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Les coups de cœur de Jean-Luc Rivera - Septembre 2014
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Les coups de cœur de Jean-Luc Rivera - Septembre 2014

Praërie de Jean-Luc Marcastel 
 
Jean-Luc Marcastel fait partie de ces auteurs dont je découvre toujours avec plaisir les nouveaux romans, souvent tournés vers la SF depuis quelques années. Et il ne m'a pas déçu avec "Praërie. Le monde des Sinks" (Scrineo) : certes le roman sort en jeunesse mais tous les adultes peuvent le lire, ils apprécieront sans doute encore plus que leurs enfants les thèmes abordés et le traitement qu'en fait l'auteur. Le livre est un hommage avoué au très grand roman de Murray Leinster, La Planète oubliée, mais, à part les luttes entre hommes et insectes, tout est très différent. En effet, nous sommes sur Terre, dans notre bonne vieille France, où, un 
beau jour de 1994, un laboratoire de recherches et le village voisin ont soudainement et mystérieusement disparus. Le coin a été condamné par l'armée et c'est là que, vingt ans plus tard, Vincent Marty est envoyé. Il est d'autant plus intéressé à connaître le fin mot de l'histoire que son père et beaucoup de ses amis d'enfance faisaient partie des disparus. Suivant les pas de son oncle, il s'est engagé dans les services spéciaux de l'armée après un passage par la Sorbonne, et il vient seulement d'apprendre ce qui s'est passé : le labo faisait des recherches sur la miniaturisation et, suite à une expérience qui a mal tourné, ils ont été miniaturisés d'où la protection absolue du champ dans lequel ils se sont retrouvés. Vincent, son pilote, et un hélicoptère, vont eux aussi être miniaturisés à la même taille (celle de fourmis) afin d'explorer les ruines du labo et récupérer des documents. Mais lors de la réduction de taille, une libellule, ce prédateur redoutable, va tout faire échouer en attaquant et détruisant l'hélicoptère qu'elle a pris pour proie. Vincent va être sauvé par les descendants des villageois, les Sinks, qui ont bâti une cité souterraine entre les racines d'un arbre afin de se protéger des insectes tueurs en tous genres. Vu la miniaturisation, le métabolisme est accéléré et une vingtaine de générations se sont succédées. Nous découvrirons avec Vincent cette civilisation primitive qui s'est reconstruite en se modelant sur son environnement insectoïde afin de survivre, ses croyances autour des différents insectes, les souvenirs déformés de notre monde. C'est en cela que l'auteur rend son roman passionnant : il a pris en compte toutes les modifications auxquelles nous n'aurions pas pensé à cause de la différence de taille et donc de poids (le rapport à la gravité ou à l'eau par exemple) ce qui entraîne une manière de vivre et de se comporter entièrement différente de nos réflexes inculqués depuis notre plus tendre enfance. Il nous livre d'ailleurs, à la fin du roman, quelques pages fascinantes d'annexes sur les caractéristiques et les habitants de ce monde des Sinks, superbement illustrées - il a un très beau coup de crayon ! - qui nous démontre son degré de réflexion sur le sujet.
 
Vincent va devoir s'adapter très vite, avec l'aide de Lo Hiss et de quelques autres Sinks, dans un milieu hostile (que ce soit celui des insectes ou celui des Sinks...), car il n'a que vingt-quatre heures devant lui pour retrouver le labo et échapper à une mort atroce puisqu'il a perdu son équipement. Or vingt-quatre heures c'est à la fois très court  et très long, surtout lorsqu'on mesure 0,5 cm... JL Marcastel nous livre un roman plein de combats épiques contre des monstres bien réels, ceux qui peuplent nos jardins et nos champs, ceux auxquels nous prêtons guère attention du haut de notre mètre soixante-dix ou quatre-vingts (quoique lorsqu'une guêpe nous pique ou un mille-pattes nous mord, nous le sentons bien !) et une réflexion très fine sur le retour au primitivisme. En bref, un bel ouvrage d'aventures et de SF (j'attends avec impatience la seconde partie de ce diptyque) où l'auteur nous prouve, avec grand talent, que nous n'avons pas besoin d'aller très loin pour découvrir un monde qui nous est totalement étranger et hostile !
 
