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A leurs Claviers : HAPPINESS IN SLAVERY <br> (La philosophie dans le foutoir)
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A leurs Claviers : HAPPINESS IN SLAVERY
(La philosophie dans le foutoir)

La nouvelle s’est diffusée le long des fils tendus du Web à la vitesse de la lumière : La maison d’édition la plus trublionne de notre petite niche culturelle a fermé ses portes.
L’Oxymore is dead.
La Team l’a dit depuis le début : on n’a pas envie d’épiloguer sur ça ad nauseam, et on ne le fera pas. Du communiqué, un peu, mais pas d’échange. Et surtout pas sur les lieux les plus pégueux de cette toile, les foires qu’on nomme Forum. D’un nom antique passablement dégradé par l’usage moderne de l’expression inconséquente.
Nous nous y sommes exprimés pendant le pic de crise. A présent, la lutte est terminée, et s’appesantir sur le passé n’a jamais été trop dans nos natures.
Mais on nous écrit, on nous demande. Comment ? Pourquoi ?
So… voilà ce que la Team a à dire en deux ou trois points simples.

Typically us

L’Oxymore, quoi c’était ?
Maison d’édition pro. Tirages minimum de base : 1500 à 4000 ex. Livres réimprimés : oui. Livres repris en Club et poche ? Oui, chez Seuil et France Loisirs. En librairies ? Oui. D’abord diffusé et distribué par sa propre structure, puis par un diffuseur/distributeur pro (et pas mieux, d’ailleurs que quand c’était ‘fait maison’). Trois locaux. Une équipe à plein temps qui a varié de 2 à 3. Une pléthore de Prix reçus. Dans les 200 auteurs différents publiés. Sept ans d’existence.
Plus ?
Un catalogue assez atypique, que personne ne semble vraiment comprendre, à majorité « genres mêlés » ou Fantasy, quoique de façon amusante souvent facilement qualifié de Fantastique, alors que le Fantastique y est carrément sous-représenté face à la Fantasy. Ah, mais de la Fantasy « bizarre », il est vrai, pas de la trollerie (et le lecteur — et bien souvent le ‘pas lecteur’ de parler, de gloser, et de se vautrer — le lecteur doit parler, c’est son mode d’existence, même et surtout pour conneriser — il ferait mieux de lire, on s’en porterait pas plus mal)
Une philosophie éditoriale : ne publier que ce qu’on aime. Et l’équipe venant autant de la litt-gen et du classique que des littératures de l’Imaginaire, une application des exigences de la littérature tout court à la littérature de genre. Brouiller / ouvrir / casser les limites inter-genres. Ne pas favoriser le best seller anglo-saxon, ni le cycle. Aller vers la nouveauté, l’ouverture, l’énergie, sans contrainte de forme et de genre. Traiter le contenant dans l’optique de la meilleure adéquation possible au contenu. Jouer avec l’objet physique : illustrations, éditions signées, couvertures alternatives, disques audio joints (music is good for you) …
Une philosophie humaine : Traiter tous les auteurs idem, du débutant inconnu à Tanith Lee ou Neil Gaiman. Et les traiter comme on aimerait qu’on nous traite ailleurs. Appui, écoute, communication, chèques à l’heure et exemplaires d’auteurs envoyés le jour même, avant presse, administrations et librairies. Et etc.
Mais ne lécher les fesses à personne, et attendre un respect équivalent en face, ou frapper.

Lies, lies, lies !
(Don’t utter a word, cause the monsters are listening…)

