Sofia Samatar, Un étranger en Olondre, Les éditions de l’instant :

Attention, grand livre ! Et lecture pas évidente, exigeante même – il fait bien avouer que ça va parfois (souvent ?) ensemble. L’ample coup d’essai de Sofia Samatar a d’ailleurs d’emblée obtenu les prestigieux British Fantasy Award et World Fantasy Award ; la jeune maison belge « Les éditions de l’instant » nous permet d’y accéder aujourd’hui en traduction. C’est l’histoire du jeune Jevick, rejeton d’une riche famille d’exploitants de poivre, qui grandit à Tyom, village reculé d’une île isolée, dont les habitants respectent d’antiques traditions, craignent d’anciens démons et n’ont même pas idée de ce que peut être un livre. Jevick pourtant va découvrir la littérature et parcourir le monde ; il sera même une pièce importante d’un vaste bouleversement politique et deviendra un saint, avant de revenir chez lui…
C’est le personnage qui raconte, si bien que nous adoptons son point de vue restreint : l’auteure ne nous donne pas toutes les clés. Ainsi, le roman ne comporte pas de carte, alors qu’il raconte un voyage aux nombreuses étapes et qu’on s’y perd parfois un peu. Un tel choix évoque celui d’un Jean-Philippe Jaworsky par exemple, héraut lui aussi d’une fantasy littéraire : ne pas proposer de vision surplombante pour mieux faire exister l’univers comme il est perçu de l’intérieur, par ses « habitants » de fiction, par éclats incomplets mais signifiants – comme nous percevons le nôtre. Appuyées sur de nombreux extraits de la littérature d’Olondre (sa poésie, ses chroniques...), la vraisemblance et la cohérence sont remarquables, et la densité sensorielle maximale : on connait la qualité de la lumière, les odeurs, le contenu des repas, le détail des vêtements des femmes et l’éclat de leur peau, en y reconnaissant quelque chose de l’Inde, de la Mongolie, de la Polynésie, mais sans jamais pouvoir mettre le doigt dessus exactement, puisque ces régions-là n’existent pas sur notre carte ! La restriction du point de vue produit de l’émerveillement, car on découvre les beautés de ce monde en même temps que Jevick qui les a longtemps rêvées (quand il décrit un livre en voyant cet objet pour la première fois), mais aussi du trouble, car on demeure au même niveau d’ignorance que lui (quand il vit l’intrusion terriblement brutale du fantôme en lui, sans savoir encore ce qui lui arrive). On ne découvre que très progressivement, et partiellement, ce que recouvrent les cultes de la Pierre ou d’Avalei, et les implications socio-politiques de tels choix religieux dans une histoire où personne n’a vraiment raison ni tort.
On peut avoir le sentiment que ce n’est plus qu’à peine de la fantasy : peu de magie, pas de péripéties, rien de spectaculaire ou d’épique. Et en même temps, on touche à l’essence du genre : Jevick se retrouve hanté par un Ange, l’esprit d’une jeune défunte, et fait alors ressurgir un rôle sacré depuis longtemps disparu ; son voyage initiatique le mène au bout du monde et aux portes du trépas. Surtout, de bout en bout le roman exalte le besoin vital d’histoires, pour les vivants, et pour les morts : c’est là qu’il trouve son unité, et son ancrage dans la fantasy.
Hervé Jubert, La Nuit des Egrégores, une enquête de Georges Bélisaire Beauregard, Folio SF



Chez Rivière Blanche, dans la grande série des « Dimension… » qui rassemble des nouvelles par origine (Dimension Espagne, Russie, latino…) ou par thématiques, par « sources », historiques ou littéraires, comme ici avec Dimension Moyen Âge et Dimension Fées, j’étais spontanément très attirée par l’anthologie proposant de revisiter le Moyen Âge, dirigée par Meddy Ligner et préfacée par la spécialiste Lucie Chenu. D’une façon étonnante qui renouvelle bien le propos, on y trouve pas mal de SF, avec voyages dans le temps et vengeances posthumes (Antoine Lencou, Jean-Pierre Andrevon, Jean-Michel Calvez ou Jean-Louis Trudel). Je souligne la présence au sommaire de Fabien Fernandez, illustrateur bien connu des Imaginales et auteur désormais bien mieux que débutant ; et la nouvelle de Jess Kaan, qui reprend la légende de la fondation d’Arras par Saint-Vaast, chère à mon cœur de nordiste d’adoption ! Enfin, Dimension Fées nous propose d’explorer une autre source des plus fertiles en variations et réinventions : les contes de fées. Le sommaire établi par Chantal Robillard est passionnant et éclectique, associant auteurs et grands folkloristes français, qui souvent ne font qu’un – Pierre Dubois ou Claudine Glot, pour ne citer qu’eux…