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Interview de Sarah Debove et Serge Lehman
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Interview de Sarah Debove et Serge Lehman

Actusf : Pour l'ouverture de cette interview, honneur aux dames ! Sarah, pouvez-vous nous expliquer votre parcours professionnel ? Vous avez notamment créé une association, La Glacière, pour promouvoir des projets de création artistique, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Sarah Debove : Vie et travail à… Mon parcours professionnel, officiel : j’ai fait une formation de gravure à l’école Estienne à Paris, puis les arts décoratifs en illustration à Strasbourg. Parallèlement à mes formations, j’ai fureté dans différents domaines artistiques (film d’animation, sculpture, livre d’artiste, installation).

La Glacière est née d’une collaboration artistique avec Catherine Jourdan, c’est un collectif dans lequel nous réalisons des expositions, performances, des spectacles de manipulations d’objets… Pour en savoir plus sur ce collectif : http://laglaciere.over-blog.com/

Actusf : Thomas Lestrange est votre première BD. Qu'est-ce qui vous intéresse particulièrement dans cette discipline ? Etes-vous une grande lectrice de BD ?
Sarah Debove : Pourquoi, comment je suis tombée dans la BD ? Il y a peut-être une histoire d’accoutumance… Quel que soit le média artistique, je suis surtout attachée à la narration qu’il instaure. Chaque média a son propre territoire, ses résistances à la narration. J’ai commencé à dessiner des BD, non pas parce que je voulais être auteur de BD, mais surtout parce que c’était le seul média qui pouvait accueillir l’histoire, l’univers que j’avais en tête. Après cette histoire, c’est là qu’il y a accoutumance, j’ai découvert les possibilités de langage propre à la BD : ellipses, zones de troubles, confrontations texte-image, héros (là, je pense à ton introduction, Serge, dans Chasseurs de chimères), des possibilités, torsions que seule l’image séquentielle peut permettre, peut accepter.

Je ne pense pas être une grande lectrice. Il m’arrive de découvrir des livres bien après leur parution. Il y a des auteurs que j’aime particulièrement. M’influencent-ils ? En tout cas, ils m'intriguent, me fascinent et j’essaye de suivre leur parution. Quelques noms en vrac : Kamel Khélif, Paz Boira, Fred, Munoz, Mattoti, Amanda Vahamaki, Gipi, Taiyou Matsumoto, Duba, Rabaté, Anne Brouillard, Blutch, Burns...

Actusf : Vous revenez, nous a-t-on dit, du Festival d'Angoulême. Etait-ce pour y présenter Thomas Lestrange ? Quelle importance revêt pour vous cet événement en tant qu'artiste, et qu'en avez-vous retenu ?
Sarah Debove : Je reviens d’Angoulême effectivement. Il n’y pas eu de dédicace de Thomas Lestrange. Je suis allée à Angoulême pour voir le festival, donner un coup de main à L’Institut Pacôme et travailler sur un projet avec Jonvon (auteur en résidence à la maison des auteurs). Du festival, j’ai surtout retenu la magnifique expo du CNBDI "La BD argentine vue par Munoz", quelques perles comme des originaux de Breccia, Munoz, Pratt.

Actusf : Serge, on ne rappellera pas votre fructueuse carrière littéraire. Après une expérience au cinéma sur le scénario d'Immortel d'Enki Bilal, vous vous attaquez à un autre domaine artistique avec la BD. Ressentez-vous le besoin de vous diversifier ? Que vous manque-t-il dans l'écriture de romans et de nouvelles et que vous trouvez dans ces formes d'expression plus visuelles ?
Serge Lehman : Le besoin de me diversifier, non. J'ai commencé à écrire quand j'avais entre douze et quinze ans, et ça s'est tout de suite manifesté sous les deux formes : littéraire et séquentielle. Je dessinais beaucoup à cette époque-là, j'ai même réalisé une BD complète d'une trentaine de planches (aux crayons de couleurs !). Ce n'est que lorsque j'ai compris que je ne serais jamais un bon dessinateur que j'ai envisagé la chose sous l'angle du scénario. Un peu plus tard, au Lycée, j'ai cocréé avec un copain de classe une des premières émissions spécialisées sur la BD (en 82, dans l'euphorie de la libéralisation de la bande FM). Et j'ai travaillé dans les trois premières boutiques Album du quartier latin, à l'époque des fondateurs, entre 84 et 87. Pendant ces années-là, j'étais plus intéressé par la BD que par le texte littéraire, ça me semblait à la fois plus facile et plus spontané, je ressentais l'écriture scénaristique avec une grande évidence. Il m'a fallu un certain nombre d'échecs et aussi la mesure des difficultés qu'on rencontre quand on partage la responsabilité d'une œuvre avec quelqu'un d'autre pour comprendre que si je voulais percer, il allait falloir que je me débrouille tout seul. Ça m'a ramené au texte pur et en 90, j'ai publié mon premier roman. Mais je n'ai jamais cessé de lire de la bande dessinée ni d'avoir envie d'en faire. C'est juste un désir qui a été longtemps différé.

