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Interview de Jean-François Merle
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Interview de Jean-François Merle

Actusf : Pour commencer, pouvez-vous résumer rapidement votre parcours avant d’intégrer Omnibus il y a trois ans ?
Jean-François Merle : J’ai toujours travaillé dans l’édition ; après une école de commerce, l’Edhec, à Lille, j’ai naturellement débuté dans la fonction commerciale. Représentant, puis chef des ventes, avant de quitter la diffusion pour devenir directeur commercial des éditions Solar. Ça, c’est pour le côté pile. Parallèlement, j’ai publié un roman en 1987 chez Arléa, des nouvelles, effectué des traductions pour le Fleuve Noir et 10-18, des rewritings, j’ai été membre du comité de lecture de la collection policière du Fleuve Noir tout le temps de son existence (1995-1999). Voilà pour le côté face. Et puis j’ai pas mal lu, évidemment. J’ai intégré l’équipe d’Omnibus pour y développer les littératures de genre : le policier, la science-fiction, le roman populaire, etc. Ce n’est pas un parcours typique, mais y en a-t-il ?

Actusf : Qu’est-ce qui préside à la décision de compiler des romans (ou des nouvelles) sur tel ou tel thème ?
Jean-François Merle : Dans le registre qui nous intéresse ici, les littératures de l’imaginaire, il y a deux types de projets.

D’une part des ouvrages consacrés à un seul auteur, soit des cycles complets (Le Cycle des robots d’Isaac Asimov, La Trilogie martienne de Kim Stanley Robinson ou encore Le Cycle d’Elric de Michael Moorcock), soit un choix représentatif, le meilleur de l’œuvre (Clifford Simak, Robert Silverberg, Theodore Sturgeon…), parfois en quasi intégralité comme René Barjavel, Philip K. Dick pour l’œuvre romanesque.

D’autre part les anthologies thématiques. Dans ce cas, c’est la force du thème et la cohérence d’ensemble qui priment.

Je travaille beaucoup avec Jacques Goimard, qui est à l’origine de la plupart des publications de S-F. Nous discutons des projets, du plan d’ensemble, du choix des textes. Nous nous connaissons bien, et depuis longtemps. Mais il n’est pas le seul avec qui je collabore.

Actusf : Quels types de difficultés rencontrez-vous pour élaborer un recueil ?
Jean-François Merle : L’inaccessibilité de certains textes, pour diverses raisons, de droits par exemple. Mais on ne peut pas dire que nous rencontrions beaucoup de difficultés d’ordre technique.

En revanche, la vraie question est toujours de savoir si un public existe pour un recueil, si le projet est cohérent, s’il correspond à une problématique actuelle, si nous nous adressons à des spécialistes (soit un marché de niche) ou à un lectorat plus diffus mais plus large, et dans ce cas si nous parviendrons à le toucher. Toutes ces interrogations rentrent nécessairement en compte dans l’élaboration d’un nouveau livre.

Actusf : Retraduisez-vous beaucoup ?
Jean-François Merle : Assez rarement, mais ça peut arriver. Dying inside de Silverberg, dans le recueil Voyage au bout de l’esprit a été entièrement retraduit, mais c’est une exception.

Ce n’est plus le cas, mais pendant longtemps, dans le domaine de la S-F ou du policier, les romans ne jouissaient pas d’une très grande considération de la part des éditeurs (et de l’intelligentsia en général), ce qui fait que la qualité de la traduction était secondaire. Alors nous intervenons, soit pour rétablir des coupes (c’est le cas pour les premiers romans de la série du 87e District d’Ed McBain), soit pour obtenir un niveau de langue française satisfaisant, ou encore pour corriger ; il s’agit là d’un travail classique d’édition qui n’avait pas été fait, ou imparfaitement, lors de la première édition.

Enfin, il arrive que nous proposions des textes inédits : Argyll, un récit autobiographique de Theodore Sturgeon, figure dans l’anthologie que avons consacrée à cet auteur (intitulée sobrement Romans et nouvelles). On trouve également des inédits dans le recueil consacré de Bram Stoker (intitulé tout aussi sobrement Œuvres).

Nous nous éloignons de la S-F, mais j’aimerais signaler le cas particulier de l’intégrale Sherlock Holmes d’Arthur Conan Doyle, dont le premier volume est paru en septembre 2005 : il s’agit d’une édition bilingue qui bénéficie d’une traduction entièrement nouvelle, établie par Eric Wittersheim, proche du texte, ce qui n’est pas le cas des publications existantes. Le deuxième volume paraîtra en août 2006, le troisième en 2007.

