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L'Homme gribouillé de Serge Lehman se dévoile
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L'Homme gribouillé de Serge Lehman se dévoile

Actusf : Parlez-nous de la genèse de ce projet ? En quoi la découverte du travail photographique de Charles Freger sur le « Wilder Mann » a été un élément déclencheur ?
Serge Lehman : J’ai vu l’expo Wilder Mann, au MacVal, près de chez moi, en 2013. La participation de Frederik Peeters à L’Homme gribouillé n’était pas encore acquise à ce moment-là. Le projet lui plaisait mais il ne voulait pas entrer dans les détails avant d’avoir fini Aama. On se voyait quand il passait à Paris, on s’écrivait un peu mais ça restait assez théorique. C’est là que je suis tombé sur les photos de Freger. Je lui ai envoyé le lien, les images lui ont fait le même effet qu’à moi et on s’est découvert un terrain esthétique commun.




Actusf : Le travail de Freger porte sur des communautés en Europe qui célèbrent encore "L'homme sauvage". Qu'est-ce qui vous a intéressé dans cet homme sauvage ? C'est le lien qu'il entretient avec les lieux depuis une époque très reculée ?
Serge Lehman : Le décentrement du regard, la perception d’une étrangeté européenne aussi déstabilisante que celle de l’Asie ou de l’Afrique noire. C’est un des thèmes du livre.

Actusf : Votre histoire porte sur une mission, ou une malédiction, c'est selon, qui incombe à une famille. Là encore qu'est-ce qui vous intéressait dans le lien familial ?
Serge Lehman : Son intensité inconditionnelle.

Actusf : Comment pourriez-vous nous présenter Betty, coincée entre sa mère et sa fille, son boulot, les hommes de passage et ses pertes de voix ?
Serge Lehman : Betty, c’est assez largement ma femme, Corinne. Je voulais écrire un livre pour elle, alors je lui ai emprunté trois traits adorables, je leur ai donné une dimension cosmique et l’histoire est née de ça : la peur des chiens, la timidité en public et ce côté invincible… Cela dit, pose la même question à Frederik et il te répondra que Betty est à l’image de sa femme à lui.



Actusf : Qu'est-ce que vous aviez envie de faire ou de dire avec cette histoire ?
Serge Lehman : La même chose qu’à l’époque d’Espion de l’étrange, de F.A.U.S.T., de La Brigade chimérique ou de Metropolis : il y a un imaginaire européen qui dort, un monde splendide qui ne demande qu’à ré-éclore et dont nous avons vitalement besoin… J’écris là-dessus depuis toujours.

"J’ai pensé à l’ogre des contes et je me suis dit, voilà, je vais écrire l’histoire du dernier ogre d’Europe qui survit au fond d’une forêt en Europe centrale et se réveille de temps en temps…"

Actusf : Comment vous êtes vous "rencontrés" professionnellement avec Frederik Peeters et qu'est-ce qui vous a donné envie de travailler ensemble ?
Serge Lehman : L’idée de base de L’Homme gribouillé m’est venue en 1990, au cours d’une conversation avec Patrice Duvic, à Nice. Je venais de publier mon premier roman et Pat était déjà un grand ancien de la SF, il dirigeait la collection « Terreur » chez Pocket, il avait été le premier à repérer Dragon rouge et Le silence des agneaux de Thomas Harris, sa parole valait d’être écoutée. Il m’a expliqué qu’un processus de rénovation des grandes figures du fantastique était engagé avec Stephen King, Anne Rice, etc. Il m’a dit : « trouve un monstre classique que tout le monde a oublié, écris dessus et je te publie. » J’ai pensé à l’ogre des contes et je me suis dit, voilà, je vais écrire l’histoire du dernier ogre d’Europe qui survit au fond d’une forêt en Europe centrale et se réveille de temps en temps… L’idée était bonne et j’ai passé les dix années suivantes à essayer de la mettre en œuvre, en tâche de fond, sans jamais obtenir un résultat satisfaisant. Après avoir travaillé avec Bilal à l’adaptation de La foire aux immortels, j’ai aussi pensé en faire un scénario pour le cinéma, mais ça n’a rien donné non plus. Bon. J’ai rangé mes notes dans un tiroir et je n’y ai plus pensé jusqu’à ce qu’en 2012, en discutant de projets possibles avec David Chauvel, mon éditeur chez Delcourt, l’idée me revienne sous la forme d’un désir de bande dessinée en noir et blanc, très romanesque, très ample, à publier d’un bloc comme les romans [A Suivre] autrefois. David m’a demandé qui pourrait bien faire un tel livre et sans réfléchir, j’ai dit Frederik Peeters, parce que je venais de lire RG et Koma et que tout ce dont L’Homme gribouillé avait besoin sur le plan graphique s’y trouvait. David a pris contact avec Frederik qui a dit « pourquoi pas ? » On s’est rencontrés un soir, à l’occasion d’une séance de dédicace à Paris, et c’est parti comme ça.

"[...]l’idée me revienne sous la forme d’un désir de bande dessinée en noir et blanc, très romanesque, très ample, à publier d’un bloc comme les romans [A Suivre] autrefois."

Actusf : Pourquoi avoir choisi le noir et blanc ?
Serge Lehman : L’histoire se passe en France, en hiver, souvent de nuit, et le temps est uniformément mauvais : il n’y a pas besoin de couleurs. C’est la réponse que Fred fait quand on lui pose la question et elle me va très bien.

Actusf : L'album est volumineux. Combien de temps vous a-t-il fallu pour venir à bout de ce projet ?
Serge Lehman : Le synopsis complet du livre a été validé par Frederik début 2016. On a coécrit tout le début (jusqu’au départ de Betty et Clara pour le Jura) en deux mois, en alternant les scènes et en se corrigeant mutuellement. Là, Fred m’a dit qu’il n’en pouvait plus et qu’il devait dessiner ce qui était déjà là. Ça représentait 140 planches qui lui ont pris en gros cinq mois. Ensuite on a repris la coécriture, mais de manière plus réactive, plus rapide : il écrivait, puis dessinait pendant que j’écrivais, puis dessinait ce que j’avais écrit, etc… La dernière planche a été livrée en octobre 2017. En tout, ça fait donc un peu moins d’un an et demi.



Actusf : Et quels sont vos projets justement ? Sur quoi travaillez-vous ?
Serge Lehman : On va refaire un tour dans l’univers de la Brigade, Gess et moi. Un grand tour, peut-être le dernier, on verra. Et puis, écrire L’Homme gribouillé a rétabli en moi quelques émotions purement littéraires, ce qui ne m’était pas arrivé depuis très longtemps. J’essaie de remettre en route un roman.

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