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Interview de Robin Hobb
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Interview de Robin Hobb

ActuSF : Vous souvenez-vous comment vous avez eu l’idée de l’Assassin Royal et du personnage de Fitz ? Aviez-vous prévu dès le départ que la série serait si longue ?
J’avais un embryon d’idée dans mes tiroirs des années avant de commencer à l’écrire. Avant d’apprendre à utiliser un ordinateur, quand j’avais une bonne idée pour un livre, je l’écrivais sur un bout de papier et je le rangeais dans mon tiroir. C’est comme ça qu’il y a plusieurs années, j’ai écrit sur une vieille enveloppe « et si la magie était addictive, et que cette dépendance soit totalement destructrice ? ». C’est cette idée qui a donné le Don, mais je ne savais pas où elle me mènerait ni qui seraient mes personnages. Alors j’ai attendu longtemps. Puis cette idée s’est mêlée à une autre. Je voulais écrire un roman de Fantasy qui utiliserait tous les clichés du genre, comme le modeste garçon d’écuries qui est en fait un prince, la magie héréditaire, des héros antiques qui se relèvent pour combattre à nouveau… tant d’idées fantastiques à réutiliser. Ces deux idées se sont rejointes dans la trilogie de l’Assassin Royal. Je ne pensais vraiment pas que l’histoire dépasserait le cadre de trois livres ! (ndlr : en France, la trilogie de l’Assassin Royal est parue en 6 tomes)

ActuSF : Est-ce difficile de se séparer d’un personnage que vous avez suivi si longtemps ? Trouviez-vous nécessaire de passer à autre chose ?
Parfois je pense à Fitz et au Fou, ou à Althea, Brashen ou Kennit, et c’est comme penser à de vieux amis qui sont partis très loin. Je me demande ce qui leur est arrivé par la suite, et parfois j’ai l’impression que l’histoire n’est pas finie, qu’il y en a plus. En même temps, j’ai en tête des dizaines d’autres histoires, et des centaines de personnages qui attendent l’occasion de raconter leur histoire. Bien sûr, je ne peux pas tous les écrire, mais l’attrait des nouveaux mondes est très fort.

Et puis il peut être très effrayant de songer à continuer une histoire déjà développée sur de nombreux livres. En tant qu’écrivain, je me dis que je risque de gâcher ce qui est déjà écrit en sortant un mauvais livre, ou que je pourrais faire une erreur et contredire une règle magique ou naturelle de ce monde. Pourtant, c’est vrai que ces personnages me manquent.

ActuSF : Pour certains auteurs, les personnages sont vraiment des amis qui viennent leur raconter leur histoire. Qu’en pensez-vous ? Quelle relation entretenez-vous avec Fitz ?
Je pense que mes personnages sont les amis que j’aimerais avoir. Ca sonne pathétique, dit comme ça, non ? Mais j’explique ça par le fait que je passe tellement de temps avec mes personnages qu’il faut forcément qu’ils soient des gens que je puisse aimer. Même les pires scélérats doivent avoir quelque chose qui m’attire. J’ai donc un lien très personnel avec mes personnages. J’ai vraiment l’impression qu’ils existent en dehors de moi ; ils prennent des décisions que je ne prendrais jamais, osent des choses que moi je n’oserais pas. J’aime être avec eux. Je pense que ce sont mes personnages qui me poussent à continuer d’écrire.

 ActuSF : Certains lecteurs trouvent que vous en faites baver à vos personnages. On parle même de sadisme. C’est parce que des drames naissent les plus grandes histoires ?
Il faut bien qu’il arrive quelque chose aux personnages, sinon on n’a pas d’histoire. Si le lecteur peut se dire « rien n’arrivera de TROP méchant à ce personnage puisque c’est le personnage principal et que ça doit bien se finir pour lui », alors on perd la plus grande partie du suspense du livre. Comment avoir un conte intéressant si les personnages n’ont que des petites contrariétés ? Est-ce que vous voudriez lire un livre entier sur quelqu’un qui perd ses clés de voiture, ou dont le cheval commence à boiter pendant un trajet ? Si le personnage a des gros problèmes à résoudre, alors il y a des chances qu’il parte dans une grande et dangereuse aventure pour s’en sortir.

