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Interview de Denis Bretin et Laurent Bonzon
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Interview de Denis Bretin et Laurent Bonzon

ActuSF : Comment est né le projet Mickey Monster ? Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire ce roman pour le club Van Helsing ?
Denis Bretin : Au forceps, et c’est pour ça que le bébé est disons… un peu monstrueux. L’accoucheur avait la tête de Boris Karloff maquillé par James Whales (par moquerie sans doute, il a choisi Lebeau comme pseudonyme) et c’est le genre de physique qui a le pouvoir de convaincre… Par ailleurs, l’adage est connu : la faim fait sortir le Blob du bois. Plus sérieusement, chacun a une revanche à prendre sur ce truc sans nom qui a rampé sous son lit quand il était gosse. Alors on a inversé les rôles : le blob dans mon lit, et moi dessous. Nettement plus rassurant, nettement moins confortable.

Laurent Bonzon  : Denis Bretin oublie naturellement de vous dire qu’il y a eu tout d’abord un contrat mirifique avec les éditions Baleine et des à-valoir exorbitants qui nous ont enfin permis de financer l’intervention chirurgicale que nous espérions entreprendre depuis des années. Pour un couple d’auteurs, vous savez, la greffe d’une cinquième main reste une opération délicate. Mais c’est encore un peu tôt pour en parler...

ActuSF : Pourquoi avoir choisi ce monstre, le blob ? Comment le voyez-vous ?
Laurent Bonzon  : Mon chien s’appelle Bubble et je l’ai toujours détesté. Il n’a plus qu’un œil, et mon oncle s’est assis dessus lorsqu’il était tout bébé. Pour se déplacer, le barbot se traîne sur ses pattes de devant et, lorsqu’il a perdu tous ses poils, suite à une diphtéro-sténose, j’ai eu une véritable révélation... Alors j’ai décidé d’en parler à Bretin qui, entre-temps, avait poussé très loin ses études de langue et civilisation anglo-saxonnes...

Denis Bretin : Oui, car en anglais, « Blob », ça signifie « tache », et c’est précisément ce que Mc Orman découvre (en l’occurrence du ketchup) sur sa carte routière, à l’endroit où il se perd – et peut-être est-ce à cause de cela – et charge dans son coffre le blob à l’état « natif. » Pour celui qui écrit, la tache est quelque chose d’assez important. A l’époque où l’on écrivait avec de l’encre (mais oui, je vous assure, j’ai connu cette période), on s’en collait plein les doigts. Le Blob, c’est un cauchemar d’écrivain. La tache qui s’étend à l’ensemble de la page. La face obscure de la page blanche.

ActuSF : J'imagine que vous avez revu les deux films (celui de 1988 et 1950). Qu'en avez-vous pensé et qu'est-ce qui vous plaisait dans ces deux films au point d'avoir envie d'en reprendre le monstre ? Lequel des deux d'ailleurs pourriez-vous nous conseiller ?
Denis Bretin : Le premier film date de 58, et c’est très important. En octobre 57, les soviétiques mettent Spoutnik en orbite. Pour les Américains, le traumatisme est terrible. Stephen King, dans Anatomie de l’horreur, parle très bien du jour où l’on a interrompu la séance de cinéma à laquelle il assistait pour annoncer cette terrifiante nouvelle. Un an plus tard, c’est le Blob.

Le Blob, c’est un truc gluant et rouge qui tombe de l’espace. C’est ce qui fait du même avec du différent (comprendre du collectif avec de l’individuel), aussi mou que la pieuvre communiste utilisée par la propagande américaine et que l’on voit s’étendre sur la carte du monde (cf. la tache dont il était question plus haut). Je dois avouer que reprendre cette problématique politique nous intéressait. Aujourd’hui, Spoutnik ne fait plus peur, le Mur est tombé et ce qui fait tache, c’est le ketchup... L’ombre qui s’avance sur le monde est celle des oreilles de Mickey – entendre par là les blockbusters américains et ce qu’ils véhiculent.

