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Villa vortex

Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 30/09/2004  -  livre
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Villa vortex

On a le droit d'avoir peur de ce pavé de 820 pages avec lequel Maurice G. Dantec signe son très attendu retour au roman. Après la lecture en Blanche, chez Gallimard, de ses carnets de bords, on pouvait s'attendre à quelque chose de touffu, de dense. C'est plus encore. C'est sur la ligne. Ambitieux à la limite extrême du prétentieux. Complexe au point de confiner au défaut de construction. Stylistique mais en équilibre sur le gouffre du ringard. Erudit jusqu'au point de rupture. Villa Vortex évolue sur un fil de funambule, avec d'inévitables mouvements de balancier qui le font parfois pencher vers le ratage.

Et pourtant...

Lorsqu'il ouvre sur la mort collatérale des idéaux et celle de celui que sera son héros, on est rassuré. Dantec ose toujours. Entre l'alpha de la chute du Mur de Berlin et l'omega du 11 septembre, il ose le flashback de 10 ans sur la vie de Georges Kernal, flic de banlieue, machine administrative, qui va aller se déshumanisant, à mesure que sa quête le conduira aux limites de la Vérité.

Tout commence en fait avec la découverte, dans un sac poubelle, du cadavre atrocement mutilé d'une adolescente. Lorsque l'autopsie révèle que plusieurs de ses organes ont été remplacés par des équipements informatiques, on acquiert avec Kernal la certitude d'avoir affaire à un serial killer.

Une dérive vers de la SF ringarde

C'est le prétexte pour Dantec à une exploration des thèmes qui lui sont chers. Plus convaincu que jamais que l'Humanité est entrée dans un processus d'autodestruction, il fait de la banlieue de Paris son "laboratoire de catastrophe générale". Licence littéraire réductrice, mais couillue, qui, et c'est dommage, lui ouvre la voie vers des crossovers pas toujours heureux. Le polar se mêle à l'essai, qui se mâtine de théologie, pour, au bout du bout du compte, dériver sur la SF ringarde, avec un interminable final post-mortem du héros, devenu commando narratif chargé de faire imploser la culture de masse dans une apocalypse métaphysique. Métaphore lourdingue sur rôle de l'écrivain selon Dantec.

Alors quoi ?

L'homme serait-il donc tombé au feu de l'honnêteté intellectuelle ?

Dans sa quête permanente, Dantec nous dit avoir découvert un passage vers le Divin, qu'il manifeste par une sorte de catholicisme rebelle. Ainsi la pensée de théologiens chrétiens du haut Moyen-Age vient saupoudrer copieusement son propos, déjà fortement inspiré par sa lecture des philosophes nietzschiens. Un mélange souvent indigeste. Tout à son amour du dire, Dantec s'écoute écrire, et nous place alors dans l'impossibilité de le lire. Car si en nous exposant ainsi ses certitudes et ses doutes, il recherche une forme d'approbation, j'ai bien peur qu'il ne trouve que peu de personnes dans son lectorat qui soient suffisamment armées pour y répondre.

Du coup, peut-être pour dissiper ses propres incertitudes, il pose en guérillero littéraire, et fait naître une sorte de portrait en creux de ces intellectuels prêt-à-penser qu'il conchie tant. Il se caricature lui-même. C'est dans ses moments que la grâce disparaît. Lorsqu'il se réfère systématiquement à des auteurs qui ont, eux aussi, jonglé avec la limite - comme Abellio ou Drieu la Rochelle - Dantec confine au génial, parce qu'il nous conduit à nos propres limites. Lorsqu'il nous expose la mécanique de sa fiction et des questionnements qui la sous-tendent, il devient un vieux con réac, tape à côté et, de plus, oublie qu'il est un romancier.

Que reste-t-il alors ?

Et bien 500 pages incroyablement fortes et sombres. 500 pages de bon vieux Dantec. Au mieux de sa forme. Ce qui n'est déjà pas si mal. De cette aspiration dans la bonde du monde qui va conduire Kernal à la mort, on ne ressort pas indemne. Les deux premiers tiers de cette Villa Vortex portent témoignage d'une Humanité à l'abandon. Un abandon dont on ne parvient pas à se défaire une fois le livre refermé. Une lecture qui ressemble à une plongée en apnée dans une fosse sceptique. Une noirceur vous environne, mazoute votre quotidien, empuantit votre regard. C'est le but. Et ça marche. Là est Dantec ! Au cœur même du contemporain. Lui-même comme métaphore de cette décennie-tunnel balisée par la chute d'un mur et l'explosion de deux tours. Et finalement n'est ce pas ce qu'il faut en retenir ?

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