Autant de bonnes raisons pour essayer de faire plus ample connaissance. Ne reculant devant aucun des obstacles perfides qu'une adversité obstinée aurait pu dresser sur notre route, nous avons repris notre bâton de pèlerin numérique pour s'en aller cogner à la porte du sieur Baxter. La route a été longue, mais le résultat est là.
ActuSF : Lorsque vous étiez enfant à Liverpool et que vous rêviez à votre future carrière d'écrivain, vous vous imaginiez en Paperback Writer ou comme un Fool On The Hill ?
Stephen Baxter : Pour moi, ça a toujours été le Paperback Writer. Je lisais des autobiographies d'Asimov, et d'autres. Et dès que j'ai réalisé qu'on pouvait gagner sa vie en écrivant, c'est ce que j'ai voulu faire. Aussi dès mon adolescence j'ai essayé de mener à terme des histoires, et de manière assez professionnelle pour qu'elles puissent avoir une chance d'être publiées quelque part. Je voulais être un auteur payé, pas un traîne misère.
ActuSF : Vous considérez vous comme un auteur de Hard Science ?
Stephen Baxter : Une bonne part de ce que j'écris est de la Hard Science, c'est à dire une SF s'appuyant sur des idées empruntées à la science sérieuse, et qui se réduit à une extrapolation plausible de ces idées. J'ai toujours trouvé la Hard Science particulièrement satisfaisante car c'est une fenêtre entr'ouverte sur des réalités possibles. Et c'est là tout le sens de la SF. Temps fait partie d'une série qui explore différentes pistes quant à notre place dans l'Univers : sommes-nous seuls ou pas, et qu'est ce que cela signifie ? Chacune de ces possibilités est plausible et réaliste. Mais j'écris aussi pas mal d'autres choses. Ce sur quoi je travaille actuellement est une série de thrillers uchroniques qui s'appelle Time's Tapestry. J'ai aussi écrit de la fantasy animalière avec ma série des Mammoth. Donc, oui, j'écris de la Hard Science, mais pas seulement.
ActuSF : Vos livres relèvent d'une grande précision scientifique et demandent donc, j'imagine, beaucoup de documentation. Comment travaillez vous ?
Stephen Baxter : Je fais énormément de recherches. Je lis beaucoup, des quotidiens aux magazines et revues scientifiques. Des récits, des biographies aussi. Tout ce qui a l'air intéressant en fait. Et bien-sûr, je surfe sur internet. J'assiste à des conférences, et il y a une paire d'années j'ai même participé à des fouilles archéologiques. Je suis toujours à la recherche de ce qui peut attirer mon attention et surtout d'un regard neuf sur ce qui m'intéresse et me préoccupe. Par exemple, avec Temps, ce qui m'a motivé, c'est une vieille fascination pour le paradoxe de Fermi – qui dit que, si les extra-terrestres existent, comment se fait-il qu'on ne les ait pas encore rencontrés ?
Donc dès que je tombe sur quelque chose, je vais commencer à creuser le sujet, afin de donner corps à mes idées – principalement dans des livres d'ailleurs, parce qu'internet est vaste, mais inconsistant. Ça peut aller jusqu'à écrire un synopsis. Puis j'entame alors des recherches détaillées, comme si je bachotais. La fiction c'est des personnages et une intrigue, mais mes recherches me fournissent le décor du monde dans lequel ils vont évoluer, ainsi que le fil directeur SF de l'histoire.
ActuSF : Vous mettez en œuvres des concepts assez vertigineux. Pensez-vous que la SF se doivent de s'y confronter, et pensez que la SF a un rôle à tenir par rapport à la culture mainstream ?
Stephen Baxter : La science fiction, dans sa forme moderne (à compter de Verne, Wells, etc.) est une littérature du changement, et qui relève d'une époque de grands progrès techniques, scientifiques et philosophiques (particulièrement la théorie de l'évolution qui a complètement changé notre vision de nous-même et de notre place dans l'univers). Le futur implique le changement, que ça nous plaise ou non ; et au cours de ce siècle nous en voyons déjà certains qui se profilent, notamment au travers des dérèglements climatiques. Dans un futur plus lointain, nous savons que l'univers va évoluer vers quelque chose de radicalement autre. Même nos descendants ne seront pas comme nous. Comme dans Temps. Alors je vois la science fiction comme un moyen d'explorer un univers de changement et des futurs différents. Et puisque le futur implique des bouleversements aussi vastes, la SF doit se confronter à des concepts qui le sont aussi.
