Philippe Curval est l'un de ces auteurs qu’il est difficile de catégoriser. Auteur de science-fiction ? Oui, encore que cela ne soit guère apparent dans La Forteresse de Coton (1967) : il est l’un des auteurs qui ont porté la première grande vague de S.-F. française originale. Et originale, son œuvre l’est, de par son côté hédoniste, et, en même temps, souvent envahie par des angoisses étranges, mais convaincantes à en être inquiétantes.
Un jeu ?
Par jeu, Blaise Canehan suit à la nage dans la lagune de Venise une jeune femme rencontrée par hasard. L'escapade manque de mal finir, mais il s'obstine et cherche à revoir l'inconnue, qui s'esquive. Seulement, les choses ne sont pas si simples. N'a-t-il pas déjà rencontré Sarah, et plus ? Quel est ce jeu auquel ils jouent tous deux ? Et est-ce bien le même ?
Un maître de l’évocation
S'il n'y a pas, à vrai dire, de fantastique dans ce roman, Philippe Curval parvient à créer un véritable sentiment de décalage, voire de malaise, avec sa description de la relation de Sarah et de Blaise. Deux âmes égarées qui se cherchent et se construisent en une relation plutôt malsaine, simplement en essayant de faire au mieux pour eux-mêmes et pour l’autre. Une affaire d'autant plus désespérée que leur caractère présentent tous les signes d’une incompatibilité complète, tous deux oscillant à contretemps entre l’égoïsme et le don de soi absolu. Le récit méandre entre les sentiments et les souvenirs des personnages, le passé et le présent qui se mêlent, et un avenir toujours plus incertain et surprenant, dans une ville qui fut pour tant d’auteurs le symbole même d’une vie hors du monde réel (il suffit de penser à Thomas Mann, Hans Bemmann…). Philippe Curval démontre une fois de plus sa capacité à faire surgir des images, des sons, et même des sensations en quelques mots, qui ensuite s’assemblent pour évoquer mieux qu’une description directe les sentiments des personnages. Un art indispensable ici pour retenir, peut-être contre sa volonté, le lecteur dérouté par le récit, mais fasciné par Blaise et Sarah comme par deux papillons en train de se déchirer les ailes à force de se débattre dans un bocal. Un roman qui ne laisse certainement pas indifférent, même s'il est difficile d'en isoler les véritables raisons, et qu'il n'est pas évident de décider de recommander ou pas.