Arnaud Duval - Les Pousse-Pierres 
 
Lors d'une chronique de février 2012, je vous parlais du plaisir que j'avais eu à lire "Les Pousse-Pierres", premier roman d'Arnaud Duval. L'auteur a reçu, depuis, le Prix des Futuriales Jeunesse 2012, qui récompense un nouvel auteur pour son premier ou second roman. FolioSF a eu la bonne idée de le rééditer en juin et j'ai mis à profit de longues vacances (d'où mon silence dans ces colonnes, long silence dont je m'excuse auprès de vous) pour le relire. Et, avec le recul, je ne trouve rien à redire à ce quej'écrivais précédemment. "Dans ce système solaire de l'an 2170, "Pousse-Pierres" est le surnom peu flatteur donnés aux Spatieux, ces humains qui vivent dans l'espace et alimentent en matières premières la Terre, poussant des trains de minerais glanés dans les astéroïdes jusqu'à l'orbite terrestre. Terriens qui sont, eux, interdits d'exploration spatiale par les Lagrangiens, technologiquement supérieurs - du moins c'est ce qu'ils croient -, habitants d'une grande station spatiale orbitale située sur un point de Lagrange. Entre ces trois civilisations se croyant chacune supérieure - un thème devenu curieusement à la mode depuis la parution de ce livre... - aux deux autres, la situation est perpétuellement tendue. Mais les grands consortiums qui dominent la Terre ont décidé de rompre cet équilibre précaire en lançant une opération de déstabilisation: c'est à ce moment que surviennent d'une part le naufrage mystérieux du vaisseau spatial appartenant aux parents de la jeune Maureen O'Garret qui sera seule recueillie par un autre vaisseau de Pousse-Pierres et, d'autre part, la fuite subite sur la station Eloane de la famille de Richard Trévise, fuite que sa mère, cadre supérieur d'une grande compagnie terrienne, avait planifié en accord avec le mystérieux Théodoros d'Eloane. Maureen et Richard, dont les vies que tout oppose vont se croiser, se retrouveront les pions et les enjeux d'une lutte tripartite dont les tenants et les aboutissants leur échappent et réaliseront que l'union fait la force, interférant ainsi avec les plans de tous à travers une épopée qui les mènera jusqu'aux lunes de Jupiter.
Arnaud Duval nous est présenté en 4ème de couverture comme un lecteur assidu de SF anglo-saxonne depuis son plus jeune âge: il a manifestement fort bien assimilé les romans qualifiés de "juveniles" des années 50 et 60, dont le grand maître était Robert Heinlein. Et, en lisant "Les Pousse-Pierres", j'ai retrouvé mes enthousiasmes de jeunesse, cette atmosphère que savait créer Heinlein, entre personnages attachants - les deux héros mais aussi le capitaine haut en couleurs du vaisseau "Améthyste", patriarche de la famille Trajan, ou l'énigmatique Théodoros, manipulateur hors pair, ou les sympathiques robots Beppie et Dinah, la méchante de service Cheryl Vonburg et une pléthore de caractères secondaires bien trempés - et aventures spatiales débridées sur fond de complots divers dans un système solaire qui reste un environnement hostile. Le tout est prétexte, comme le faisait si bien Heinlein, à enseigner ces valeurs fondamentales que sont le courage, l'honnêteté, la tolérance, la coopération, à se connaître soi-même en connaissant et en acceptant les autres. L'auteur fait admirablement bien passer ce message d'une actualité brûlante, en nous faisant partager avec ses deux héros le passage difficile de l'adolescence à l'âge adulte. Il s'agit d'un excellent roman que jeunes et moins jeunes peuvent lire avec le même plaisir, en espérant qu'Arnaud Duval continuera de nous convier à l'exploration - avec ses personnages ou d'autres - de cet univers qu'il a créé." J'ajouterai que, manifestement, Arnaud Duval a écouté ses lecteurs et qu'un nouveau roman se déroulant dans le même univers devrait sortir d'ici la fin de l'année.
 
Zeppelin's War de  Richard D. Nolane et Vicenc Villagrasa 
 
Parallèlement à son excellente série uchronique sur la Deuxième Guerre Mondiale, "Wunderwaffen" (5 tomes déjà parus chez Soleil), dont je vous ai déjà parlé ici à plusieurs reprises et qu'il continue, Richard D. Nolane récidive avec le premier tome d'une série intitulée "Zeppelin's War" (elle aussi chez Soleil), qui se déroule lors de la Première Guerre Mondiale, avec Vicenc Villagrasa au dessin. Disons-le tout de suite, elle est très réussie. Nous sommes en 1916, la guerre aérienne fait rage: les zeppelins boches bombardent Paris, l'un de leurs pilotes est d'ailleurs un certain Adolf Hitler qui s'intéresse déjà depuis longtemps aux  idées de surhommes (un échange p. 7 entre Hitler et son commandant est hilarant !). Quant à Hermann Goering, il est bien un pilote, d'avion, chef de l'une des escadrilles de protection des dirigeables. Ils vont se rencontrer alors que le Haut Commandement allemand place beaucoup d'espoir (et de réserves sur le personnage...), afin de se défaire du front russe, en l'étrange starets Raspoutine qui poursuit des recherches fructueuses sur le mystérieux vril dans le Spitzberg... Et du côté français, le malheureux Guynemer, après avoir été abattu et être devenu le pire des mutilés de guerre, va se retrouver, grâce à l'intervention du Ministre de la Guerre en personne, entre les mains expertes du docteur Cornélius, ce qui permet à celui-ci d'éviter la guillotine... Vous le voyez, ce premier tome est très riche en pistes diverses, en un mélange harmonieux de la littérature populaire de l'époque et de l'ésotérisme plus "traditionnel", où l'on retrouve toute la culture du scénariste. Je vous recommande d'ailleurs de lire attentivement toutes les bulles afin d'apprécier toute la saveur du scénario. Celui-ci est fort bien servi par le dessin de Vicenc Villagrasa: superbes dirigeables, superbes avions, superbes combats aériens, tout est un plaisir visuel. En bonus, le n° du 14 décembre 1916 de l'Illustrated War News (en français) qui nous fait un résumé de l'histoire des dirigeables dans ce monde parallèle, avec de bien jolis dessins d'uniformes et quelques crayonnés. Un album à découvrir très vite en attendant le suivant qui ne devrait pas tarder.
 
Jean-Luc Rivera

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