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Philip K. Dick est de retour !
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Philip K. Dick est de retour !

Actusf : Philip K. Dick est un auteur très connu dans le milieu de la science-fiction et y a laissé son empreinte. Edité de nombreuses fois, SIVA a été réédité cette année chez Gallimard. De quoi cela parle-t-il ?
Etienne Barilllier : Résumer SIVA ? Ce serait faire l'esquisse d'une cathédrale ! Plus sérieusement, le roman raconte le parcours d'un écrivain de science-fiction plus ou moins raté, Horselover Fat. C'est un ami du narrateur qui n'est rien de moins que Philip K. Dick lui-même. Fat déprime, pense au suicide… Suite à une expérience mystique, une révélation au sens religieux du terme, il se perd dans de multiples interprétations pour comprendre ce qui lui est arrivé. Peut-être bien qu'il est en relation avec SIVA, un satellite extra-terrestre qui délivre des informations divines... Le titre est l'acronyme de « Système Intelligent Vivant et Agissant ». Quel programme !



Actusf : Premier opus d’une trilogie, La Trilogie Divine, comment cette œuvre s’intègre-t-elle au reste des écrits de Philip K. Dick ? A-t-elle une place particulière ? Pourquoi ?
Etienne Barilllier : Il s'agit du dernier cycle écrit par Dick, un trilogie inachevée qui commence par SIVA (1978), s'enchaîne sur L'Invasion divine (1980). Dick est mort avant d'entamer The Owl in Daylight qui n'existe qu'à l'état de fragments.
Cette trilogie est souvent associée à deux autres livres :  La Transmigration de Timothy Archer (1982) et Radio Libre Albemuth (1976). Le premier est le dernier roman écrit par Dick. Le second est en fait un état très antérieur, et assez différent de SIVA et ne sera publié que de façon posthume.
Nous sommes ici dans la dernière période de Dick, celle du mystique. Il utilise quantité d'idées de son Exégèse, ce journal intime qu'il tenait obsessionnellement depuis 1974 (elle a été publiée en deux volumes chez Nouveaux Millénaires). Il se libère d'une certaine façon : ce qui était de l'ordre de la quête intime devient une œuvre d'art. Mais surtout il développe de nouvelles formes romanesques. Il parvient à écrire un mélange entre roman de science-fiction et roman de littérature général, reprenant les caractéristiques des deux genres pour une fusion extraordinaire. Son dernier roman La Transmigration de Timothy Archer est à ce titre splendide… et laisse rêveur des textes que Dick aurait pu écrire.
Pour mémoire, en février-mars 1974, Philip K. Dick a connu une série d'hallucinations visuelles et sonores dont il livre un compte-rendu assez précis dans SIVA. Jusqu'à sa mort, il a exploré le sens de ces événements : suis-je fou ? Suis-je en relation avec Dieu ? Avec autre chose ?...

Actusf : Dans ce roman l’auteur « discute » avec une sorte d’alter ego, Horselover Fat dont il critique vigoureusement les opinions et les écrits. Que pouvez-vous nous dire de ce personnage ?
Etienne Barilllier : Il appartient clairement au domaine de ce qu'on appellerait aujourd'hui une autofiction… mais à la manière de Philip Dick, c'est-à-dire unique... Dick c'est Horselover Fat, à la fois un alter ego et un Falstaff bouffon et pathétique. Il est le miroir déformant dans lequel Dick se regarde. Le procédé contamine par extension tout le roman. Le personnage de Kevin est basé sur K. W. Jeter, celui de David sur Tim Powers, toute la mécanique du roman repose sur une transposition et une réinvention de l'autobiographie. En jouant avec les doubles de lui-même et de ses amis, Philip Dick restitue leurs conversations, leur amitié tout en donnant une dimension polyphonique à son texte. En effet, chacun interprète, analyse, propose. Au final, le sens du roman devient kaléidoscopique, laissant au lecteur la liberté de tirer les conclusions de son choix.