Actusf : Après le premier tome de La Saison de la Couloeuvre avec Jean-Marie Michaud au dessin, Thomas Lestrange est votre second scénario de BD pour L'Atalante. Quelle importance revêt la BD pour vous, d'abord en tant que lecteur, et ensuite dans votre carrière ?
Serge Lehman : La Coulœuvre n'a pas précédé Lestrange, ni l'inverse ; les deux histoires sont nées et ont été écrites en même temps. En tant que lecteur, je n'ai jamais prêté la moindre attention aux critères de légitimité du mainstream, simplement parce qu'ils étaient établis par des gens qui ne connaissaient pas la bande dessinée, qui n'en lisaient pas. Je me souviens, quand je travaillais chez Album et que je lisais tout ce qui paraissait, d'une polémique où il était question de "l'infériorité intrinsèque" de la BD par rapport à la fois à la littérature et à la peinture : du mélange des genres comme péché mortel. C'est tellement convenu, tout ça. Tellement cliché. Ça ne vaut plus la peine d'en parler. En tant qu'écrivain, j'ai une très grande joie à écrire un scénario et la première forme de cette joie, c'est le spectacle du texte mis en images. J'écris, je poste mon script et quelques semaines plus tard, je le vois revenir transfiguré, je le redécouvre à travers les yeux d'un autre artiste. C'est une expérience complètement addictive.

Actusf : Comment est né le projet de Thomas Lestrange ? Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Serge Lehman : On s'est rencontrés aux Utopiales 2005, si je me souviens bien. Le Livre des Ombres venait de sortir, ça faisait quelques mois que j'étais de retour après plusieurs années de silence total. Comme j'avais travaillé avec Bilal et Druillet et que, de leur côté, Mireille Rivalland et Pierre Michaut de l'Atalante souhaitaient créer une collection de bande dessinée, ils m'ont demandé de jeter un coup d'œil aux books de graphistes qui avaient été déposés chez eux. J'ai été ébloui par ceux de Jean-Marie et de Sarah. La rencontre s'est faite comme ça, à Nantes. Avec Sarah, il y a tout de suite eu une affinité personnelle très forte, ce qui est finalement étonnant : qui se dissemble s'assemble, en quelque sorte. Et sur le plan esthétique, on a constaté qu'on partageait le même goût pour la peinture allemande et autrichienne du début du siècle, pour l'expressionnisme aussi ; Fritz Lang évidemment. A ce moment-là, j'écrivais la novella Superscience (parue début 2006 dans le numéro anniversaire de la revue Bifrost) qui est située à Metropolis. On est donc partis de cette communauté de goût mais il nous a fallu quelques mois pour dégrossir, simplifier, éliminer la tentation du cliché (je parle pour moi, ici). C'est Sarah qui a trouvé la solution avec ce qu'on a appelé après "l'image rouge et bleue".

Image rouge

Image bleue

Sarah Debove : C'est au fil de nos conversations par mail que ces images me sont venues, l'origine de ces images est sans doute le talent exceptionnel de Serge à conter, décrire les atmosphères et ambiances qui le traversaient et que nous complétions ensemble.

Serge Lehman : Je me souviens que pendant tout ce moment préparatoire, qui a duré les premiers mois de 2006, j'observais le texte en train de monter et je voyais qu'il était déjà sous influence, dévié par l'idée que tu allais le mettre en images. D'une certaine manière, c'est une situation de création parfaite : on écrit pour quelqu'un qui est vraiment son lecteur idéal, on voit l'histoire à travers ses yeux. L'image rouge et bleue est venue comme ça et quand je l'ai vue, tout ce qui se préparait sous la surface est devenu conscient : le mélange de vision subjective et objective qui caractérise le monde de Lestrange, les Chimères, l'œil dans le ciel, la proximité de la folie. Sur le plan de l'écriture, c'est la trouvaille du manteau vivant qui a lancé le processus. J'ai écrit les trois premières pages sans savoir où on irait ensuite. Sarah les a dessinées, l'Atalante a dit oui et c'est parti comme ça.