Actusf : Les éditions Omnibus* réservent aussi la part belle au polar, au fantastique et à la tradition populaire (comme les contes compilés par Claude Seignolle). Y a-t-il une volonté délibérée de vous cantonner dans les littératures populaires et les genres de l’Imaginaire ? Etre en quelque sorte une Pléiade bis ?
Jean-François Merle : Peut-être parce qu’elles sont nées avec la publication de l’intégrale de l’œuvre de Georges Simenon, immense auteur à la fois populaire et prestigieux, les éditions Omnibus se caractérisent par leur éclectisme. Nous balayons tous les genres du patrimoine littéraire, et les genres populaires en font partie. Mais on ne peut pas dire que nous nous y cantonnions : cette année, nous avons publié aussi bien Jean Jaurès que Michael Moorcock, permis la redécouverte d’un auteur oublié comme Germaine Beaumont et réédité la somme monumentale qu’est Le Dictionnaire universel de cuisine de Joseph Favre, en passant par Serge Brussolo, Jules Vallès, Henri Queffélec ou encore le théâtre d’Edmond Rostand…

Actusf : Beaucoup de romans que vous compilez ne sont plus disponibles que chez vous (je pense notamment aux romans de Clifford Simak*. Voyez-vous dans Omnibus une sorte de mission d’archiviste ?
Jean-François Merle : Sinon d’archiviste, du moins de relais avec un passé plus ou moins lointain, qui est d’une richesse infinie, à destination des lecteurs d’aujourd’hui. Voilà notre vocation. Alors bien sûr, si nous pouvons ressusciter des ouvrages et leur permettre de vivre à nouveau, nous le faisons si nous considérons que de nouvelles générations de lecteurs peuvent s’y intéresser.

Actusf : Lorsque vous proposez de cinq à huit romans dans un seul volume pour le prix d’un grand format chez n’importe quel autre éditeur, c’est l’affaire du siècle pour un lecteur. Quels sont les impératifs économiques auxquels vous êtes confrontés ?
Jean-François Merle : Comme pour tous les éditeurs, l’impératif est tout simplement de trouver suffisamment de lecteurs pour que le projet soit viable ! Mais nous nous inscrivons dans la durée plus que dans l’exploitation rapide d’un succès. Le pari est là. Et il n’est jamais gagné d’avance.

Actusf : Comment est perçue cette démarche de compilation au sein du monde de l’édition ? Est-ce qu’elle ne pâtit pas d’un aspect un peu « discount » ?
Jean-François Merle : A l’instar des collections au format poche, le type de format tel que celui d’Omnibus est maintenant assez répandu. Et malgré le prix de vente très avantageux que vous évoquez, les livres sont soignés, solides, le papier est beau, la typographie étudiée, la lecture en est agréable. En aucun cas ils ne souffrent d’une réputation « discount ». Au contraire, parce que ce sont de gros livres, et qu’ils s’adressent à des lecteurs voraces (une espèce en déclin), ils ont même une image parfois élitiste.

Actusf : Quels rapports avez-vous avec les auteurs ? Comment réagissent-ils à l’idée de voir certains de leurs ouvrages – parfois anciens et/ou épuisés – être republiés ?
Jean-François Merle : C’est une forme de reconnaissance pour eux, non ? Et bien évidemment, ils sont très contents. Quoique beaucoup ne soient plus là pour s’en réjouir…

Actusf : On a l’impression que vous vous amusez beaucoup. Vu de l’extérieur, ça ressemble à un rêve d’éditeur. Aller chercher des textes un peu oubliés, les compiler et leur redonner vie. C’est seulement une impression, ou est-ce qu’au contraire Omnibus est un monstre insatiable, dévoreur de livres, qu’il faut nourrir sans fin ?
Jean-François Merle : Tant mieux si c’est l’impression que nous donnons. Mais tout ça, c’est beaucoup de travail, des renoncements, des hésitations, des enthousiasmes mais également des déceptions. Nous ne publions pas des livres pour nous faire plaisir, mais dans l’espoir qu’ils trouvent leurs lecteurs, et que ces lecteurs soient satisfaits du choix opéré. Reste que je connais des moments de vraie jubilation quand je découvre certains textes ou auteurs ou quand ces livres rencontrent l’adhésion du public, des critiques, des libraires.

Actusf : Y a-t-il un Omnibus qui vous ait particulièrement tenu à cœur ? Et y en a-t-il un que vous auriez voulu faire et que vous ne ferez jamais ?
Jean-François Merle : Tous les livres sur lesquels j’ai travaillé m’ont intéressé, et tous me tiennent à cœur, d’une façon ou d’une autre. Pour l’anecdote, quand je suis rentré chez Omnibus, je m’étais dit que ce serait formidable de publier un jour un auteur dont la lecture des romans et nouvelles m’avait jadis pulvérisé : Theodore Sturgeon. Aussi quand Jacques Goimard m’a soumis ce projet, je n’ai pas hésité bien longtemps (disons trente secondes), d’autant que ses nouvelles ont disparu du marché depuis un bon moment.

Cela dit, je m’efforce de faire la part des choses entre mes goûts personnels et ceux d’un lectorat en perpétuelle évolution. Alors bien sûr il y a des livres que je ne ferai pas, soit parce que d’autres éditeurs sont plus qualifiés que moi pour les réaliser, soit parce que je sais pertinemment qu’ils n’intéresseraient pas grand monde. Je ne m’en formalise pas du tout. Et puis qui sait, après tout ?

Actusf : Quels sont les projets en cours ?
Jean-François Merle : A la rentrée 2006 paraîtra un volume consacré à la S-F française avant l’avènement de la S-F anglo-saxonne (grosso modo 1900-1950), que réalise Serge Lehman : on s’apercevra que tous les grands thèmes sont déjà présents, et ces textes n’ont pas pris une ride. Il est encore un peu tôt pour rentrer dans les détails, mais soyez assuré que je vous en réservé la primeur !

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