Le propre du cinéma américain de masse aujourd’hui (on comprendra notre nostalgie pour celui des années 50), c’est de récupérer et de recycler. Une industrie du remake, assez pauvre en création, mais techniquement très pointue. Mc Orman, c’est l’Amérique, un représentant en machine à Mickey capable de transformer n’importe quoi (Blob compris, ce qui est un comble) en icône yankee. C’est la mort du cinéma des années 50 et des drive-in remplacés par les multiplexes à pop-corn, la Dernière séance remplacée par Disney Channel… C’est pour ça qu’il était intéressant de confronter la logique économique de Mc Orman à la tradition européenne « chevaleresque » représentée par Van Helsing. Les vampires sont nés dans les Carpates, pas à Hollywood, il est toujours bon de le rappeler. Ceci étant dit, nous avons fait de nombreux clins d’œil aux deux films. Mais en inversant la plupart des rapports entre personnages, par exemple, Steve Mc Queen (son premier rôle !) sauve héroïquement sa petite amie alors que Mc Orman se sert de la sienne, Becky, comme d’un appât pour attirer la « chose ». Concernant la scène culte du remake, le cuisinier qui passe par le tuyau de l’évier de la cuisine, nous avons fait une petite variante mais en conservant la référence culinaire (spaghetti et sauce tomate).

Laurent Bonzon  : Bretin a fait très long tout en parvenant à ne pas répondre à la question, alors je vais faire le contraire : franchement, vous pouvez vous épargner les deux « blobs » cinématographiques et vous contenter du nôtre... Mais si vous insistez pour un conseil : regardez la version des années 80 en avance rapide, c’est vraiment plus chouette lorsque la sauce tomate gicle du tuyau de l’évier.

ActuSF : Vous êtes amateur de films de série Z ?
Denis Bretin : Après Z, on retombe bien sur A, non ? Tout ça pour dire que je n’échangerais pas un Corman comme La petite boutique des horreurs ou Le Baquet de sang contre dix Leçons de piano ou deux heures (pitié !) d’In The Mood for love. Je ne crache pas sur un bon Mario Bava.

Laurent Bonzon  : Avant Z, vous allez me dire qu’il y a Y, mais en réalité, il y a surtout X... Tout ça pour dire que je suis, quant à moi, assez premier degré et que je préfère au Z les histoires d’amour qui se laissent regarder à deux et en toute décontraction.

ActuSF : Pourquoi avoir choisi comme personnage principal un looser américain ? Est-ce que dans ses travers il n'y a pas également une sorte de critique des Etats Unis ?
Denis Bretin : Mc Orman est un looser qui porte en lui le syndrome du Winner. J’aime beaucoup quand il dit « Aux Etats-Unis, il suffit de deux oreilles et d’une queue pour réussir dans la vie ». C’est un privilège que nous sommes nombreux à partager mais il faut être Américain pour avoir le droit (ou l’obligation…) de s’appeler Mickey… Ce qui est terrible avec ce pays, c’est que si l’on fait abstraction de leur président et de pas mal d’autres choses encore, c’est sans doute l’un des endroits au monde où je préfère aller (et je ne parle pas que de New York), qu’ils ont actuellement l’une des seules littératures que j’aime lire (de Faulkner à Ellis en passant par Dan Simmons, Mieville, Larry Brown (attention, ne pas confondre !) ou Selby) et que je n’ai jamais rien vu de plus étonnant que le soleil agonisant dans le Grand Canyon.

Laurent Bonzon  : J’étais sûr qu’il vous ferait le coup du Grand Canyon... Méfiez-vous parce que dans cinq secondes, il va vous dire que c’est moi qui ait inventé cette histoire de machine à Mickey... « Une sorte de critique des Etats-Unis », sûr, mon gars, et pas qu’un peu... Quand on regarde les séries télé produites par TF1 et celles de HBO, on est quand même fiers d’être français, non ? A part ça, je préfère pour ma part les romanciers russes. Les morts, en général.

ActuSF : Et d'où vous vient cette idée géniale de machine à fabriquer des Mickey ?
Denis Bretin : Merci pour le mot « génial », mais on va le rendre à César, en l’occurrence Reiser. Il y a longtemps de cela, Laurent Bonzon m’avait raconté cette histoire inventée par le père du Gros Dégueulasse (Reiser), où un représentant cherchant un cadeau pour sa femme achetait à un bonimenteur de foire « une machine à Mickey ». Le type faisait des miracles avec un moule en plastique, deux tranches de concombre pour les oreilles, une olive pour le nez, des œufs durs… Le représentant revient chez lui, tente l’expérience devant sa femme et ses enfants, et là, le résultat est absolument… monstrueux. Mickey à les yeux au milieu des oreilles, le nez au milieu du front, etc. C’est la fin de l’histoire et la fête des mères est un peu triste.

