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Interview de Joseph Béhé
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Interview de Joseph Béhé

Actusf : Comment avez-vous rencontré Thomas Mosdi et qu'est-ce qui vous a donné envie de travailler ensemble ?
Joseph Béhé : Ca remonte au début des années 90. Péché Mortel était réédité aux éditions Vents d'Ouest. Thomas Mosdi y publiait l'Ile des Morts avec Guillaume Sorel. Nous nous sommes rencontrés en festival et chez notre éditeur.
Après avoir réalisé de nombreux albums dans l'univers de l'anticipation aux décors très réalistes et quasiment contemporains, j'ai eu envie de dessiner des paysages et des personnages plus fantastiques... Le scénario de Thomas Mosdi possède une force animale et érotique un peu "brute" qui me plaisait et que je n'aurais jamais pu écrire. Pour moi, dessiner, c'est aussi rencontrer des univers éloignés de moi.

Actusf : Comment est née l'idée de Chimères ?
Joseph Béhé : Sans répondre à sa place, je peux dire que Thomas Mosdi, aime les corporations mystérieuses et maléfiques. Il a eu l'idée de ce personnage Daniel, pourchassé par ce groupe de "Chimères". Ce groupe reste invisible pour l'entourage du pauvre Daniel... Pourquoi est-il traqué?, la réponse à cette question est la clé de l'énigme.

Actusf : Qu'est-ce qui vous interessait dans cette histoire ? Ce mélange de
psychologie, de souvenirs d'enfance et de mythologie ?
Joseph Béhé : Deux éléments distincts m'ont vraiment accrochés: L'univers graphique (avec ses personnages tirés de la geste irlandaise et de la mythologie) et la sophistication du scénario (avec la manière dont il retombe sur ses pattes après une série de digressions aussi alambiquées que spectaculaire).

Actusf : Qu'aviez-vous envie de faire graphiquement ?
Joseph Béhé : J'avais envie de tremper un peu mes pinceaux dans les pots de peinture des préraphaélites (Mouvement pictural anglais de la fin du 19ème siècle), des symboliste et des néoclassiques.

Actusf : Comment avez-vous travaillez Daniel ? On ressent bien dans ses regards, ses expressions sa fragilité mais en même temps sa douceur. Ses traits vous sont
venus rapidement où y'a-t-il eu de nombreux essais ?
Joseph Béhé : Daniel se projette mentalement dans la figure du faune. Il a donc les yeux légèrement en amande, des cheveux roux frisés et un nez un peu busqué. Il faut ajouter à cela un certain désarroi dans son regard et ses attitudes. Mais ce qui fait l'expression d'un personnage, c'est aussi la situation mentale dans la quelle le plonge le scénario. Dans un sens, on peut dire que le scénario ajouté à ce que le lecteur déduit des pensées du personnage joue autant que les traits du visage. Prenez un visage tout à fait neutre, collez y le texte suivant "cet homme est un tueur", et vous ne verrez plus du tout le même visage. Le visage devient fascinant sans y changer un trait.

Actusf : Ce qui marque et ce qui est admirable, c'est votre façon d'utiliser les
couleurs. Elles sont souvent jaunes et chaudes notamment pour les souvenirs
et les scèns "mythologiques". Pourquoi avoir fait ce choix ?
Joseph Béhé : La couleur est un bel outil et une arme à double tranchant. En colorant le monde, elle le rend plus réaliste, mais également moins mystérieux. Ici j'ai opté pour des gammes parfois monochromes dans le but de rendre plus riche le ressenti subjectif. Il y a aussi les contraintes liées à un récit à plusieurs entrées: La réalité, les souvenirs et les rêves de Daniel. Au début du récit, la couleur jaune associées aux cases sans contours était indispensable pour marquer une rupture narrative.

Actusf : En mélangeant psychologie et mythologie, la série est rempli de symboles.
Avez-vous eu besoin de faire beaucoup de recherches dans ces deux matières ?
Joseph Béhé : Oui, absolument. J'ai d'ailleurs fait mentionner la liste complète de mes recherches dans le troisième et dernier tome de la série. Cette liste permet au lecteur qui s'intéresse à ces éléments de continuer le voyage à travers des repères architecturaux ou picturaux.

