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Interview de Xavier Mauméjean sur Rosée de feu
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Interview de Xavier Mauméjean sur Rosée de feu

ActuSF : Qu'est-ce qui t'a donné envie d'écrire cette histoire ?
Xavier Mauméjean : Au départ jevoulais faire un Space Opera qui se serait appelé Pilotes.Le roman aurait pris le point de vue des perdants, en suivant une escadrille composée de jeunes combattants. On aurait trouvé différents caractères : l’idéaliste, celui qui se contente de faire son boulot, le résigné, l’ardent partisan de la ligne politique… J’ai donc beaucoup lu sur l’aviation de la Seconde Guerre mondiale, pour trouver le ton. Notamment les mémoires de Pierre Clostermann et de Galland, l’As de la Luftwaffe. Et puis j’ai découvert l’autobiographie de Ryuji Nagatsuka : J’étais un Kamikaze, Les chevaliers du Vent Divin. L’ouvrage s’est imposé comme point de départ.

ActuSF :
Qu'est-ce qui t'a intéressé dans le phénomène des kamikazes ? Est-ce le fanatisme qui conduit des jeunes gens à se sacrifier ou justement ceux qui le remettent en cause ?
Xavier Mauméjean : Le terme « Kamikaze » provient d’un contresens. Il n’est jamais employé à l’époque, et ne sera forgé que plus tard, principalement par les Américains d’origine japonaise. De même, on ne peut parler de fanatisme. Il y a autant de sacrifices que de raisons : pour l’Empereur ou la nation, mais aussi pour ses parents ou une épouse. Et puis il ne faut pas oublier que certains pilotes, souvent des vétérans, ont refusé ce qu’il prenait pour « un romantisme morbide et efféminé ». Et ce choix a été respecté par l’état-major impérial.  

ActuSF :
Comment as-tu travaillé ? Quelle a été la part des recherches et de la documentation ?
Xavier Mauméjean : Cela représente quatre ans d’un énorme travail, soutenu par les quatre épaules d’Olivier Girard. Le compte y est puisqu’il est à la fois éditeur et mon ami. J’ai procédé selon deux voies. D’une part la recherche de documentation, principalement livresque, avec l’aide de spécialistes de l’aviation militaire et d’une sinologue pour les dragons. D’autre part, une série d’entretiens avec des personnes d’origine japonaise directement concernées. Elles m’ont fourni des renseignements de première main et ont contacté leur famille au Japon pour effectuer des recherches.

ActuSF :
Peux-tu nous parler des trois personnages ? Comment les vois-tu ?
Xavier Mauméjean : Hideo est un petit garçon qui vit dans son village à la campagne. Il est nourri de propagande, mais ses certitudes vont être mises à mal par la guerre. Tatsuo, son grand frère, est un étudiant enrôlé dans une escadrille suicide. Enfin, le capitaine Obayashi, inspiré d’un personnage réel, est l’officier qui applique la « stratégie de la mort assurée ». Ils représentent trois âges de l’homme japonais en guerre, et correspondent aux trois montreurs de marionnette dans le théâtre Bunraku.

ActuSF :
Obayashi, celui qui défend les attaques suicides, a-t-il vraiment conscience de son geste, tout du moins de la portée de ses ordres ?
Xavier Mauméjean : Le capitaine est un maître archer. Il agit sans penser, ce que l’on appelle le « privilège de la volonté vide ». Par ailleurs, en tant qu’officier, sa décision est mûrement réfléchie. C’est un homme parfaitement intègre, servant une cause qu’il estime juste.

ActuSF :
En lisant ton livre, j'ai écouté parallèlement un peu par hasard une émission sur le massacre d'Okinawa. On a ordonné à des gens de se suicider face à l'avancée des troupes américaines. En as-tu eu connaissance ?
Xavier Mauméjean :
La même chose avait eu lieu auparavant à Saipan. La population civile s’est massivement suicidée. Les pères égorgeaient leurs enfants, les écolières se donnaient la main et sautaient deux par deux au pied des falaises. Tout cela dans une joie apparente, ce qui a horrifié plus que tout les Américains.

ActuSF : Et pour toi, quel était le climat dans ce pays pour qu'on en arrive à commettre de tels actes ?
Xavier Mauméjean :
Attention, les horreurs commises dans la ville chinoise de Nankin, une barbarie dont parle le roman, ont été commises quand le Japon était triomphant. Mais l’on pourrait objecter qu’il s’agissait de massacres perpétrés sur un autre peuple. Reste que la première attaque suicide, par sous-marins de poche, a eu lieu immédiatement avant l’attaque de Pearl Harbor et n’était donc pas motivée par la défaite. L’atmosphère du pays était certes empoisonnée par le tournant de la guerre, mais cette violence est beaucoup plus complexe. Je fais à autrui ce que je me fais à moi-même.

