- le  

A Travers Temps

Langue d'origine : Français
Date de parution : 31/03/2010  -  livre
voir l'oeuvre
Commenter

A Travers Temps

Si les romans de Robert Charles Wilson ont toujours rencontré un certain succès, c'est surtout son roman Spin (Prix Hugo en 2006 et Grand Prix de l'Imaginaire en 2007) qui a contribué à faire connaître l'auteur canadien au-delà du cercle des aficionados. Pour patienter en attendant Vortex, troisième volume de la trilogie des Hypothétiques et Julian Comstock, attendu en 2011, Denoël Lunes d'Encre nous propose A Travers Temps, roman de 1991 mystérieusement oublié par l'édition française. Robert Charles Wilson s'y intéresse à la question du voyage temporel, thématique qu'il évoquera à nouveau - ou qu'il a déjà abordé, selon notre propre ligne temporelle - dans Les Chronolithes en 2001.

Retour vers le futur

1989 : Tout juste licencié, brisé par une rupture amoureuse, Tom Winter revient à Belltower, sa ville natale, pour y refaire sa vie. Il y fait l'acquisition d'une maison isolée, abandonnée depuis dix ans, et pourtant étonnamment bien entretenue. Tellement bien entretenue, à vrai dire, que les vitres brisées se réparent d'elles-mêmes et que les assiettes sales redeviennent propres comme par magie... A moins qu'il ne s'agisse d'une technologie bien trop avancée pour la fin des années 80, comme cette télévision qui acquiert soudain la capacité de bavarder avec lui ? L'explication est peut-être au fond de ce tunnel insondable qui part de la cave de la maison et semble s'étendre à l'infini. Mais vers où ? Ou plutôt... vers quand ?

L'équilibre des paradoxes

Tout intrigue bâtie autour d'un dispositif de voyage temporel présente une faiblesse intrinsèque qui en annule immédiatement l'enjeu et en ôte tout suspens : si les protagonistes disposent d'un moyen de remonter le temps, pourquoi diable ne s'en servent-ils pas pour ré-affronter à l'infini les épreuves qu'ils craignent tant d'échouer ? On se sort habituellement de ce genre de difficultés par une pirouette scénaristique : risques du paradoxe ou épuisement de la source d'énergie capable de fournir les 2,21 gigowatts nécessaires à tout voyage temporel. Autant de procédés grossiers qui nécessitent toujours de la part du lecteur un gros effort de suspension consentie de son incrédulité.

Dans A Travers Temps, Robert Charles Wilson réussit le pari d'une intrigue temporelle réaliste et crédible. Ses tunnels temporels lient très précisément deux points dans le temps et avancent en même temps que lui : entrez dans l'un d'eux au jour J et vous en ressortirez, par exemple, trente ans plutôt. Faites le voyage inverse, vous reviendrez à votre point de départ, et il se sera écoulé autant de temps dans le présent que vous en avez passé dans le passé. Ce procédé, simple mais astucieux, permet à l'auteur de balader ses protagonistes entre les époques, de les faire aller et venir dans le temps sans qu'il ne soit jamais question de paradoxe. Et d'écrire un roman débarrassé de ces myriades de petites incohérences qui parsèment habituellement les histoires de voyages temporels.

Un voyage dans le temps doit-il toujours s'accompagner de paradoxes ? Robert Charles Wilson flirte avec l'idée, la caresse le temps de quelques pages, avant de la ranger définitivement dans un tiroir avec le reste de la quincaillerie : ce n'est pas le propos du roman. Mieux encore, il arrive à nous convaincre, en y confrontant son personnage, de nous désintéresser du problème, de renoncer à l'expérience que quiconque voudrait tenter en arrivant dans le passé : changer l'avenir.

Car telle est, comme toujours chez l'auteur, la grande force du roman : ses personnages. Et dans A Travers Temps, ils sont nombreux. Là où on trouverait habituellement un personnage assez lisse pour que tout un chacun puisse s'y retrouver, Robert Charles Wilson nous présente Tom Winter, un homme dont on connaît la vie avec suffisamment de détails - la plupart n'ayant aucun lien direct avec l'intrigue du roman - pour que personne ne puisse s'y identifier.

Qu'il écrive sur le voyage dans le temps ou la fin du monde, Robert Charles Wilson n'y confronte jamais directement son lecteur, mais toujours d'abord ses protagonistes, des hommes et des femmes si bien construits, si détaillés, si vrais qu'ils pourraient être nos amis intimes. Jusqu'à l'évènement extraordinaire, qu'il soit planétaire comme dans Spin ou plus local comme dans le présent roman, qui va devenir un détail de leur vie parmi d'autres, aussi crédible que ceux-ci. Par ce procédé, il nous permet de croire à l'incroyable, rend l'extraordinaire aussi naturel que notre quotidien, et entraîne son lecteur aussi sûrement que s'il était lui-même le héros du roman.

Ce qui est au centre du roman, et ce sur quoi l'oeuvre de Robert Charles Wilson n'a de cesse de recentrer la science-fiction, ce n'est pas la quincaillerie propre au genre (en l'occurence, le tunnel temporel), ce n'est pas son décor (les époques visitées par les protagonistes), ce ne sont même pas les protagonistes eux-mêmes, c'est l'humain. Et c'est toute la réussite de Robert Charles Wilson : mettre son talent de conteur et son pouvoir d'évocation au service d'une histoire qui parvient à faire émerger du papier une véritable humanité, empreinte à la fois de désespoir et de bonté.

Loin d'être le fond de tiroir que l'on pouvait craindre, A Travers Temps s'avère être un très bon roman, à tel point qu'on se demande pourquoi il a fallu attendre vingt ans pour qu'il traverse l'Atlantique. Parce qu'il est dans la droite ligne de la production humaniste et mélancolique de Robert Charles Wilson, et en même temps plus rythmé et plus facile d'accès que ses autres romans, il constitue une excellente porte d'entrée à l'œuvre d'un auteur de science-fiction dont on savait déjà qu'il est l'un des plus importants du moment.

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?