Le prochain paragraphe contient des indications sur l’ensemble du cycle de l’Assassin Royal, donc si vous n’avez pas fini le cycle, vous pouvez passer directement à la suite !

Des choses terribles arrivent à Fitz tout au long de ces livres. Mais très vite dans la série, le Fou lui révèle que de tous les futurs qu’il a entraperçus, il n’y en a qu’un dans lequel Fitz survit. Cela signifie que dans tous les autres futurs, il meurt ! Si le rôle du Fou est de garder Fitz en vie, cela signifie que Fitz va frôler la mort de près plusieurs fois si le Fou n’intervient pas. Alors, bien sûr qu’il lui arrive des choses terribles ! Ca fait partie de son destin, et c’est pourquoi le Fou est venu de si loin pour interférer dans sa vie.

ActuSF : Vous avez passé plus d’une décennie avec les Loinvoyants. Que ressentez-vous pour ces personnages en particulier ?
Ca me manque de ne plus écrire sur ce monde et ses personnages. Ils sont exactement comme des amis qui seraient partis pour un long voyage. Je pense à eux et me demande ce qu’ils font maintenant, et j’espère qu’ils vont bien. Quand je repense aux années que j’ai passées avec eux, c’est comme se souvenir d’un endroit magnifique où j’allais quand j’étais petite. Je ressens le même attendrissement que pour un très bon souvenir.

ActuSF : Entendra-t-on encore parler du Fou ?
Je ne sais pas encore. Je ne voudrais pas écrire quoi que ce soit d’autre sur ces personnages à moins d’avoir une idée vraiment exceptionnelle. Donc j’attendrai d’avoir une inspiration surprenante avant d’essayer. 

ActuSF : Après avoir fini d’écrire une histoire aussi longue, quel a été votre premier sentiment ? « Enfin » ? Comment trouvez-vous l’énergie de commencer une nouvelle histoire ?
L’ « histoire suivante » commence toujours à me travailler avant que le livre précédent ne soit terminé. Je sais presque toujours ce que j’écrirai après, ou, du moins, je sais lesquelles de mes idées je privilégierai. Même maintenant, alors que je commence tout juste un nouveau livre, je connais l’idée que je voudrai exploiter dans le suivant. En anglais, on plaisante en disant des écrivains qu’ils sont des gens qui ne peuvent pas « ne pas écrire ». Cette habitude de raconter des histoires devient presque une obsession. Alors même quand je suis épuisée à la fin d’un livre et heureuse d’oublier pour un temps mon clavier et mon écran, il y a toujours une part de moi-même qui commence déjà à collecter des morceaux de dialogues, des choix de scenarios pour le nouveau livre. Je n’arrête jamais vraiment d’écrire.

ActuSF : En France, il y a un projet en ce moment pour adapter l’Assassin Royal en BD. Travaillez-vous avec Laurent Sieurac ? Que pensez-vous de son livre ?
Laurent Sieurac fait du très bon travail. Je ne connais pas tout ce qu’il a fait, car je ne m’y connais pas trop en BD. J’ai vu des exemples de ses créations sur internet et j’ai été très impressionnée. On ne travaille pas directement ensemble, et je ne l’ai jamais rencontré. La manière dont je vois ça, c’est que son travail reflètera directement son ressenti de mon histoire. Je ne crois pas qu’un livre puisse être adapté exactement dans aucun autre medium. Je pense que, lorsqu’un auteur donne son aval à l’adaptation de son livre sur un autre medium, il faut que cet auteur fasse confiance en la vision de l’autre artiste plutôt que de rester penché au-dessus de son épaule et d’orienter son travail. Par exemple, si vous regardez les différentes couvertures que j’ai reçues pour mes livres, vous verrez que chaque couverture représente un artiste individuel tout autant que mon histoire. Et je trouve cela très bien.