"Dick n'était pas vraiment obsédé, mais plutôt passionné. Dans le roman, Dieu revient pour peut-être sauver l'humanité et la faire sortir enfin des ténèbres. "

Actusf : Philip K. Dick était obsédé par les religions et les philosophies. Comment cela se traduit-il dans ce roman ? Quelles sont ses autres écrits qui abordent cette thématique ?
Etienne Barilllier : Ah… la question divine… Dick n'était pas vraiment obsédé, mais plutôt passionné. Dans le roman, Dieu revient pour peut-être sauver l'humanité et la faire sortir enfin des ténèbres. On peut lire avec intérêt Radio Libre Albemuth qui est un état lointain du roman et voir comment ces thématiques s'y incarnent différemment. La thématique mystique est très forte dans les derniers livres de Dick, mais on la retrouve en réalité dans l'ensemble de son œuvre… Que l'on pense par exemple au Dieu venu du Centaure, ou encore à Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?…

"Oui, indubitablement. Toute l'œuvre de Dick questionne sa propre existence. Il n'a eu de cesse de nourrir ses textes de sa vie [...]"

Actusf : Finalement, ce roman comme d’autres sont le reflet de sa vie et des questions existentielles qui le hantent. Peut-on dire que son œuvre est indissociable de sa vie ?
Etienne Barilllier : Oui, indubitablement. Toute l'œuvre de Dick questionne sa propre existence. Il n'a eu de cesse de nourrir ses textes de sa vie –  et inversement quand il expliqua dans sa conférence de Metz en 1977 que ses textes avait une valeur prophétique... La science-fiction lui a longtemps permis de métamorphoser l'autobiographie (la mort de sa sœur jumelle, sa paranoïa, etc…) grâce au masque de l'imaginaire.
D'ailleurs le nombre de biographies (comme la splendide bande-dessinée de Laurent Queyssi et Mauro Marchesi, Phil récemment parue) montre l'intérêt que l'on porte à cette vie. Lire Dick, c'est  devenir l'ami de Phil, écrivain, mais aussi un homme, avec ses démons et sa lumière.

Actusf : Cette année 2018 est riche en actualités pour Philip K. Dick et son œuvre, puisque nous avons pu voir l’arrivée de la série Philip K. Dick’s Electric Dreams, basée sur différentes nouvelles de l'auteur dont The Hood Maker (1955) sur Amazon Vidéo.
Pouvez-vous nous  en dire quelques mots ?

Etienne Barilllier : C'est une anthologie : chaque épisode peut être vu indépendamment des autres, une peu comme La quatrième dimension ou Black Mirror. Il s'agit d'une série d'adaptation de nouvelles – qui ont toutes été opportunément réunies dans un même recueil chez J'ai Lu. Le casting est impressionnant, souvent de premier ordre : coproduite par Ronald D. Moore (Battlestar Galactica), avec Geraldine Chaplin, Brian Cranston, Steve Buscemi, Anna Paquin, Greg Kinnear. Les épisodes sont parfois inégaux. Les thèmes dickiens sont tellement forts, si riches en influence, tellement pillés par Hollywood que l'on peut avoir du mal à percevoir leur originalité quand on revient à la source ! Mais elle vaut largement le détour parce qu'elle est avant tout honnête vis-à-vis des textes originaux. J'espère qu'il y aura une deuxième saison !


Actusf : Enfin toujours par rapport au titre de cette nouvelle série, celui-ci fait référence au roman Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? qui a inspiré le film Blade Runner et sa suite Blade Runner 2049. L’univers de Philip K. Dick est complexe, riche et très personnel. Est-il possible de s’y aventurer sans carte, ni boussole ? Quels conseils donneriez-vous à de futurs lecteurs ?
Etienne Barilllier : J'ai moi-même découvert Dick quand, adolescent, un libraire m'a conseillé un de ses romans. Je ne savais quasiment rien de lui alors ! Il ne faut pas que l'étude de ses textes fasse peur. Dick est un auteur très accessible… il risque juste de vous faire pétiller le cerveau !
J'ai écrit Le Guide Philip K. Dick (ActuSF) justement pour offrir des clés simples pour entrer dans l'œuvre. Oui, vraiment, il ne faut pas se laisser rebuter par ce que l'on peut lire sur Dick, par le mythe dickien. Son style est très lisible, sa science-fiction efficace. Si vous accrochez à ses idées et à ses thèmes, vous serez très facilement emporté… pour un voyage dont vous ne reviendrez pas forcément le même !

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