Actusf : Comment avez-vous procédé dans votre travail ? Etait-ce facile de collaborer ?
Sarah Debove : Pour moi c'est une rencontre entre deux univers très différents. Il y a eu une réelle entente, écoute et confiance, entre nous, un enthousiasme très fort sur le projet.

Croquis

Les scènes se transcrivaient d'abord par de tout petits croquis, sorte d'étapes intermédiaires avant les crayonnés des planches.

Serge Lehman : Oui, ce fut étonnamment facile. On est devenus amis, tout simplement. Sarah n'arrête pas de se déplacer. Quand elle venait à Paris, on se voyait, on discutait, elle me montrait des croquis, je lui parlais de ce que j'avais en tête et voilà. Pour Lestrange, on n'a jamais eu de plan défini, ce qui m'arrangeait bien : j'avais écrit tant de synopsis à la fin des années 90 que la seule idée de planifier me donnait la nausée. Pour l'essentiel, le livre est improvisé. J'écrivais une scène, Sarah la dessinait. Quand je voyais ses planches, l'idée de la suite me venait et je me remettais au travail. Ce n'est pas la meilleure manière de produire une histoire calibrée mais c'est précisément cette insécurité qu'on recherchait, ce sentiment d'être engagé dans une expérience.

Actusf : L'alchimie entre les textes et les dessins fonctionne parfaitement. Vous utilisez notamment des façons inédites de raconter certains passages, comme l'exorcisme de Sophie par Lestrange, ou bien à travers ce langage pictographique qu'utilisent Lestrange et les chimères. Comment vous sont venues ces idées ? Etait-ce pour vous essentiel pour l'histoire ?
Serge Lehman : Tu parles à un type dont la moitié des histoires sont hantées, depuis quinze ans, par un dieu appelé "le Picte" ! Eh bien, je ne sais pas, il y a vraiment un mystère là-dedans mais sa forme concrète, c'est le caractère fusionnel de notre relation, avec Sarah. Je ne pensais pas que c'était possible. Je ne savais pas qu'un jour, j'aurais la chance de travailler avec une artiste aussi sensible à mes propres visions. Il a suffi de quelques planches et j'ai éprouvé une confiance extraordinaire. J'ai senti que ce qui me venait en écrivant était ce que Sarah voulait dessiner, et dans l'autre sens, qu'elle saisirait la moindre de mes allusions pour mettre en image ce que, vitalement, j'avais besoin de voir. Les pictos du langage chimérique, ça s'est fait comme ça, sans réfléchir, il n'y a pas eu de théorie. J'adore la calligraphie, j'ai eu envie de voir Sarah inventer des caractères. J'ai lancé l'idée et une semaine plus tard, elle m'en a envoyé une cinquantaine, tous plus beaux et bizarres les uns que les autres. On les a reproduits sur les pages de garde du livre pour que le lecteur puisse en jouir comme nous.

Sarah Debove : Serge, c'est un plaisir, une réelle émulation de travailler, créer avec toi, j'ai fait plusieurs collaborations artistiques et celle-ci était particulièrement une des plus créatives. Concernant les pictos, je crois qu'avec Serge nous avons en commun notamment une fascination pour ce qui crée un langage, son origine, ses transcriptions dans l'histoire mais aussi ses sources insondables, le chaos, ce qui fait naître un mot.

Actusf : De même, le langage pictural est parfaitement maîtrisé : les jeux d'ombre et de lumière rythment l'histoire, les couleurs s'affranchissent du trait pour donner du sens et procurer des émotions. Ce parti pris était-il présent lors de la génèse de l'album ou s'est-il imposé pendant la réalisation ?
Sarah Debove : Merci. La couleur est un personnage de l'histoire, son rôle est primordial, elle détermine l'atmosphère de la page dans quoi « baignent » les protagonistes. J’avais envie de lui redonner de la place, trop souvent dans la bande dessinée la couleur est reléguée au rôle décoratif, agréable, une sorte de plus value au livre, rien d’autre.

Serge Lehman : Rien à ajouter, sinon des compliments moi aussi (c'est autant une lettre d'amour qu'une interview croisée !). Sarah dessine et peint merveilleusement et dans Lestrange, elle a saisi, pour ne pas dire créé, toutes les expériences picturales qui se présentaient. C'était un grand bonheur de voir le livre prendre forme entre ses mains.

