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Un mois de lecture, Anne Besson - Novembre 2016
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Un mois de lecture, Anne Besson - Novembre 2016

Ce mois-ci j’ai lu… du space opera français ! Plusieurs parutions récentes semblent en effet augurer d’un renouveau de ce genre phare de la science-fiction, voué aux aventures et explorations du cosmos. Riche d’une vénérable histoire aux États-Unis, il revient en force depuis quelques années au cinéma, et, donc, en cet automne, dans les ouvrages de deux jeunes romanciers français. Parallèlement, c’est toute une collection consacrée à ce genre qui prend son envol chez Scrinéo, sous la direction avisée de Stéphanie Nicot. 
 
Arca de Romain Benassaya, Critic « Science-fiction » : ce premier roman réussi s’inscrit pour partie dans une tradition bien identifiée, celle des récits de « vaisseaux-arches » : on y imagine des engins gigantesques, en route pour d’interminables voyages, avec à leur bord un résumé de la civilisation terrienne. L’Arca, puisque c’est son nom, part en 2156 pour la lointaine Griffe du Lion, au-delà du « Seuil » de Jupiter, porteur de l’espoir de peuples englués entre une Terre à l’agonie et une tentative de colonisation de Mars au coût humain faramineux. Il bénéficie pour son périple d’une nouvelle propulsion basée sur une découverte proprement miraculeuse : l’Artefact, mystérieuse source d’énergie que nul ne comprend vraiment, pas même Sorany Desvoeux, la jeune scientifique qui l’a découverte par hasard lors d’une mission. Mais le voyage ne va pas se dérouler sans encombre, quand dans le vaisseau une nouvelle religion recrute sans cesse davantage d’adeptes, déclenchant la ferveur puis le fanatisme, et que des passages vers d’autres mondes semblent s’ouvrir. Autour de Sorany, enjeu de la lutte, Maud la psychologue ou Frank le soldat vont mener l’enquête puis tenter de s’opposer au pire. 
 
En bon space op, le roman mêle, à une intrigue principale simple et efficace, des réflexions plus profondes sur le rapport entre la science et la foi (ici, les savants incapables d’expliquer ce qu’ils font, facilitant la tentation mystique), sur le prix respectif de l’obéissance ou de la rébellion (dans l’atroce situation martienne, où il n’y a pas de « bon » camp) ou encore sur l’embranchement des possibles (belle apparition d’une « histoire parallèle », d’une autre chronologie potentielle). Si le personnage de Franck Fervent, même doté d’une ligne d’intrigue consacrée, en alternance, à nous conter son histoire personnelle, reste cependant un peu conventionnel, Sorany pour sa part fait une héroïne étonnante et attachante dans sa vulnérabilité – elle lutte constamment, jusqu’au bout ou presque, pour ne pas être celle que chacun voudrait qu’elle soit, l’élue, le messie, la responsable.
 
 
Latium (tome 1) de Romain Lucazeau, Denoël Lunes d’Encre : premier roman également, encore plus ample et ambitieux peut-être, Latium se déroule infiniment plus loin dans le temps, alors que le dernier humain a disparu depuis des millénaires, livrant à elles-mêmes des Intelligences Artificielles vouées à le servir. Ce premier tome (le seul que j’ai lu, le second étant depuis paru) se consacre essentiellement au destin de(s) Plautine(s), Intelligence qui s’est transférée dans un vaisseau (une Nef) et mise en sommeil dans une galaxie lointaine : la voici qui s’éveille, après avoir capté un signal qui pourrait relancer la quête de l’Homme, et avec elle les aspects de sa personnalité scindée, Theuke, Oike, Ploos…, auxquelles bientôt viendra s’ajouter une version androïde, également nommée Plautine, personnalité ancienne sans ses souvenirs de Nef, dans un corps imitant l’humain. L’autre protagoniste, Othon, l’ancien complice de Plautine appelé pour la rejoindre, quitte la planète où il menait de son côté une expérience secrète et risquée : la création d’une civilisation d’hommes-chiens, qui vivent à la façon des Grecs archaïques et pourraient devenir une armée tant ils échappent au Carcan, la toute-puissante règle qui impose aux Intelligences le respect absolu de toute vie. Car des ennemis déferlent qui menacent de détruire la niche écologique où avait vécu l’homme, et donc d’anéantir tout espoir de retour.
 