Les pies bavardes diront ce qu’elles veulent, les raisons de la Chute de cette Maison Usher sont simples. Pas une politique éditoriale inadaptée (parce que du public, il y en a, pour ces livres), pas une gestion coupable, pas une punition divine pour notre hubris.
Mais, première coupable entre ses pairs… La France, 2006, et plus si affinités.
Le voile pudique jeté sur l’état du marché du livre et, au-delà, de la culture, est plus épais qu’une tenture de bordel. Faut pas dire que ça va mal, sinon ça ira pire, telle est la philosophie de nos zamis du métier. What ?
Alarmer serait achever ? Moi pas comprendre, sir.
C’est tout l’inverse, ce me semble…
En tous cas, ce n’est pas une politique à laquelle nous souscrivons, aussi… parlons un peu du marché du livre, tiens.
2005, année faste, a vu les chiffres d’affaires des maisons d’édition baisser de 30 % (certaines grosses maisons généralistes) à 50 % (smallpresses). Et autant vous dire, 2004 n’était déjà pas un grand cru. Donc ce passif 2005 se rajoute au précédent, yes ?
La cause ? Les français lisent moins, tout rayons confondus. Bon, constat simple. Mais aussi et surtout, ils achètent moins. Et pour cause… que ceux qui n’ont pas vu leurs revenus s’effondrer ces dernières années lèvent la main. Que ceux qui ne sont pas étranglés par leurs loyers et les prix du ‘minimum vital’(mais non mais non qui ne montent pas c’est une illusion tout va bien) fassent de même. Bordel, on dirait l’Amazonie, cette forêt de mains : de plus en plus déplumée.
Mais alors, pourquoi les chiffres publics disent que tout va bien pour le marché-du-livre-si-dynamique ? (toutvabientoutvabientoutvabien….) parce que ce qui les remonte artificiellement, ce sont les gros chiffres d’une poignée de best-sellers. Dan Brown sauve la sensation de sécurité que les nombres nous serinent. Le lecteur aux poches vides, qui aurait acheté il y a encore deux ou trois ans les cinq ou six bouquins qui lui faisaient de l’œil en rayon, se recentre sur ce qui a l’air ‘sûr’. Le bouquin dont tout le monde parle, que la télé lui encense, que ses copains trouvent cool. « Le monde se partage now en deux catégories, clame la pétasse moyenne sur Internet : ceux qui ont lu le Da Vinci Code, et ceux qui l’ont pas lu. » Oui mon Prrrrrécieux.
Evidemment, pour un esprit un peu critique, voire épris de littérature, ce genre d’étalage de la misère intellectuelle de nos contemporains a déjà de quoi pousser à l’alcoolisme. Mais pour les professionnels qui n’oeuvrent pas dans la resucée de bouquins phares, le report du public sur ces livres populaires-sécurisés-modasses est la voie royale vers la faillite.

No one is innocent

Alors, à qui la faute ? A personne, à tous.
— L’état de nos portefeuilles.
— Les medias qui déculturent la culture à coup de reality-shows et de critiques inféodées aux espaces pubs.
— Les libraires qui pour arriver à faire leur chiffre sortent par brassées les catalogues des indépendants des rayons, et mettent en facial trois fois le même blockbuster tandis qu’ils zappent toute l’édition hors norme.
— Les lecteurs qui veulent l’achat bien safe. Qui exigent de la répétition, du ron-ron, et surtout de n’être pas surpris. Hey, big news, les amis. La littérature safe ce n’est pas de la littérature, c’est de la série télé pour mous du bulbe. C’est ça, votre truc ? J’espère que non.

La spirale infernale. Tous coupables.

— Et nous ?
Oui, nous aussi. Parce qu’à la base on n’est pas des nerds, pas des geeks, pas des habitants typiques de ce monde SF. Voire de ce monde tout court.
Dans ce milieu, on a toujours été les nègres, les blackos, les youpins. Les déviants. On a fait des livres bizarres, on a pas respecté les codes visuels, on n’a pas publié ce que réclamait l’amateur du ron-ron. Et on n’est pas, de base, des commerçants. Et éditeur, à présent, c’est à 80% ça.