Actusf : Entrons un peu plus dans les détails. Serge, Thomas Lestrange est truffé de métaphores plus ou moins évidentes. Notamment, la figure du corbeau est fascinante. Son caractère multiple et ambigu brouille un peu les pistes. Sans trop en dévoiler sur vos intentions (pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur) : pourquoi ce choix ?
Serge Lehman : Lestrange est sans doute saturé de métaphores mais elles sont non-conscientes. J'insiste sur ce point. A aucun moment je ne me suis dit : "je vais écrire ça pour dire 'ça' (autre chose)". Si on lit le travail théorique que je conduis par ailleurs (dans des articles comme La Physique des métaphores ou La Légende du processeur d'histoire, je pense que c'est évident. Toute la grammaire classique du symbole, de la métaphore, de l'allégorie, c'est une ressource que je m'interdis d'utiliser. Ce que je cherche, c'est une puissance "muette", la force nue des images et des situations narratives. Il faut qu'elles tiennent debout toutes seules. L'armature symbolique que le lecteur discerne après-coup, c'est lui qui l'amène. Maintenant, les corbeaux, c'est amusant. C'est l'une des choses qui m'ont séduit dans le book de Sarah. Il y a des corbeaux dans mes histoires depuis le début ou presque. Et dans Lestrange, spécifiquement, c'est venu d'un rêve éveillé fait il y a quelques années – une espèce d'hallucination. J'ai été frappé par l'idée que le mythe du langage originel, de la première langue humaine, la langue d'Adam disons, pouvait s'entendre très concrètement (de manière non-métaphorique, donc) dans les cris animaux. La vache dit "me", la chouette "où", le crapaud "quoi" et le corbeau "crois". Je ne pensais pas, au départ, utiliser cette idée dans le livre mais l'occasion s'est frayée un chemin jusqu'à moi dans la scène du rêve de Sophie.

Actusf : Thomas Lestrange contient également nombre de symboles bibliques (le corbeau en est d'ailleurs un), dans un univers qui oscille entre fantastique et SF. Qu'est-ce qui a motivé ce mélange ?
Serge Lehman : A l'instant où j'écris ces lignes, au-dessus de mon bureau, il y a une rangée de vieux Fleuve Noir Anticipation des années cinquante que je garde comme un talisman, parce qu'ils représentent mon premier contact avec cette espèce d'émerveillement dans lequel je me maintiens depuis que j'ai dix ans. En voici quelques titres : J'écoute l'univers ; A travers les âges ; L'Autre côté du monde ; La Force sans visage ; Le Péril des hommes ; N'accusez pas le ciel, etc. Je crois que la science-fiction, au XXème siècle, a été le réceptacle d'une grande partie des pulsions métaphysiques et religieuses que la littérature blanche s'efforçait d'éradiquer de son propre registre esthétique. Je ne développe pas ici mais je pense qu'il faudra faire preuve de lucidité, là-dessus, un jour. Le mélange s'est fait aussi simplement qu'à l'époque où j'écrivais Aucune étoile aussi lointaine ou L'Ange des profondeurs : c'est la nature même de cette émotion esthétique. Quant au corbeau, oui, c'est un symbole biblique mais il y a aussi une légende grecque qui dit que c'était l'animal fétiche d'Athéna et que si elle lui a finalement préféré la chouette, c'est parce qu'il était trop bavard.

Actusf : D'un point de vue plus macroscopique, cette histoire parle de "chasseur de chimères", titre d'une anthologie que vous avez composée pour Omnibus sur les classiques de la SF française. Les automates de l'album renvoient d'ailleurs à un merveilleux scientifique très XIXème / début du XXème siècle. Thomas Lestrange ne serait-il pas, par certains côtés, une pierre supplémentaire à la réflexion que vous avez engagée depuis quelques années, par petites touches, sur le sens et la définition de la SF ? Et comment positionnez-vous l'univers de Thomas Lestrange par rapport à vos autres oeuvres ?
Serge Lehman : Sur le site d'Actusf, j'ai écrit quelque chose comme : "la théorie, c'est la création littéraire poursuivie par d'autres moyens". Je fais de la théorie (et de l'histoire) comme je fais de la fiction, en me fiant à un certain sentiment d'euphorie et de vertige qui est, pour moi, l'émotion-guide. Mais encore une fois, je n'ai pas théorisé Lestrange. Je fabrique, l'une après l'autre, les pièces d'un ensemble très vaste mais dont je n'ai pas le plan. C'est la logique et la forme de chaque pièce particulière qui me dit comment faire la suivante. Disons qu'ici, je reconnais avoir délibérément cultivé l'idée qu'il y a peut-être, quelque part, un merveilleux européen des débuts du XXème siècle qui attend d'être réactivé.