Le roman, vous l’aurez constaté, est très compliqué à résumer ! Pourtant il ne s’y passe pas grand-chose en réalité (un Vaisseau voyage à la rencontre d’un autre, ils sont attaqués), mais l’arrière-plan, lui, est d’une richesse époustouflante, mêlant histoire antique, références à la littérature classique et invention d’une vie logicielle tout à fait fascinante. Le grand défi de l’ouvrage tient en effet à ce qu’il se passe de tout protagoniste humain, un choix radical en ce qu’il implique de se priver largement de l’affect, de l’empathie, voire de la communicabilité (d’ailleurs, l’auteur use à plusieurs reprises de l’expression « l’équivalent computationnel de… », qui nous permet de nous raccrocher à du connu !). Eurybiadès l’homme-chien ou la Plautine incarnée viennent ensuite faire office de relais plus « humains » auprès du lecteur, mais la démarche reste osée et le résultat très intéressant. Il permet notamment de multiplier les passages de genèse, qui rejouent l’origine du monde et du moi, cosmogonie ou théogonie : une machine s’allume, un être s’éveille, dans des laps de temps et des distances inconcevables, en autant de moments suspendus d’une grande beauté – sense of wonder maximal ! Une lecture pas toujours facile donc, au rythme lent et ample, mais qui m’a laissée rêveuse, et même émerveillée.
 
 
Et aussi : Le Roi Arthur, un mythe contemporain de William Blanc, éditions Libertalia
Ce gros livre joliment illustré est l’œuvre d’un jeune historien spécialisé dans les représentations du Moyen Âge : William Blanc, qui anime le magazine en ligne Histoire et images médiévales, a consacré un ouvrage à Charles Martel et prend régulièrement la parole pour s’opposer aux réécritures abusives du « roman national ».  Historique et politique, érudit mais toujours accessible, c’est le ton de l’ouvrage, que j’ai dévoré d’une traite – l’arthuriana est un de mes sujets favoris, et d’avoir déjà travaillé sur ces corpus m’a permis d’apprécier la valeur des chapitres consacrés plus particulièrement à la fantasy, comme celui sur les représentations genrées, sorcières ou femmes guerrières, ou encore celui sur « Excalibur. Merlin contre-attaque », qui étudie l’inflexion de la réception contemporaine de la légende arthurienne, plus axée sur le merveilleux. Sans viser une exhaustivité sans doute impossible à atteindre, l’ouvrage couvre tout de même un nombre d’exemples assez hallucinant, en particulier des films, des BD, des comics, et, de façon originale, puise aussi du côté de la musique populaire, chansons, albums, comme participant à une culture commune définissant une époque. Il permet au passage d’explorer des pans entiers d’histoire socioculturelle, sur plus d’un siècle, dans le monde anglophone surtout (Angleterre et États-Unis chaque fois distingués comme deux contextes bien différents), mais pas seulement. William Blanc rend chaque fois compte des œuvres à travers le message qu’elles portent et transmettent : il les replace dans leur histoire politique et sociale immédiate, et lit les évolutions de la matière arthurienne à cette aune. Si de mon point de vue littéraire c’est négliger un peu l’intertextualité (la façon dont les textes s’influencent les uns les autres, parfois à long terme), j’avoue que les analyses produites sont toujours très convaincantes ! Plus précieux encore, cet ouvrage m’a donné envie de revoir ou de dénicher moult merveilles et bizarreries, du KnightRiders de Romero et ses chevaliers-motards au Wizards de Ralph Bakshi (celui du dessin animé du Seigneur des Anneaux) en passant, entre autres, par une trilogie de films espagnols sur des templiers-zombies – faites l’essai, vous y découvrirez sans aucun doute votre bonheur de curieux.
 
Anne Besson

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