ActuSF : Penses-tu que le père de famille d'Hanada et Hideo aurait été jusque là ?
Xavier Mauméjean :
Ta question est intéressante, dans la mesure où elle suppose que je puisse avoir un regard extérieur, objectif, sur des personnages de fiction. Disons qu’ils n’ont pas eu à choisir. Dans une autre réalité où le Japon aurait connu deux frappes atomiques, il en aurait été de même. Dans un univers encore plus décalé où les Américains auraient débarqué au Japon, je ne sais pas.

ActuSF :
Tu as introduit dans ton roman les dragons avec une vision bien particulière. Peux-tu nous en parler ? Comment les as-tu imaginés ?
Xavier Mauméjean :
Je suis parti d’une contrainte, faire coexister traditions et modernité au Japon. Comme une grande partie du roman se passerait dans les airs, le choix du dragon s’est vite imposé. Mais je ne voulais pas d’une créature fabuleuse qui aurait désamorcé le récit en univers merveilleux. Donc j’ai opté pour des créatures biologiquement plausibles, inspirées principalement des oiseaux et des crocodiliens tout en reprenant leurs noms asiatiques. Ils ont plus ou moins le statut de chevaux, et les pilotes ont pour eux plus ou moins d’affection. Hommes et dragons coexistent depuis des milliers d’années. Donc la situation est normale, y compris pour le reste du monde.

ActuSF : Pourquoi justement avoir introduit des dragons à la place des avions ?
Xavier Mauméjean :
Parce qu’ainsi, les pilotes sont continuellement en relation avec une tradition remontant à plusieurs siècles, mais qui est familière, quotidienne. Cependant, les Japonais sont ouverts à la modernité dès lors qu’elle est compatible avec leur héritage culturel. C’est pourquoi, quand les dragons vont être mis en danger par les B-29 et par l’épuisement des reines qui pondent en batterie, ils vont envisager sereinement de construire des avions. A l’inverse, les superforteresses américaines apparaissent comme des créatures quasi-fabuleuses, au pouvoir de destruction presque sacré. L’idée n’était pas de choisir entre tradition et technique mais de les présenter comme des figures Yin et Yang, plus complémentaires qu’opposées.

ActuSF :
Le ton du roman est quand même assez sombre, avec une ambiance plutôt "lourde" chez les vaincus.
Xavier Mauméjean :
A l’exception des dragons, tout ce qui est décrit, y compris les passages invraisemblables comme « La semaine de l’espionnage » qui anticipe le 1984 de George Orwell, est rigoureusement vrai. De même pour les ballons toxiques lâchés depuis le Japon sur les Etats-Unis, ou les combats au sabre entre officiers de l’état-major. Ce qui m’intéresse n’est pas d’introduire du réel dans l’imaginaire, mais au contraire d’imaginer le réel. Le primat va à la réalité.

ActuSF : Est-ce que cela a eu des conséquences sur ton travail d'auteur ? En clair, est-ce plus difficile (psychologiquement ou non) d'écrire sur des sujets comme Rosée de feu ?
Xavier Mauméjean :
Tu as raison, ce roman m’a demandé un investissement affectif particulier, notamment parce que je travaillais avec une famille japonaise. C’est une très belle expérience, particulièrement émouvante.

ActuSF : Avec en plus des contraintes d'écriture assez fortes (comme sur les chapitres) ?
Xavier Mauméjean :
La double contrainte narrative, alternance des trois personnages selon la hiérarchie bunraku et le chapitrage basé sur les cinq éléments de la pensée chinoise, était plutôt une aide. Une façon de structurer le récit tout en y ajoutant du sens, une dimension symbolique. Durant la plus grande partie du roman, quatre éléments sur cinq apparaissent : Métal, Bois, Feu, Terre, chacun donnant sa tonalité au chapitre. L’idéogramme « Quatre » peut également signifier « Mort ». L’Eau n’apparaît qu’au moment des larmes.

ActuSF :
Quels sont tes projets ?
Xavier Mauméjean :
Au mois de janvier 2011, nous publions avec André-François Ruaud Sherlock Holmes, Une vie qui ne sera pas la reprise de notre ouvrage précédent sur le détective, mais une biographie de 500 pages. De même paraîtra Géographie de Sherlock Holmes, un livre d’art abondamment illustré de photos d’époque.

ActuSF : Sur quoi travailles-tu ?
Xavier Mauméjean :
Une heure avant de répondre à cet agréable entretien, j’ai terminé deux pièces radiophoniques pour France Culture, destinées à célébrer un événement important, le centenaire de Fantômas. Sinon j’assiste aux répétitions d’une œuvre musicale et théâtrale d’André Serre-Milan et Art Zoyd pour laquelle j’ai écrit le livret. La première aura lieu au mois de décembre, avant de tourner dans toute la France.

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