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La boussole du capitaine - septembre 2015
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La boussole du capitaine - septembre 2015

En travaillant sur le Panorama illustré de la fantasy & du merveilleux, au printemps dernier (et miracle du décalage temporel, vous lisez ces quelques lignes au moment où l’ouvrage vient de paraître), je me suis heurté parfois à un obstacle incontournable : l’iconographie hors droits. Il y a des droits de reproduction que j’ai demandé et que l’on m’a refusé, pour lesquels on me demandait plus cher que je ne pouvais mettre, ou pour lesquels on m’a simplement opposé une absence de réponse. Cet obstacle n’avait rien d’imprévisible et j’ai fait avec, bien entendu, en trouvant des sources alternatives d’iconographie — ou, dans quelques très rares cas, en renonçant à un chapitre. Ce fut le cas du chapitre sur Maurice Sendak, et c’est bien entendu un peu dommage tant Max et les maximonstres, pour ne citer que son album le plus célèbre, est une pièce maitresse de l’imaginaire enfantin récent.
 
 
Allons, ne me dites pas que vous n’avez jamais lu Max et les maximonstres ? Foncez dans la plus proche librairie jeunesse ou la bibliothèque près de chez vous, et en revenez qu’après l’avoir lu. Car enfin quoi , si le XXe siècle aura vu l’ascension d’un nouveau type d’artistes (les auteurs/illustrateurs pour la jeunesse), et l’invention d’une nouvelle forme d’expression par le livre (l’album d’images), parmi les maîtres de cette nouvelle alliance du mot et du dessin, l’une des figures les plus reconnues à un niveau international est certainement Maurice Sendak.
 
Maurice Sendak est né le 10 juin 1928, à Brooklyn, troisième enfant d’une famille d’émigrés juifs d’origine polonaise. Enfant fragile, très fréquemment malade lorsqu’il était petit, le jeune Maurice développe très tôt un fort sens de l’observation — une manière de savourer la vie sans pouvoir y participer activement, sans doute. De même, parce qu’il passe tant de temps tout seul, enfermé chez lui et souvent malade dans son lit, l’enfant développe une sorte de profonde relation d’affection avec ses jouets et, plus particulièrement, avec ses livres. Mais en dépit d’un sentiment certain de solitude,
 
Maurice est relativement heureux — sauf lorsqu’il lui faut aller à l’école, qu’il déteste absolument ! Maurice commence très tôt à écrire des histoires et, fasciné par les livres illustrés, il s’en fabrique lui-même. Élève médiocre, il se fait remarquer au lycée par ses dons de dessinateur. Interviewé cette année là par le journal de son lycée, il déclare que « l’art doit avancer aussi vite que la musique ; il ne doit pas demeurer statique. Les artistes doivent essayer de se détacher du réalisme, parce que la photographie peut nous donner toute l’exactitude et les détails que nous pourrions vouloir. Au lieu de cela, nous devons dériver vers l’expressionnisme, où les sentiments personnels et la pue émotion sont mis en œuvre. Les artistes doivent avoir plus d’originalité, voir au-delà de ce qui est apparent. » Des ambitions étonnement articulées et élevées pour un jeune homme de si peu d’années, et auxquelles il demeurera effectivement fidèle durant sa carrière.
 
 
Au sortir du lycée, Maurice Sendak ne rentre pas dans une école d’art mais dans une entreprise, Timely Service, spécialisée dans la confection de vitrines pour les grands magasins new-yorkais. Là, Maurice va notamment faire la connaissance d’un certain Russell Hoban, alors jeune peintre. Durant quelques mois, Russell s’étant sérieusement brouillé avec sa femme Lillian, Maurice va même cohabiter avec lui dans un appartement qu’ils louent sur la 10e Avenue, près de la 49e Rue. Un peu plus tard, Lillian & Russell Hoban deviendront eux aussi de célèbres auteurs d’albums pour la jeunesse, puis Russell Hoban se lancera dans une carrière d’écrivain, devenant l’un des plus originaux auteurs de fanatstique et de merveilleux (il y a une page sur lui dans le Panorama, bien sûr).
 