ActuSF : Est-ce qu’il est difficile d’être une femme dans un monde d’auteurs masculin ?
Je n’ai jamais ressenti le monde des auteurs comme un monde exclusif ni même « majoritairement masculin ». Au contraire, tous mes éditeurs depuis le début de ma carrière ont été des femmes. Tous les auteurs ou éditeurs hommes que j’ai rencontrés ont toujours été courtois, intéressants et aidants. Donc je n’ai pas éprouvé de difficultés, mais seulement un grand plaisir et une certaine fascination. (J’ai peut-être eu beaucoup de chance ?)

ActuSF : Croyez-vous que le fait d’être une femme influence votre travail ? 
Je pense que tout auteur est influencé par ce qu’il est. Nous sommes tous définis par notre sexe, race, âge, nationalité, formation, religion et de nombreux autres facteurs. Personne ne peut écrire de façon totalement indépendante de ce qu’il est. Mais je ne pense pas écrire d’une manière excessivement féminine. Un auteur doit revêtir la personnalité de ses personnages dans la mesure où il écrit de leurs points de vue.

ActuSF : Qu’est-ce qui vous attire dans la fantasy? Est-ce le cadre idéal pour vos histoires ?
J’aime la fantasy car c’est un genre très libre. Tout peut arriver. C’est aussi un genre où l’on peut raconter de très grandes histoires. La fantasy n’a pas de limite de lieux ou même de temps. On peut écrire une histoire qui court sur une centaine d’années, ou décrire des événements qui changent le monde en quelques secondes. Mais plus généralement encore, la fantasy permet de considérer l’humanité en s’affranchissant de tous les préjugés liés aux nationalités, à la culture ou aux frontières. En lisant un bon roman de fantasy, nous ne sommes plus, moi une citoyenne américaine et vous un Français, et je ne suis plus une femme de 55 ans ou la mère ou la sœur de quelqu’un. Au lieu de ça, je deviens le personnage, et je vois le monde à travers ce prisme. Grâce à ça, je peux avoir différentes perspectives, et les évaluer indépendamment de ma propre vie. Cela libère vraiment le lecteur et l’auteur.

ActuSF : Vos œuvres ne font pas usage des Elfes et autres espèces. Il y a aussi très peu de magie. Votre travail s’apparente plus à l’univers médiéval historique. C’est nécessaire pour vous ?
J’aime que la fantasy prenne des racines vraiment profondes. Alors quand j’écris, j’essaie de donner à mon travail le genre de structure que j’aime lire. Il se pourrait qu’un jour j’écrive une histoire avec des Elfes ou des Sirènes. Ce n’est pas une limite que je m’impose. J’essaie de rendre la part « réelle » de mon monde la plus vraisemblable possible, de sorte que le lecteur puisse plus facilement y croire. Si la part réelle est très vraisemblable, alors je pense qu’il est plus facile pour le lecteur d’accepter également la part de magie. La magie est souvent très enracinée dans mon monde. Elle fait tant partie intégrante du monde que les habitants de mes mondes l’acceptent tout simplement de la même façon que nous acceptons des merveilles telles que les téléphones portables et l’aspirine.

ActuSF : Quelles relations entretenez-vous avec vos lecteurs ? Est-ce que vos fans ne sont pas parfois trop envahissants ?
J’adore parler avec mes lecteurs. J’ai un groupe de discussion Robin Hobb sur sff.net, où les gens peuvent venir pour parler avec moi ou d’autres lecteurs. On parle de tout, depuis le sport jusqu’aux droits civiques ou aux bonnes recettes de cuisine. Je recevais beaucoup de mails, et j’essayais de répondre à tout. Mais je suis arrivée à un point où je passais plus de temps à répondre aux mails qu’à écrire mes livres. Alors j’ai retiré mon adresse mail de mon site et je l’ai remplacée par un lien vers mon groupe de discussion. Cela a très bien marché pour moi, puisque je réponds une fois pour toute à une question, et tous les lecteurs peuvent lire la réponse. Je ne me suis pas trop sentie « envahie » par mes lecteurs. Il y en a eu quelques uns qui sont même passés chez moi et ont frappé à la porte, mais c’étaient des gens très agréables et cela ne m’a pas dérangé du tout.

