La sortie des deux anthologies érotiques
69 et
Chasseurs de fantasmes est l'occasion d'évoquer un phénomène de masse qui touche tout particulièrement nos fandoms préférés, les fanfictions déclinant des relations hypothétiques entre personnages du même sexe* : le
slash.

On s’accorde généralement pour dire que le slash trouve ses racines dans le fandom de la série
Star Trek. Au début des (très libérées) années 1970, des fans ont ainsi imaginé que la relation unissant le capitaine de l’Enterprise, James T. Kirk, au vulcain Spock allait bien au-delà de la simple amitié… On se réfère aujourd’hui à cet imaginaire slash célèbre par l’acronyme K/S (« Kirk Slash Spock »). Jusqu’à la fin des années 1980, les
slashs fictions étaient presque exclusivement l’apanage des fanzines. Avec l’essor d’Internet, elles se sont très rapidement démocratisées et étendues à d’autres fandoms, majoritairement de la SF et de la fantasy, comme ceux de
Stargate SG-1 et
Harry Potter pour citer les plus récents. Le phénomène
Harry Potter semble d’ailleurs aujourd’hui le plus largement privilégié par le genre slash, avec d’innombrables sites dédiés aux déviances des élèves de Poudlard, pourtant si innocents en apparence.
Parallèlement au slash, le genre
yaoi se concentre lui aussi sur les relations dites «
homoérotiques », le plus souvent entre hommes. Le yaoi a émergé dans le Japon de la fin des années 1970, et s'est d’abord décliné sur le même schéma que le slash, en s'appuyant sur des mangas populaires tels que
Saint Seiya, puis à travers des œuvres originales. Il semble qu’il s’agisse là de la principale différence entre les deux genres, le slash étant principalement relégué à l’extrapolation d’œuvres existantes. Le dyptique
Boys Love (2006-2007), du réalisateur japonais Kotaro Terauchi, a entériné un genre déjà extrêmement populaire au pays du soleil levant et suscitant un intérêt croissant dans le monde occidental – selon Mark McLelland**, 875 200 sites Internet lui seraient consacrés en dehors du Japon.

Il est intéressant de noter que le slash, à l’instar du yaoi, a une très grande prédilection pour la science-fiction, le fantastique et la fantasy. Il s’agirait selon plusieurs spécialistes de lire dans ces deux genres une réaction à l’hypermasculinité de la plupart des univers de l’imaginaire (pour vous en convaincre, examinez avec attention la place accordée aux personnages féminins dans le
Seigneur des Anneaux ou
Star Wars, par exemple). A mon sens, il faut aussi considérer plus généralement ce que j’appellerais « l’hyposensualité » de l’imaginaire.
Contrairement à d’autres genres de fiction, comme le roman noir, la science-fiction et la fantasy ont tendance à éclipser l’intimité des protagonistes sur un plan individuel, leur substituant une dimension plus épique. Ainsi, des planètes entières sont anéanties dans
Star Wars, douze-mille hommes combattent à la forteresse de Fort-le-Cor dans le
Seigneur des Anneaux : ce gigantisme laisse peu de place à l’individualisme, sacrifiant à une cause à la démesure écrasante. On parle en termes de civilisations, de systèmes politiques et de sociétés, reléguant l’individu à un fragment représentatif d’une masse donnée.

Il convient alors naturellement de se poser des questions telles que : «
Qui est James T. Kirk, quand il n’est pas le fer de lance militaire de la Starfleet, mais seulement un être humain ? » ou encore «
Qui est Harry Potter, quand il ne combat pas les forces du mal que déchaîne le sinistre Voldemort, mais traverse cette étape si troublante qu’est l’adolescence ? », etc. Les réponses, vous l’aurez deviné, font l’apanage des
slash fictions.
Comme l'a si judicieusement souligné Jeanne-A Debats dans la postface de
Chasseurs de fantasmes, «
La SFFF traite de la vraie vie, et la vraie vie ce ne sont pas les batailles spatiales [...] ni les quêtes initiatiques à la noix, la vraie vie c'est manger, dormir et se reproduire. » On suggérera aux néophytes de se rendre sur le forum de Christelle Guillon,
Le monde du slash, pour appréhender et se familiariser au genre et à ses trépidantes déviances.