Durant les années 50 et le début des années 60, Sendak va apprendre son métier en illustrant un très grand nombre de livres pour enfants, ainsi que quelques couvertures de livres. Alors que l’époque est plutôt à de très grands formats et à la tentation de l’abstrait (un des grands illustrateurs pour la jeunesse, dans ces années-là, est Leo Lionni — récemment victime d’une tentative de censure par le maire de Venise), Sendak se démarque par une approche presque rétrograde et apparemment modeste, avec une énorme influence de l’art illustratif du XIXe siècle. Aquarelles et hachures croisées forment le principal de son vocabulaire graphique.
 
En 1963, Sendak se lance dans la réalisation, en auteur complet, de son premier livres d’images. Le succès fut si immense que la renommée et la fortune qu’il y gagna le mirent aussitôt à l’abri du besoin, et en mesure de ne plus faire désormais que les projets qu’il sélectionnait lui-même. Le titre de ce succès : Where the Wild Things Are (Max et les maximonstres).
 
 
Le petit Max, qui a fait plein de bêtises, est envoyé dans sa chambre où, en rage, il décide qu’une forêt va se mettre à pousser ! Lorsque toute sa chambre s’est transformée en monde forestier, il part à l’aventure, trouve un bateau et va rejoindre le pays lointain des animaux sauvages — les « maximonstres » de la V.F., animaux à la fois terribles et amusants que le non moins terrible Max dompte sans peur. Après une terrible fête avec ses nouveaux amis, Max soudain pris par le mal du pays regagne sa chambre où l’attend un dîner — qui n’a même pas refroidi.
 
Si l’album fut quelque peu controversé à sa sortie, c’est qu’il peint sans fard la « sauvagerie » et le mauvais caractère que peut avoir un véritable enfant, et que Sendak a fait de ses maximonstres de belles incarnations des fantasmes enfantines. Plongeant une fois de plus dans l’univers de sa propre enfance, dans ses peurs et ses fantaisies de l’époque où il devait rester enfermer dans sa chambre de Brooklyn, Sendak distille la substance même des excitations enfantines, dans une forme artistiquement très originale. Presque trop originale, pour certains lecteurs — adultes évidemment ! Encore peu habitués à une telle franchise dans l’explorations des fantaisies enfantines, des bibliothécaires et des journalistes s’inquiétèrent un peu. Mais cette controverse bien pensante ne fit qu’alimenter le phénoménal succès de l’album, rapidement traduit dans le monde entier. Quintessence fort rare des merveilles et horreurs de l’enfance, l’équipée sauvage de Max (qui reçue une médaille Caldecott en 1964) demeure plus de 50 années plus tard l’un des chef-d’œuvre du livre d’images. Sendak aura marqué le XXe siècle par une démarche artistique totalement originale, une approche sans concession du merveilleux comme voie d’exploration de l’inconscient enfantine.
 
Maurice Sendak s’est éteint en 2012, après avoir illustré plus d’une centaine d’albums, et son œuvre continue d’illuminer notre imaginaire, de trouver même de nouvelles actualités, comme en 2009 avec la stupéfiante adaptation ciné Where the Wild Things Are de Spike Jonze sur scénario de Dave Eggers ; ou en 2013 cette interview de près d’une centaine de page au sommaire du pavé The Comic Journal n°302. «
 
Un livre d’images n’est pas seulement ce que la plupart des gens pensent ce que c’est — une petite chose facile, avec plein d’images dedans, à lire aux petits enfants. […] C’est une chose terriblement difficile à faire, comme si l’on travaillait dans une forme de poésie compliquée et très exigeante. Cela vous demande tant d’efforts que vous devez être maître de la situation tout le temps, pour parvenir finalement à quelque chose de si simple et si dense — sans la moindre couture — quelle semblera avoir été assemblée en deux temps trois mouvements. Qu’une seule couture se voit et vous avez perdu. »
 
 
André-François Ruaud

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