Et sur le plan culturel, la science fiction nous aide à assimiler les implications des changements à venir. Mieux, elle nous habitue à l'idée même de changement. Certes c'est du divertissement, pas de l'éductation, mais il est plus facile de débattre d'idées comme le clonage ou la ruine de l'écosystème à partir de leurs représentations par la SF. Même un film comme Le Jour d'après a aidé les gens à saisir ce point essentiel : que les dérèglements climatiques vont être une issue majeure. On pourrait presque dire que la SF est une sorte de thérapie de groupe qui nous aide à nous faire à l'idée du caractère l'inéluctable du changement.
ActuSF : Pensez-vous que nous autres, Humains, avons une trop haute opinion de nous-même ?
Stephen Baxter : Non. En fait c'est ce dont parle Temps. Nous n'avons toujours aucune preuve qu'il y ait de la vie ailleurs que sur la Terre, et je ne parle même pas de vie intelligente. Alors que se passe-t-il si nous sommes la seule intelligence qui soit apparue et n'apparaîtra jamais ? Si c'est le cas, en dépit de toutes nos imperfections, nous pourrions bien être la seule conscience de tout l'univers. Ça n'est pas rien. Et il nous appartient de ne pas nous faire sauter, parce que si nous le faisions cet univers pourrait bien rester à jamais dénué de sens.
ActuSF : À la différence d'auteurs comme Vernor Vinge, vous ne vous êtes jamais senti l'âme d'un scientifique. Cependant, est-ce que vos romans ne seraient pas un moyen d'explorer vos propres théories scientifiques ?
Stephen Baxter : J'ai grandi en lisant de la science fiction, et j'ai été partagé entre a) essayer d'écrire b) devenir scientifique. Je suis allé jusqu'au doctorat en génie civil, mais j'ai toujours voulu avoir une vision plus globale que celle d'un étroit domaine de recherches. C'est pour ça que la fiction me convient mieux. Mais j'expérimente certaines idées dans mes livres et il m'arrive même parfois de participer à d'authentiques projets scientifiques. Par exemple dernièrement, pour le compte de la Société Interplanétaire Britannique, j'ai travaillé à la conception d'une base destinée au Pole Nord martien. Mais la science fiction reste mon premier amour.
ActuSF : Qu'est ce qui vous rend optimiste dans notre futur ?
Stephen Baxter : Le fait que nous ayons survécu à l'âge de glace, à la peste noire et à notre dangereuse prédilection pour la guerre, et ce malgré notre arsenal nucléaire. Aujourd'hui nous sentons les prémices d'une coopération pour s'atteler au problème urgent du réchauffement planétaire. Il est donc possible que nous soyons juste assez sains d'esprit pour nous sauver de nous-même.
ActuSF : Pensez-vous que le futur de l'Humanité réside dans l'inhumanité ?
Stephen Baxter : Peut-être. Probablement même. Les différences entre nous et les hominiens qui nous ont précédés – notre créativité, le langage… – sont peu de chose d'un point de vue génétique, mais elles ont évoluées très vite. Au point de faire de nous des extra-terrestres aux yeux des créatures avec qui nous partagions la planète, comme les Néanderthaliens et d'autres espèces tout aussi anciennes. Nous avons émergé parmi eux, car c'est ainsi que l'évolution procède – un petit groupe évoluant très rapidement vers une nouvelle étape, au sein d'un groupe plus large (exactement comme les Enfants Bleus de Temps) – et nous n'avons fait preuve d'aucune empathie envers eux, parce que quelles que soient leurs qualités intrinsèques, ils n'étaient pas "nous". Finalement, nous avons affirmé notre prééminence sur eux, jusqu'à leur extinction. Peut-être qu'aujourd'hui on les mettrait dans des zoos, mais ça ne serait pas mieux pour autant. Cela signifierait tout aussi irrémédiablement la fin de leur histoire. Maintenant, je ne vois pas quelle raison l'Homo Superior aurait de ne pas nous faire subir le même sort.