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La Brigade de l'Œil

Damien Venzi (Illustrateur de couverture), Guillaume Guéraud ( Auteur)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/03/2009  -  livre
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La Brigade de l'Œil

Guillaume Guéraud, né en 1972, est journaliste. Il se met à l'écriture en 2004 et a depuis publié une dizaine de romans jeunesse aux Éditions du Rouergue, qui se démarquent par l'abord de thèmes dérangeants. La Brigade de l'Œil est son premier roman de science-fiction, hommage à Fahrenheit 451 de Ray Bradbury et au cinéma.

Un bon citoyen est un citoyen aveugle !

En 2017, le gouvernement de Rush Island instaure la Loi Bradbury, interdisant images, cinéma et télévision. Pour la faire respecter est créée la Brigade de l'Œil. Ses membres traquent les détenteurs d'images, de films pour brûler ces derniers et crever les yeux des contrevenants.
Falk est un membre de la Brigade. Kao est un adolescent qui mène un trafic d'images. Deux citoyens de Rush Island que tout oppose, des ennemis dont les destins, immanquablement, doivent se croiser...

Un roman hommage qui ne fait pas honneur

Rien n'est plus difficile que d'écrire un roman qui se veut un hommage, car même sans avoir la prétention d'égaler l'œuvre qu'on vénère, encore faut-il réussir à lui rendre honneur. Or, Guillaume Guéraud avec La Brigade de l'Œil ne rend pas grâce ni à Fahrenheit 451, ni au cinéma en général. Peut-être, si ce livre était un bon roman de SF, en serait-il différemment. Mais le dernier roman de cet auteur jeunesse a de gros défauts.

La Brigade de l'Œil est une dystopie. C'est du moins ce qu'elle essaie d'être. Mais Guillaume Guéraud n'a pas compris qu'il ne suffit pas de décrire un univers sous le joug d'une répression législative impitoyable pour que la sauce prenne.
Point un : il faut un univers croulant sous le poids d'une tyrannie physique et/ou psychologique, ou à défaut faussement utopique.
Certes, Rush Island correspond à ce critère. C'est une île sur laquelle a été instaurée une loi que le gouvernement fait respecter de façon radicale. Malheureusement, à aucun moment le lecteur ne croit qu'un tel endroit puisse exister et qu'on puisse souffrir d'y vivre. Premièrement, Rush Island est un espace parfaitement délimité et peu étendu, de par sa nature d'île. Il n'est jamais fait aucune référence au reste du monde. Le lecteur ne verra donc en le régime de l'Impératrice Harmony (titre et nom ridicules, au passage) qu'une petite dictature de plus, originale, mais qui n'a pas la force du carcan global décrit dans 1984 de George Orwell, par exemple. Un roman qui se déroulerait en Corée du Nord serait bien plus poignant de par sa réalité.
Deuxièmement, il est difficile de penser qu'on puisse contraindre un peuple en lui interdisant des images, ni que le monde puisse être meilleur sans cinéma et photographies. Les livres, toutes littératures confondues, sont aussi subversifs que tous les films du monde. On peine donc à imaginer comment brûler les seconds, mais pas les premiers, peut aboutir à créer une société ordonnée.
Enfin, étant en 2037, vingt ans après la promulgation de la Loi Bradbury, on est encore en présence de ceux qui ont décidé de la mettre en place. Le régime de l'Impératrice n'est pas immuable et on sent qu'il peut être renversé. Les adultes sont décrits comme à l'aise dans ce système – les jeunes sont éduqués dans une détestation des images qui est effectivement de l'endoctrinement –, par choix et non parce qu'ils sont drogués ou parce qu'on leur lave le cerveau. On est loin de l'ambiance et de la situation décrite dans Un bonheur insoutenable d'Ira Levin, autre chef-d'œuvre dystopique auquel La Brigade de l'Œil n'arrive évidemment pas à la cheville, pas plus qu'à celle de Fahrenheit 451 : les personnages principaux peuvent quelque chose contre le système, et cela se voit.

Point deux : le lecteur doit ressentir l'oppression que vivent les personnages.
La Brigade de l'Œil dispose de deux personages principaux. D'un côté, nous avons Falk, chef de la Brigade. À travers lui, l'auteur décrit le système de l'intérieur, donne un visage à l'oppression. C'est une erreur puisque aucun régime répressif n'est plus marquant que quand il n'a pas d'existence visible ou est carrément virtuel (tel Big Brother). Guéraud va jusqu'à faire batifoler Falk avec l'Impératrice Harmony, finissant de démystifier les « impitoyables » inventeurs de la Loi Bradbury.
D'un autre côté, nous avons Kao, adolescent trop jeune pour avoir connu l'avant-Bradbury. Ses parents l'ont toutefois bercé avec un discours contestataire. Il trafique des images, c'est un criminel. Il va tomber amoureux, ce qui n'est pas interdit mais lui donne plus d'humanité. C'est un personnage sympathique, mais tout comme Falk, sa psychologie reste superficielle. De plus, Guéraud, habitué aux romans jeunesse, livre un héros de roman jeunesse, et non de roman adulte.
Pas plus que ces deux personnages principaux, le style de Guillaume Guéraud ne permet au lecteur de percevoir l'angoisse qui étreint Rush Island. Lorsque la Brigade de l'Œil intervient, c'est violemment, mais on ne s'émeut pas outre mesure. La scène de l'incendie du théâtre et de ses occupants est un parfait exemple de description plate d'un drame dont le tragique est absent. L'auteur essaie bien de rendre son récit percutant par l'utilisation de renvois à la ligne et de tirets de césure, mais le procédé est utilisé trop systématiquement, donc abusivement, pour ne pas perdre de sa force.

La Brigade de l'Œil est un premier roman SF d'un auteur qui ne connaît visiblement pas grand-chose au genre. L'histoire est classique et les personnages peu attachants. Guéraud échoue à décrire une société dystopique digne de ce nom. Un roman dispensable, qui semble plutôt écrit pour un public juvénile que pour des adultes.

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