- le  

La plage de verre

Iain Banks ( Auteur), Bernard Sigaud (Traducteur), Stephan Martinière (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/03/2006  -  livre
voir l'oeuvre
Commenter

La plage de verre

La-la-la-la-la,
Est-ce qu’on y voit vraiment plus clair
Quand on est sur une plage de verre ?
Hmm, hmm, hmmm, hmm-hmm…”


Première traduction des romans de science fiction hors Culture de Iain M. Banks, en attendant L’algébriste chez Bragelonne et Feersum Endjinn chez un éditeur courageux (donc jamais), Against a dark background arrive avec bien du retard dans nos rayons (et avec une couverture aussi attirante qu’une carcasse de baleine échouée sur une plage après une catastrophe pétrolière).

L’injustice est enfin réparée et la fresque du futur esquissée par Banks peut maintenant s’apprécier dans toute sa grandeur.

« Elle se rendit compte avec surprise qu’après plus de huit ans d’une paisible banalité elle venait de frapper deux hommes en moins de vingt heures.

La vie commençait à redevenir intéressante. »

Sharrow, une girl kicks ass en repos, est obligée de reprendre du service pour échapper au fanatiques Huhsz qui veulent sa mort afin de respecter une lointaine prophétie. Sharrow devra réunir les membres rescapés de son ancienne escouade, retrouver le dernier des Canon Lent - une arme surpuissante venue d’une autre dimension - qui joue aussi un rôle dans la prophétie, et pour cela retrouver le manuscrit unique des Principes Universels qui contient un indice quant à la localisation du Canon, indice laissé par le grand père de Sharrow - tout en notant que la localisation des Principes Universels est elle-même indicée génétiquement dans Sharrow. En chemin, elle explorera une planète à la végétation sur-dominante, braquera un train, s’infiltrera dans le royaume désuet de la cour des Rois Inutiles, s’invitera à la Cité des Robots, s’échappera d’une forteresse enterrée en plein désert, sera capturée par un pirate se prenant pour Dieu, ira rendre visite à sa demi-sœur recluse dans la Demeure Marine des Frères Tristes du Poids Maintenu dont les disciples sont menottés à des rails qui circulent dans l’ensemble de la Demeure suivant un système hiérarchique très élaboré… et tout cela avec à ses basques deux étranges jumeaux chauves qui la poursuivent et la torturent via une poupée à son effigie, et le Canon Lent qui n’hésite pas à squatter les rêves de Sharrow pour lui faire la causette.

Iain M. Banks livre donc, de prime abord, avec Against a dark background, un de ses récits de science fiction les plus barrés - on pense évidemment à John Sladek - où il s’amuse à tirailler les archétypes de la science fiction et de la fantasy (la quête, la prophétie, l’artefact mystérieux, les indices, les énigmes, les rebondissements téléphonés).

Afin d’accentuer l’extravagance de ce scénario, Banks lui adosse un background scientifique détaillé et très crédible ; folie accentuée également par le bordel géopolitique qui régit le système de Golter où se déroule l’action.

Against a dark background
est ainsi un roman très jouissif regorgeant de personnages secondaires pittoresques (le vieux sage qui détient les réponses aux questions de l’héroïne mais qui ne pense pas qu’à picoler et à combien il sera payé en retour ; le pirate qui essaye constamment de faire disparaître Sharrow par la pensée parce qu’il est Dieu ; le robot décalé très Tik-Tokien dans l’âme ; le cousin transi d’amour pour l’héroïne…) et de situations rocambolesques (la semaine nudiste ; le personnage en extase devant un artefact magnifique jusqu’à ce que le robot lui précise que les inscriptions là, ce ne sont pas des runes, mais un numéro de série…).

« Mais ces symboles ont de l’importance, n’est-ce pas ? C’est de ça qu’il est question depuis le début : des symboles. Pas vrai ? »


Évidemment, avec Banks, rien n’est simple, et ce vernis décapant n’est là que pour atténuer au départ puis accentuer vers la fin la noirceur du propos.

Comme dans L’usage des armes et Consider Phlebas, Banks met en perspective le rôle et les motivations de son héroïne.

La structure du récit est même très proche de ce dernier - une succession d’épisodes dans une quête absurde. Et comme pour Horza, les morts pleuvent autour de Sharrow.

Si le conte d’Horza s’intéressait à la futilité des conflits et aux orgueils à l’origine des guerres, celui de Sharrow souligne le ras-le-bol de ces répétitions incessantes des mêmes querelles, des mêmes soifs de pouvoir, des mêmes prétentions individuelles qui fourmillent de par le monde.

Banks fait de Sharrow la nemesis de l’hubris humain qui conduit encore et toujours aux mêmes guerres.