Voilà d’où ça vient ! De ce monstre de légumes.

Laurent Bonzon  : Génial ! Je vous l’avais bien dit qu’il me collerait la machine à Mickey sur le dos... Tout en déformant mes propos et l’histoire que je lui ai racontée lorsque nous étions jeunes, c’est-à-dire... En fait, c’est pour moi et pour ma mère un souvenir douloureux. « Reiser », c’est un terme du bas-allemand qui signifiait au Moyen Âge « voyageur, colporteur » – vous voyez, moi aussi je parle les langues étrangères, enfin surtout dans les interviews en français. Bref, « Reiser » était aussi le surnom de mon père, un voyageur-représentant-placier spécialisé dans les robots mixer. Avant d’adopter Bubble, dont je vous ai parlé plus haut... Vous vous rappelez de Bubble, mon chien ? Bien, avant de l’adopter, j’avais une souris. Une grosse souris blanche que j’avais baptisée Dumbo, à cause des oreilles. Lorsqu’elle est morte, ça a été un drame à la maison et je ne voulais plus sortir de sa cage. Alors mon père a commencé à travailler sur un prototype de souris à base non pas de légumes, mais de crudités. Mon co-auteur s’est trompé, mais je ne lui en veux pas. C’est quelque chose de très personnel, vous savez, de très intime.

ActuSF : A lire Mickey Monster, on a l'impression que vous vous êtes bien amusé à l'écrire. Est-ce que ça a vraiment été le cas ?
Denis Bretin : C’est l’une des raisons pour lesquelles on a accepté d’écrire un épisode de la série. Pour se détendre un peu les zygomatiques. On a beaucoup bu, aussi. Et un peu transpiré.

Laurent Bonzon  : Personnellement j’ai moyennement rigolé. Sauf quand on a écrabouillé Becky dans la machine à Mickey. Et puis à vous, je peux le dire : je ne voyais vraiment pas Roger Mc Orman finir sa vie avec cette pécore. Même si elle avait des seins blancs comme de la crème...

ActuSF : Comment travaillez-vous à deux ? Comment se répartissent les rôles ?
Denis Bretin : Je dicte, il tape (parfois assez fort, surtout quand je dis des trucs imbéciles).

Laurent Bonzon  : Très drôle ! Enfin, vous avez compris... C’est sa façon de faire de l’humour. Mais vous, je sens qu’on ne peut pas vous tromper et que vous avez bien compris qui était le cerveau et qui était les mains...

Denis Bretin : Sans blague !

Laurent Bonzon  : Ouais...

Denis Bretin : Eh, vous l’avez vu ?

Laurent Bonzon  : Et toi, tu t’es vu ?

Denis Bretin : Ben ouais, je me suis vu !

Laurent Bonzon  : Ah ! Ouais ?!

Denis Bretin : Ouais !

Laurent Bonzon  : OK ! Ben, vous voyez c’est comme ça qu’on travaille à deux... On discute.

Denis Bretin : On discute scénario.

Laurent Bonzon  : Ouais. Puis écriture.

Denis Bretin : On partage la conception et l’écriture.

Laurent Bonzon  : Ouais. A parts égales.

Denis Bretin : Ouais. Plus ou moins.

Laurent Bonzon  : Ou plutôt plus.

Denis Bretin : Ouais, peut-être. Ceci dit, je ne sais pas ce que tu en penses, mais pour Mickey Monster, on a un peu retrouvé la liberté qu’on avait sur nos premiers essais d’écriture à quatre mains, assez proche du cadavre exquis des surréalistes.

Laurent Bonzon  : Ouais. Surréaliste, le cadavre. Il a raison.

ActuSF : Quels sont vos projets ? Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Denis Bretin : On est en train de finir le deuxième tome d’une trilogie qui s’intitule Complex. Le premier volume, sorti l’an passé, s’intitulait Eden – Complex 1, et travaillait sur la contamination de l’humain par le végétal. Le deuxième, Oracle – Complex 2, portera sur… Lisez déjà le premier, je vous parlerai du suivant après !

Laurent Bonzon  : Quoi ? Vous avez pas lu le premier ?

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