Actusf : Sarah, vos dessins sont plutôt originaux par rapport à la grande majorité de la production BD. Chaque case est un véritable tableau et se rapproche plus de la peinture que du dessin. Techniquement, comment travaillez-vous pour arriver à ce résultat ?
Sarah Debove : Il s'agit effectivement d'une technique picturale assez archaïque : pigments et liant. J’ai choisi cette technique parce que je voulais pouvoir retravailler l’image, contrairement à la gouache ou l’aquarelle, qui ne permettent aucun repentir (regardez les aquarelles de Pratt, c’est impressionnant). Peut-être qu’avec des tubes d’acrylique je me serais facilité la tâche mais ce qui m’importe dans l’image n’est pas la constance de la couleur. Comme je l’ai évoqué précédemment, la couleur n’a pas une fonction de remplissage, ce n’est pas une signalétique (je pense par exemple aux personnages qui ont, quoi qu’il arrive, la même couleur de pull et de pantalon). Pour Thomas Lestrange je voulais que la couleur soit narrative, changeante. Dans une journée on passe son temps à changer de couleur, c’est insupportable ! Jamais les ombres ne sont noires et en plus elles se déplacent. C’est cette sensation que j’ai essayé de transcrire dans l’album.

Actusf : Avez-vous été influencée par des peintres particuliers pour Thomas Lestrange ? Plus généralement, quelles sont vos influences graphiques, qui confèrent notamment à votre dessin ce caractère profondément onirique ? On croit reconnaître par exemple la patte de Joann Sfar, cette impression est-elle justifiée ?
Sarah Debove : La parenté à Joann Sfar est essentiellement due je crois à la façon dont j'ai dessiné Sophie. Quant aux influences, elles sont plus souterraines, il y a bien sûr la période expressionniste mais aussi quelques dessinateurs contemporains. Lorsque j'ai dessiné Lestrange je n'ai pas cherché à me référer à une influence, dans les discussions que nous avions avec Serge, les images se dessinaient d'elles mêmes ; c'est comme ça que "le cri" de Munch, les tableaux de Klimt, les chimères de Bosch, les gravures du XIXème sont venues peupler mon esprit.

Actusf : Thomas Lestrange est finalement assez atypique dans le paysage de la BD actuel. Avez-vous eu des retours de la part du public sur cet album ? Comment a-t-il été accueilli ?
Serge Lehman : Quatre mois après la sortie, c'est encore un peu tôt pour se prononcer. Disons que l'accueil critique est vraiment très bon et que quand le livre touche un lecteur, il le touche très profondément, parfois violemment. J'ai eu des réactions passionnées que je n'avais jamais rencontrées auparavant. Le contact avec le grand public est plus compliqué mais on ne va pas faire semblant d'être surpris.

Sarah Debove : Rien à ajouter sinon le plaisir de renconter des publics très différents touchés par la BD, de redécouvrir Lestrange à travers les lecteurs.

Actusf : Quel est le bilan, sur le plan personnel et artistique, pour vous Sarah de cette première BD, et pour vous Serge de ces deux premières expériences sur Thomas Lestrange et La Saison de la Couloeuvre ?
Serge Lehman : Ça m'a rendu heureux.

Sarah Debove : Lestrange est une très belle histoire, humainement et professionnellement, que ce soit pour la rencontre avec Serge et la qualité de son écriture, pour l'accueil par l'équipe des éditions l'Atalante ou tout simplement le plaisir et la découverte d'un public, une belle histoire, donc, l'une de celles dont on rêve quand on se projette comme dessinatrice...

Actusf : Avez-vous d'autres projets en commun ? Envisagez-vous par exemple de poursuivre l'exploration de l'univers de Thomas Lestrange ? Et individuellement, avez-vous d'autres projets de BD en route ?
Serge Lehman : De mon côté, nous sommes actuellement en train de faire le deuxième tome de la Coulœuvre avec Jean-Marie. Et il y a l'énorme projet de La Brigade Chimérique avec Fabrice Colin et Gess, dont je reparlerai bientôt. Avec Sarah, nous attaquons un nouveau projet, très différent de Lestrange, un roman graphique contemporain, en noir et blanc. Mais il est trop tôt pour en dire plus.

Sarah Debove : Il y a plusieurs projets de livres mais il est effectivement trop tôt pour en parler.

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