Il n’y a qu’à lire trois ou quatre blogs sur le web, où l’observation de la vie des animaux sociaux est si fascinante, pour voir à quel point l’Oxymore est top sulfureuse : on écoute du rock, certains de nous portent du noir, on lit du Flaubert.
Le lecteur SF, alors, a du mal à ne pas essayer d’étaler sa culture. On doit être des gothiques. Le problème de la confiotte, c’est que quand on est inculte (à part le fait dérisoire qu’on passe pour un con aux yeux de ceux qui ne le sont pas…) on commet facilement avec des erreurs culinaires. Donc des fautes de goût. La confiotte, en cuisine, c’est risqué.
Mais il y a un truc à creuser, là, pour tous nos amis qui piochent leurs définitions du monde sur TF1… Gothiques ? Ah… voyons plus loin : Punks. La Team Oxymore, tout ce temps, c’était des Punks. En révulsion contre le système, et convaincus qu’il n’y aurait pas de futur. D’être lâchés comme des derviches dans un monde toxique.
Et comme tous les Punks, bien sûr, on avait gravement raison.
Le problème des Punks, ça a toujours, à la base, été ça.
En conséquence de quoi, tant que le jeu téléchargé sur cette Playstation diabolique consistait à sortir des bouquins accomplis, dans le plaisir, l’énergie, l’exaltation et l’expérimentation, et que la machine fonctionnait assez pour se nourrir elle même… c’était plutôt bien.
Il y a, voyez-vous, qu’on n’a jamais eu pour but de faire du fric sur la tête bouclée du mouton bêlant. Mais de sortir des livres auxquels on croyait, pour un public partageant nos affinités. Un public qui existait, et que les libraires qualifiaient de « tribal », ajoutant que généralement il n’était pas natif du rayon SF, mais ‘traversait la ligne’ depuis d’autres enclaves littéraires, pour venir chercher nos diableries.
Mais à partir du moment où les concessions à la machinerie du commerce se faisaient plus importantes que le plaisir pur de la création, les Punks (donc) que nous sommes ont commencé à se demander ‘à quoi bon ?’.
Je ne dis pas que la Team n’a pas été sur le pont jusqu’au bout, à essayer de sauver son mirage d’une édition indépendante, faite par ceux qui aiment les livres pour ceux qui aiment les livres. Ceux qui étaient là savent à quel point, jusqu’au bout, oui, on a tenté de redresser la barre de ce bateau fou.
Mais à terme… à force de trop regarder ce qu’est en train de devenir l’édition dans cette niche, je crois qu’on n’a plus envie de jouer à ce jeu. Que les temps n’étaient pas ad hoc pour accueillir un construct déraisonnable comme le nôtre.

Slavery ?

So… Esclavage…
La vie d’un éditeur, c’est ça, à bien des égards. D’autant plus si la structure est petite, ce qui la laisse exposée aux dérives du public tout en ne lui épargnant pas les exigences dues aux grands.
J’ai lu dernièrement les coups de gueule de pas mal de responsables éditoriaux sur les errements particuliers du public SF. J’y ai reconnu beaucoup de nos propres lassitudes, quant à ce problème du débutant qui veut être traité comme un pro… mais tout en se conduisant, lui, comme un stéréotype d’amateurisme.
La conclusion à laquelle en viennent beaucoup de mes homologues dir-litt, c’est ça : le problème de la SF, c’est que son lectorat est en énorme proportion constitué de gens qui veulent non en lire mais en publier.
Et je crains qu’ils n’aient raison. Et alors… comment s’en sortir ?
Je me demande comment on en est venu là. Je me demande pourquoi les intéressés restent aveugles au problème. Je me demande si cette dérive pourra être redressée par ceux qui restent.
J’ai conduit à titre personnel une quinzaine d’ouvrages collectifs, principalement des recueils de nouvelles. Sur 98% d’entre elles il y avait des « appels à textes ouverts ». Donc n’importe qui, s’il était dans les paramètres de l’appel (thème, nombre de signes) pouvait soumettre un texte. Et être publié sur la seule base de la qualité de son texte, côte à côte avec des ‘pointures’, et payé exactement comme celles-ci.
Cela semble simple. Ca ne l’est pas. Cette ouverture (qui n’est en rien un dû, n’est-ce pas ?) expose indéfiniment l’éditeur à des récriminations et des jugements hallucinants.
Si on te livre un texte de 62 000 signes alors que tu as dit 50 000 maximum, et que tu dis non, t’es un con.
Si on te propose un texte litt-gen pour une antho de Fantastique et que tu dis non, t’es un con.
Si tu refuses un texte parce qu’il n’est pas bon, quelle que soit la façon délicate dont tu le dis, t’es un con.
Si tu refuses un texte sans la moindre fée pour une antho sur ce thème, t’es un con.
En fait, du moment que tu refuses t’es un con, une merde, un fermé, un commercialiste, un… éditeur, en somme.
Pendant ce temps, toi, tu bosses quasi gratuitement, tu enchaînes les mois où tu limites tes nuits à 3 heures de sommeil pour corriger des traductions, tu prends pas de vacances, tu vois plus ta famille et tes amis. Et tu bosses, bosses, bosses.
Personne n’est à l’heure, mais toi tu dois répondre à la moindre requête futile en deux heures max.
Et tu as beau être aussi impeccable qu’on peut l’être, tu encaisses jusqu’à plus soif les échos que la clique des refusés-parce-que-t’es-un-con sèment sur le World of Amour du Web.
L’Oxymore copine (demandez à nos potes si justement ils n’aiment pas le fait que ce soit tout le contraire…) l’Oxymore a été fondée pour publier ses fondateurs et ses amis (plus de 200 auteurs, on a beaucoup d’amis, on ne peut pas nous enlever ça…) l’Oxymore paie mal (marrant, alors même les auteurs amerloks nous félicitent de nos tarifs), l’Oxymore n’a jamais dépassé le niveau de pro-zine (ah ah, avec certains tirages égaux à ceux de Gallimard, et des livres dont personne ne peut égaler les prestations ‘luxe’ dans ce milieu, top fun), on ne trouve pas l’Oxymore en librairies (sérieux ? Plus de 300 points de vente réguliers en 2005, dont toutes les grandes chaînes Fnac-Virgin-Cultura & tutti quanti… vous achetez où, à Maxi Livres ?)
A terme, tu regardes la masse pia-piatante, tu regardes ton planning, et toutes les fois où tu n’es pas parti respirer ailleurs, ou a repoussé le moment d’écrire tes propres livres qu’on te réclame de partout, tout ça parce que tu dois bosser-bosser-bosser et tu te dis : on est les rois des cons. C’est pour ça qu’on se tue la santé ?
Et le pire c’est que tu aimes ça, et en redemandes. Tu t’accroches, tu continues, tu mets en danger le reste… pour ça ?
Il y a pas mal de gens que je vois, depuis des années, s’échiner à se coller sur le thorax, le front, le cul, des étiquettes « éditeur d’Imaginaire ». Et je me demande pourquoi. Il faut, de fait, ne pas être éditeur, pour se rendre compte à quel point cette étiquette n’a rien de glorieux. Dans les faits, elle est synonyme d’ « esclave » et de « con ».
Au bout d’un moment, quand le système défaillant nous oblige à regarder vraiment de très près le visage de cette machine… On dit bye bye, ou alors on est vraiment les crétins qu’ils disent.

