Actusf : Comment est né le projet Points chauds/Aliens, mode d'emploi ?
Laurent Genefort : Le projet est né il y a pas mal d'années, d'une discussion avec des fans de sci fi. Et d'un constat : que le discours sur le contact extraterrestre était essentiellement pris en charge par la SF militariste, très présente dans la sci fi. Le thème des aliens est traité sous un angle essentiellement militaire, c'est pourquoi il devenait salutaire de les réintroduire dans la vie civile. C'est frappant dans Aliens mode d'emploi où je pose le problème des relations de voisinage, du droit du travail, de l'amitié, de l'amour charnel, etc... des notions qui ont fini par disparaître, parce que le traitement du thème s'est peu à peu réduit à presque rien - grosso modo, l'acceptation de leur présence ou non. Ce projet n'avait alors pas sa forme définitive. J'avais l'idée de base en tête - des contacts multiples, avec une narration en "je" -, mais le film "District 9" a été le déclencheur de l'acte d'écriture.
Actusf : Contrairement à beaucoup de tes autres ouvrages, l'action est située dans un avenir proche, et sur terre... l'exercice était-il plus difficile que de travailler sur un space opera ?
Laurent Genefort : Pour moi, oui, sans aucun doute. D'autant que la période n'est pas la plus évidente : 2019-2036, autant dire demain. Dans un space opera, on construit tout un univers à partir de zéro. Quand on est branché "création de mondes", concevoir une exoplanète ou n'importe quel environnement étranger est un exercice ludique, évident. Mais rendre crédible une Terre de demain est un des exercices les plus difficiles qui soient, à mon avis. Il faut une certaine dose d'altérité, tout en conservant certains repères contemporains - ceux dont on considère qu'ils perdureront, malgré un futur que l'on sait extrêmement chaotique à court terme. C'est un jeu d'équilibriste, où il est très facile de se casser la figure. Je ne suis pas certain d'y être arrivé, du reste.
Actusf : Pour Aliens mode d'emploi, comment tu as procédé ? Tu t'es inspiré de guides existant comme le Guide de survie en territoire zombie ? La perspective est différente, cela dit...
Laurent Genefort : J'ai lu le guide de survie en territoire zombie qui m'a donné l'idée d'écrire le mien... un peu en réaction, je dois l'avouer. Le guide sur les robots ressemble plus au guide sur les zombies, car là aussi il s'agit d'un ouvrage survivaliste, où le but ultime est d'éradiquer l'ennemi (même si l'auteur, spécialiste en robotique, offre une perspective intéressante, en prise avec les connaissances actuelles dans le domaine). Mon guide est tout l'opposé. C'est donc moins un manuel de survie qu'un livre de bonnes manières. Il y a quelques années, j'ai conçu un almanach de fantasy pour Bragelonne; j'y avais écrit des pastiches de faits divers, des définitions des sous-genres, des recettes de cuisine, etc. Ce genre d'ouvrage un peu hors norme ne m'était donc pas inconnu.
Actusf : Concernant les extraterrestres, mettre en scène l'altérité est-il plus difficile dans un contexte familier ?
Laurent Genefort : Sur une autre planète, tout le monde est à égalité, on peut avoir la même distance quand on traite de personnages humains et de personnages extraterrestres. Sur Terre, c'est l'alien qui apporte le décalage, ce qui incite à le traiter à part. C'est pour cela que je me suis refusé à utiliser des personnages humains typiques du thème, le New Yorkais ou le teenager de L.A. que l'on voit partout. Il y a peu d'Occidentaux dans mon bouquin - un éleveur de rennes nénètse, un Indien, une musulmane dépêchée en Somalie... -, parce que j'ai voulu introduire de l'altérité là où le lecteur ne s'y attend pas, en l'occurrence les protagonistes humains.
Actusf : Points chauds se compose de différents récits, avec des personnages différents ; est-ce que tu as écrit ces récits de manière distincte, ou comme un tout ? Pourquoi avoir choisi ce mode de narration ?
Laurent Genefort : Non, j'ai écrit chaque récit séparément, à la manière d'une nouvelle. J'ai ensuite fabriqué ce millefeuille narratif. Je dois dire que je ne savais pas du tout si l'ensemble fonctionnerait quand je l'ai envoyé au Bélial'.
Actusf : Est-ce qu'on peut s'attendre à voir étoffé l'univers de Points chauds ?
Laurent Genefort : A priori non. Peut-être une nouvelle par-ci par-là, si une idée s'impose, mais pas d'autre roman, c'est certain. J'ai toujours trouvé qu'exploiter un univers fictionnel comme un filon n'était pas la meilleure chose à faire - le film "Prometheus", ou la plupart des derniers tomes des séries qui m'ont fait rêver quand j'étais gamin (non, je ne les citerai pas), me confortent dans cette opinion !
Actusf : Comment as-tu travaillé pour Aliens mode d'emploi par rapport au roman ? Tu l'as fait en même temps ?
Laurent Genefort : La création d'"Aliens mode d'emploi" est ultérieure à la rédaction du roman. Celui-ci m'a servi de base pour le dispositif fictionnel que je décris dans la première section du guide - les Bouches, la situation géopolitique, la chronologie interne. On peut dire que le roman m'a mis le pied à l'étrier.
J'ai rédigé "Aliens..." très vite, en moins d'un mois, de façon linéaire et sans utiliser de notes préparatoires. Cela a coulé très naturellement.
Actusf : Quels sont tes projets ?
Laurent Genefort : Diverses rééditions sont sur les rails pour la fin de l'année : l'intégrale d'Omale chez Denoël Lunes d'encre, avec des textes révisés et qui comportera des novellas inédites. "Les Peaux-épaisses", là aussi en version révisée, chez Critic. Toujours chez Critic, je m'occupe en ce moment de l'intégrale P.J. Hérault. "Gurvan" vient de paraître. Un pur bonheur de retravailler les textes avec cet auteur, un homme charmant qui plus est, qui a enchanté mon adolescence !
Sur mes projets inédits : je travaille actuellement à un quatrième roman d'Omale, qui aura pour titre "Les Vaisseaux d'Omale". J'en ai rédigé un tiers.
Pour l'an prochain, je compte remettre en chantier un roman que j'avais initié il y a plusieurs années, mais que j'avais laissé tomber. Son titre : "Le Parc humain", dont l'action se situe en 2068. "Points chauds" a constitué un banc d'essai pour moi, pour écrire de la fiction spéculative.
Voilà, je crois que c'est tout...