel vous participez tous les deux. Il y a désormais ce guide. Et on voit plein de nouveautés uchroniques en librairie et ailleurs. L'uchronie se porte-t-elle bien et pour quelle raison ? 
Bertrand : Éric B. Henriet fait une analyse intéressante dans la préface de notre guide. L’uchronie se base fondamentalement sur la notion de regret. Le futur nous paraissant de plus en plus vague et incertain, l’Histoire, et dans notre cas, l’Histoire revisitée comporte son lot de charme, qu’elle soit uchronique, steampunk, rétro-futuriste. En fait c’est de la SF à rebours. Le genre se porte bien, je ne dirais pas qu’il explose, mais il acquiert une certaine consistance, le mot uchronie apparaît ici et là, y compris dans des articles de journalistes, voir à ce propos l’explication capillo-tractée de de ce journaliste qui classe le dernier livre de Houellebecq dans le genre uchronique. Le mot est cité plus régulièrement qu’il y a dix ans, mais la formule « Et si ? » permet de mieux faire saisir à tout un chacun ce qu’il veut dire. Ce qui m’interpelle c’est sa capacité à se renouveler, que ce soit sous forme littéraire ou dans d’autres médias, même des thèmes rabattus comme la victoire des Nazis peuvent donner de bons résultats comme le dernier Wolfenstein : The New Order qui joue sur une partition vue et revue en littérature mais très peu exploitée dans l’univers du jeu vidéo. C’est un genre protéiforme qui fait son bonhomme de chemin, sans trop se soucier de savoir s'il est le Next Big Thing.
 
Karine : L’uchronie se porte bien avec des sorties régulières sans être très nombreuses. Si l’utilisation de l’uchronie dans le domaine de l’imaginaire (SF, Fantasy, et Fantastique) est assez récente (elle date des années 1960), ses racines sont anciennes et liées à l’histoire et à son étude. On en trouve la première trace dans les écrits de l’historien grec Hérodote d’Halicarnasse et elle sert encore de nos jours comme outil de compréhension de l’histoire. Avec ces deux ancrages solides (la SF n’est pas morte quoi qu’on en dise), elle constitue un beau terrain de jeu pour les historiens et les écrivains de SF, ce qui lui assure une pérennité à défaut d’un succès écrasant.
 
 
ActuSF : Qu'est-ce que l'uchronie dit de notre époque ? 
Bertrand : Elle permet un regard décalé sur celui-ci, et permet de critiquer bon nombre de choses qui nous semblent normales, ou établies.
 
Karine : L’uchronie sous couvert d’explorer une histoire alternative peut (car toutes ne le font pas) nous parler de nos sociétés, de nos choix (à l’échelle du globe ou d’un destin individuel) et de leur conséquences. Elle nous oblige à nous remettre en question et à nous interroger : nos choix sont-ils les bons ? La société que nous avons construite est-elle juste ? Ces histoires alternatives mettent notre époque en perspective et nous permettent de prendre un recul critique non négligeable.
 
 
ActuSF : Allez, un conseil pour quelqu'un qui voudrait commencer en uchronie ? 
Bertrand : La Part de l’autre d’Éric-Emmanuel Schmitt, qui présente deux vies d’Adolf Hitler : celle que nous connaissons et une où il réussit son examen d’entrée à l’académie des arts de Vienne. L’édition de poche comporte une postface où l’auteur revient sur l’écriture de ce roman.
 
L’autre conseil cela sera le dessin animé de Pixar, The Good Dinosaur, qui doit sortir à la fin de l’année et imagine qu’aucun météorite n’est venu s’écraser sur Terre. Les Dinosaures ont survécu et cohabitent avec les humains.
 
Karine : Facile d’accès et passionnant à lire, Les Conjurés de Florence de Paul J. McAuley met en scène une Florence en pleine révolution industrielle mais avec trois siècles d’avance grâce à Léonard de Vinci. Ce dernier a abandonné la peinture au profit de ses inventions faisant de Florence une ville d’Ingénieurs. Nous suivons l’enquête de Pasquale et de Nicolas Machiavel après l’assassinat du peintre Raphaël. En vidéo, je recommande le très émouvant et subtil About time (Il était temps) de Richard Curtis où un jeune homme, capable de voyager dans son passé, tente de corriger ses erreurs et de faire le bonheur de sa famille
 
 
ActuSF : Comment avez-vous travaillé pour ce guide ? Y a-t-il des essais dans lesquels vous avez plongé pour faire ce guide ? Et lesquels ? 
Karine : Nous avons d’abord listé les œuvres uchroniques existantes (et elles sont nombreuses dans le domaine littéraire) puis fait des choix pour ne garder que les œuvres les plus représentatives. En parallèle nous avons établi un plan du guide. Puis nous nous sommes répartis le travail d’écriture. Je n’ai pas relu d’essai avant d’écrire le guide mais je me suis référée aux deux essais d’Éric B. Henriet pour éviter les contre-sens.
 
Bertrand : Nous nous sommes répartis les chapitres et on s’envoyait tout ce qu’on faisait pour se relire, se corriger, etc. Ce fut intense et instructif ! Avant l’écriture j’ai relu les essais d’Éric et Le Guide Steampunk d’Etienne Barillier et d’Arthur Morgan.
 
 

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