Actusf : Y'a-t'il des planches ou des passages qui vous ont particulièrement plu de
faire dans la trilogie ?
Joseph Béhé : Toutes les scènes se déroulant dans la nature. J'aime beaucoup les abstractions graphiques nécessaires pour rendre le vent, les feuilles, les roches, toutes ces choses pour lesquelles on ne peut pas dessiner juste "ce qu'on voit". Il faut s'affranchir de la réalité, trouver un geste au crayon ou au pinceaux pour "rendre" l'effet produit par ces matières floues, mouvantes et complexes.

Actusf : Vous travaillez actuellement sur le tome 3 du Légataire. Pouvez-vous nous en parler ? Comment l'histoire va-t-elle évoluer ?
Joseph Béhé : C'est un album qui raconte une histoire très émouvante. Merwann, retenu prisonnier dans une luxueuse chambre au Vatican nous emmène sur les traces d'un homme exceptionnel, un homme qui découvre la dernière sourate du Prophète Mahomet en même temps qu'il rencontre la femme de sa vie. Quand on sait que cet homme est l'écrivain Turc Halid Riza, victime d'une Fatwa intégriste dans le tome 2 du Décalogue, on devine son destin tragique.

Actusf : Vous avez un site internet très complet en matière d'informations sur votre
travail. C'est devenu indispensable pour vous et qu'est-ce que ça vous apporte en tant que dessinateur ? Une proximité avec vos lecteurs ? Une satisfaction de pouvoir par exemple montrer plusieurs essais pour une couverture ou pour une planche ?
Joseph Béhé : Depuis 2001 (année où j'ai conçu et mis en ligne de l'école en ligne AtelierBD.com) Internet est une composante importante dans mon travail. Aujourd'hui à l'heure ou l'AtelierBD vole de ses propres ailes sous la houlette de Thierry Mary, mon site personnel (josephbehe.net) répond à un besoin de communication sur mon travail. A l'usage, je me rend compte qu'il y a beaucoup de requêtes, et donc beaucoup de lecteur auxquels la mise à jour régulière de mon site apporte les informations nécessaires. C'est un vrai plaisir de pouvoir répondre aux questions sur la création.

Actusf : Vous êtes également professeur de BD. Quelle relation avez-vous avec vos
étudiants ? Et quelle regard portez-vous sur leurs productions ? Les jeunes
sont-ils aussi fort que les moins jeunes ? :)
Joseph Béhé : La relation professeur-élèves est à deux sens. Mes réflexions sur la pratique de la narration visuelle les aide à exprimer leurs idées, en retour, leur énergie, la passion qu'ils mettent dans leur travaux me dynamise dans mon travail et me remet souvent en cause. Bien sûr qu'ils sont aussi "forts" que les anciens, je n'ai absolument aucun doute là dessus. Je peux citer plusieurs élèves dont le travail m'intéresse beaucoup entre autres "Simon Hureau, Mathieu Sapin, Boulet, Lisa Mandel, Freddy Nadolni, Nicolas Wild qui vient de sortir Kaboul Disco..." et que ceux que j'oublie me pardonnent)

Actusf : Enfin, quels sont vos projets actuellement ? Sur quoi travaillez-vous et
pour la suite quelles sont vos envies ?
Joseph Béhé : Dans la même veine que Erminio le Milanais, je travaille sur un nouveau scénario co-écrit avec Amandine Laprun et dessiné par Erwann Surcouf qui sortira dans un an chez Delcourt dans la collection Mirage. Comme pour Erminio, Le sujet touche à une facette du sentiment de se sentir étranger. Mais pour l'instant, je suis dans les dernières planches du Légataire T3 de Frank Giroud que je dessine avec Camille Meyer...
Quant à mes projets concernant l'avenir du futur, ils sont écrits avec une encre qui ne se voit qu'à la lumière de ma lampe de chevet!

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