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Interview de Christopher Priest
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Interview de Christopher Priest

Actusf : En relisant vos premiers romans tels que Le rat blanc (1972) ou Futur intérieur (1977), on ne peut s'empêcher de les rapprocher de l'actualité. Guerre civile, xénophobie et terrorisme en Angleterre pour le premier, vous allez dans le second jusqu'à imaginer l'Islam répandu dans le monde entier dans un siècle et demi. Comment expliquez-vous ces visions ?
Christopher Priest : De nombreuses années de méditation et de prières… (rires) Les choses n'ont pas changées. A l'époque où j'écrivais Le rat blanc, les immigrés venant du d'Asie et d'Afrique étaient très mal accueillis en Angleterre. La plus grande préoccupation de beaucoup de gens était de les renvoyer aussi vite. A mon avis, cette vague d'immigration ne fait qu'enrichir la culture, elle ne la parasite pas. Dans la science-fiction où l'on peut se projeter dans le futur, on peut craindre que ce rejet mène au pire.

Actusf : La SF est-elle pour vous un moyen de tirer le signal d'alarme ?
Christopher Priest : C'est une longue réponse… Tout d'abord, je ne suis pas un écrivain politique. J'étais un écrivain de SF. En Angleterre, il y a une tradition de romans catastrophes avec John Christopher ou John Wyndham par exemple. Avec Le rat Blanc je voulais en écrire une version moderne dans sa forme tout d'abord puisque le récit est totalement fracturé puis dans le fond car le sujet du racisme et de l'immigration était très actuel. C'était nouveau à l'époque. En général, dans ce genre de roman, c'était plutôt la chute d'un ancien empire qui était le sujet.

Actusf : En 1975, vous déclariez dans une interview de Mariane Leconte (à l'évocation du nom Christopher lance un Oh God ! entre rire et désespoir) * que le véritable sujet du Monde Inverti était la perception de la réalité. Aujourd'hui, après 25 ans d'écriture, il semble que cette préoccupation soit devenue un thème Priestien. Est-ce une obsession ?
Christopher Priest : Que peut-il y avoir comme autre sujet ? La base de la fiction est d'inventer quelque chose qui n'existe pas. C'est donc totalement irréel. Il m'est impossible d'écrire de la fiction sans m'interroger sur son statut. Cela rentre dans l'histoire, dans l'idée jusqu'à en faire partie intégrante. Le Monde Inverti était le premier roman où j'abordais ce thème. Depuis cela n'a fait que durer. Mon nouveau roman La Séparation est une uchronie, mais elle n'est pas traditionnelle, c'est une uchronie passive. Passive dans le sens où elle est construite autour de la mémoire, des erreurs d'interprétations, de l'oubli… J'en reviens à questionner l'événement lui-même, je n'essaie pas de me demander "Et si telle chose ne s'était pas produite, comment l'histoire aurait-elle évoluée ?" Ma question est "Se souvient-on bien de l'événement ?"

Actusf : C'est une réflexion sur l'Histoire ?
Christopher Priest : Oui, mais aussi sur la capacité humaine à assimiler et à comprendre un événement. Par exemple Tolstoï a rencontré des vétérans pour écrire Guerre et Paix afin de découvrir une histoire globale et commune. Mais bizarrement personne ne semblait avoir vécu la même guerre.

Actusf : Votre façon d'écrire a-elle changée ?
Christopher Priest : Oh oui, je suis devenu vieux. (Rires) Je ne peux pas écrire deux fois le même roman. Cela ne m'intéresse pas bien qu'on me demande souvent d'écrire un autre Monde Inverti. C'est impossible car j'essaie d'écrire à chaque fois quelque chose de nouveau.

Actusf : Quel est le texte dont vous êtes le plus fier aujourd'hui ?
Christopher Priest : Et bien… Le Prestige et La Séparation.

Actusf : Parce que ce sont les derniers ?
Christopher Priest : Oui oui. Ce sont mes bébés. Je les ai porté pendant des mois. Mais c'est aussi parce que l'on s'améliore au fil du temps. On grandit, on mûrit… donc normalement le dernier texte doit être le meilleur.

Actusf : L'ensemble de votre œuvre est récompensé aujourd'hui par le prix Utopia 2001. Quelle impression cela vous fait ?
Christopher Priest : Je me sens VIEUX !!! (rires) Et ce n'est pas amusant du tout !… C'est un grand honneur, je peux même vous faire mon discours en avant-première. Je ne pense pas être prêt à recevoir une telle distinction. Tout simplement parce que je suis au milieu de ma carrière. J'ai encore beaucoup d'autres romans à écrire.

Actusf : Existenz a une place à part dans votre œuvre puisqu'il s'agit de la novélisation du film de Cronenberg. Comment s'est passé ce travail ?
Christopher Priest : Mon éditeur m'a demandé si cela m'intéressait. Et comme j'avais besoin d'argent, je l'ai fait. Mais je n'ai jamais rencontré David Cronenberg.
C'était très étrange, je venais de terminer Les Extrêmes et le sujet (tout comme le titre) étaient très semblables puisqu'ils traitaient des mondes virtuels. Mais sa vision me semblait démodée et vieillotte. Je l'ai trouvé très proche du Dieu du Centaure de Dick qui a plus de trente ans ! Les choses ont bien évolués depuis. Dans Existenz le concept de la réalité virtuelle est de manger un repas chinois.

Actusf : Est-ce une expérience que vous tenteriez à nouveau ?
Christopher Priest : Oui, si on me le propose.

Actusf : N'est-ce pas frustrant d'avoir son imagination bridée par le script d'un autre ?
Christopher Priest : Non, c'est juste un boulot. Cela ne m'a pas pris trop longtemps bien que ma première version ait été refusée par Cronenberg. Je trouvais son film drôle alors qu'il le voulait sombre et paranoïaque. J'ai donc rajouté des longs silences pour mettre un peu de suspense (rires) mais c'est franchement ridicule de voir des gens manger des anguilles vivantes ou un chien se balader avec un flingue… Cependant j'aurais voulu le rencontrer afin de confronter nos points de vues.

Actusf : On a l'impression que vous revenez sur le devant de la scène, est-ce vrai ou est-ce seulement une vision déformée due au fait que vous avez été édité en France avec du retard ces dernières années ?
Christopher Priest : En fait, je ne suis jamais vraiment parti. Mais j'ai cessé d'écrire pendant une longue période, je me suis marié, j'ai eu des enfants, et pendant ce temps mes livres se sont épuisés.

Actusf : Quels sont vos projets ?
Christopher Priest : Je suis en train d'écrire Formication, une nouvelle sur la folie d'une personne qui est persuadée d'avoir des fourmis qui cours dans sa chevelure.

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