« Je veux que vous détruisiez tout ! hurla-t-elle. Tout ce putain de bordel ! Tous les hommes malfaisants et les femmes complaisantes, toutes les armées, les sociétés, les sectes, les religions, les ordres et tous les connards qui sont dedans ! Tous et toutes ! Absolument tout ! »


Comme dans L’usage des armes et Consider Phlebas, ce ne sont pas les scènes d’action qui l’emportent, mais les passages intimistes, les souvenirs - bons ou mauvais - et les tentatives d’exister au-delà d’un schéma pré-existant.

Sharrow et ses amis oublient le temps d’une méga-aventure qu’ils vieillissent, qu’ils sont mortels et que tout cela n’a pas de sens.

Rejoignant M. John Harrison dans sa volonté de donner une autre dimension au space opera, Iain M. Banks traite son héroïne comme une adulte et la met face à elle-même.

Ce n’est pas contre les ennemis qui se dressent sur son chemin que Sharrow va rencontrer les pires difficultés. C’est contre elle-même. Contre la violence qui existe en elle - en chacun de nous. Contre son passé criminel, contre ses actions de fillette borné envieuse, contre son désir de balayer tout ça d’un revers de pistolet laser.

Personnifié par le Canon Lent, la nature violente de Sharrow - celle qu’elle revendique et qu’elle est fière de montrer - s’estompe au fil du récit, au fur et à mesure que le temps passe et que les vivants rejoignent les morts, et que les motivations mégalomaniaques des marionnettistes de l’ombre s’éclaircissent.

Comme souvent, il n’y a pas de méchant à l’état pur dans Banks. Il n’y a que des personnages perdus dans un système dépassé, agissant suivant des coutumes obsolètes. Même le « grand méchant » attendu de l’histoire agit pour des motifs finalement altruistes (remettre un peu d’ordre dans ce bordel), même si pour cela le monde doit subir des pertes. Pour Banks, même animée de bonnes intentions, toute tentative de vouloir ordonner la société autre que suivant l’ordre naturel est voué à l’échec ; et au meurtre.

La motivation principale du « grand méchant » est d’ailleurs très proche de celui de la Culture : Vouloir imposer sa vision du « bien » au reste du monde, et ce à n’importe quel prix.

Le système de Golter apparaît d’ailleurs comme un reflet inversé de la Culture : hétérogène, en décadence, perdu dans l’univers (il n’y a pas d’autres civilisations), à la technologie limitée, sans IA (les robots ont été interdits et ont été parqués dans une ville). Et Banks semble préférer justement ce bordel à toute tentative d’uniformisation.

À travers Sharrow et le système isolé de Golter, Banks aborde aussi la thématique de la solitude. Solitude d’un monde perdu dans l’espace noir ; solitude d’un être qui voit ses amis mourir.

La succession d’aventures de Sharrow n’est qu’une tentative de vaincre le temps, de faire rejaillir ses souvenirs de jeunesse, d’oublier qu’elle vieillit, qu’elle va mourir et que toutes ces prophéties à la noix ne sont que des crachats sur l’océan.

Cette mélancolie, très noire, qui imprègne le roman donne aussi un aperçu nouveau sur le fonctionnement de la Culture (car oui même quand Banks fait un roman hors de la Culture, il fait réfléchir le lecteur sur la Culture quand même). C’est cette peur de la solitude qui anime la Culture ; ce besoin d’aller vers les autres ; de justifier son existence à travers son absorption d’autres civilisations.

Toute l’œuvre de Banks repose sur ces contacts ratés, ces gestes manqués, ces crimes sordides qui naissent pourtant d’un sentiment d’amour sincère - mais egomorphe.

C’est ce que finit par comprendre Sharrow, que tout n’est qu’une histoire d’ego - même dans ses propres actes.

Mais il sera alors trop tard. Comme trop souvent.

« Peut-être avons-nous besoin d’un nouveau commencement, d’une page vierge. Peut-être est-ce là notre seul espoir. »


Avec Against a dark background, Banks parachève la métamorphose de son space opera, un space opera mature qui entre de plein pied dans la gueule du monde moderne, enlisé dans des dogmes sociaux pesants, des conflits politiques et guerriers absurdes et une littérature soi-disant prospective de plus en plus abêtissante.

Et Banks n’offre aucune solution ; aucune alternative à ce marasme. La science fiction n’est pas là pour faire oublier la réalité, elle n’est là que pour la mettre en perspective.

La seule finalité que trouve Sharrow c’est celle d’accepter de vivre dans ce marasme ; accepter de vieillir sur cette plage de verre ; seule.

Et le vent d’emporter Sharrow vers un destin qui n’appartient plus qu’à elle, désormais.

« Tu seras une putain d’héroïne à la fin de cette histoire… »


Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?