ActuSF : Le style de Megan Lindholm et celui de Robin Hobb sont très différents. Avez-vous besoin de ces deux identités pour vous exprimer en tant qu’auteur ?
Ces deux styles sont différents comme vous l’avez noté, mais je crois que chaque style se prête à un genre d’histoire particulier. Le style Robin Hobb peut être plutôt développé. On voit plus de détails dans les émotions, plus de descriptions, et plus de détails. Cela rend le style bien adapté à un livre long et complexe. Le style de Megan Lindholm est plus partiel et sec. C’est un style efficace pour de courtes histoires, en particulier celles qui se passent dans le monde moderne, où je n’ai pas besoin d’expliquer ce qu’est un café crème, et qu’une Chevrolet est une voiture.

ActuSF : Vous venez de finir le Fils du Soldat, un roman qui traite, entre autre, de l’obésité. Est-ce un sujet qui vous touche personnellement ?
J’ai eu la chance que la nature me dote d’une morphologie qui ne prend pas facilement du poids. En revanche, j’ai vu ma mère se battre avec son poids durant des années, et plusieurs de mes amis font face à ce problème de façon quotidienne dans leurs vies. Ca me fait mal d’entendre les gens se moquer d’eux ou les qualifier de « goinfres » ou de « fainéants » alors que je sais que ce n’est pas le cas. Les études montrent que de nombreux facteurs entrent en compte dans le gain de poids. A régime alimentaire identique, les gens stressés grossissent plus que les gens tranquilles. Il existe aussi des preuves maintenant que l’obésité peut avoir des origines virales. On a découvert un virus en laboratoire qui provoque un gain de poids chez les rats infectés par rapport aux rats sains. Dans la mesure où aux Etats-Unis, on a une épidémie d’obésité, et que dans d’autres pays, comme l’Australie, on voit également le pourcentage de gens obèses augmenter significativement, j’ai pensé que c’était un bon sujet pour un roman de fantasy.

ActuSF : En France, « Retour au pays » (Homecoming) vient juste d’être réédité. Avez-vous l’intention de creuser un peu le passé des Six-Duchés et de répondre à certaines questions qui restent en suspens à propos des Anciens ?
Oui. Et cette réponse nous mène directement à votre question suivante, alors autant répondre aux deux en même temps.

ActuSF : Apparemment, vous travaillez sur Rain Wild (Désert des pluies). Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce roman ?
Je ne veux pas en dire trop sur ce roman, car il en est encore au stade d’ébauche, et mes livres changent souvent de direction quand je travaille dessus. Je dirai que l’histoire se situe dans le désert des pluies et que l’histoire se déroule après les événements de l’Assassin Royal et pour le moment, je le vois comme une histoire en un seul volume. Cela ne sera PAS la suite des aventures d’aucun des personnages des livres précédents. Je prévois de révéler pas mal de choses sur l’histoire des dragons et des Anciens. J’espère que les lecteurs éprouveront autant de plaisir que moi à découvrir cette histoire.

ActuSF : Quels sont vos projets ?
Mon principal projet est Rain Wild, bien sûr. Je travaille aussi à compiler une anthologie de Hobb/Lindholm à publier en un volume. J’inclurai quelques nouvelles histoires sous les deux noms, ainsi que du travail plus ancien. A mes heures perdues, je m’amuse sur un ouvrage de Noël pour jeunes lecteurs. J’essaie de retaper une vieille maison et d’éviter que mon jardin ne se transforme en réserve pour mauvaises herbes. Vous voyez, j’ai suffisamment de projets pour plusieurs personnes, et je suis habituellement assez occupée.

 
 

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