Dans les jours qui ont suivi l’annonce de fermeture, les mails de condoléances ont plu par centaines dans les mailboxes de l’équipe. 65% des mails demandent quand l’Oxy reviendra.
Je crois que la réponse est claire, à ce stade.
On est partis vers d’autres choses. Et on ne va pas être les derniers.

C’est connu, Silhol est une énervée. Ah yes. Mais s’il vous reste deux neurones en état de marche après avoir relu une pénultième réédition d’un vieux classique SF des années 70 ou de la non-ultime (hélas) aventure d’un trio elfe-nain-paladin en route vers le sauvetage du monde… (ou du Da Vinci Code, tiens)… posez-vous cette simple question : pourquoi Silhol s’énerve ?
Parce que je suis furieuse de la chute de l’Oxy ? Je voudrais bien l’être, mais j’ai du mal, en voyant tout ce que je vais, concrètement, pouvoir faire à présent pour moi-même. Donc non.
Alors pourquoi ? Parce que comme tous les cyniques, je suis une incorrigible optimiste.
Etant sortie du système, je me permets d’ouvrir ma grande bouche pour vous dire ce que ceux qui sont encore dedans ne peuvent se permettre de vous déballer.
On a un grave problème, là, dudes.
Il faudrait peut-être réagir ?
Personne n’est innocent. Personne n’est à l’abri.
Aucune maison d’édition, actuellement, n’est intouchée par ce qui se passe. Même les plus florissantes. Sous ce ron-ron du toutvabientoutvabien il y a que… non, rien ne va bien.

Alors… vous voulez lire des trucs, demain ?
Achetez des livres. Surtout chez les petits, les originaux, les surprenants. Ils tomberont les premiers, mais à terme, tout tombera.
Votre possibilité de choix est de plus en plus limitée. Faites en sorte que ça ne s’aggrave pas.
Et si tout ça vous laisse indifférents parce qu’en réalité… vous ne lisez pas…
Eh bien, ayez l’intelligence basique de soutenir les éditeurs au moins… eut égard aux espoirs que vous nourrissez qu’ils vous publient un jour.
Parce qu’après tout, dans ce système merdique… il est très probable, de fait, qu’il y ait parmi vous, oui, de vraies plumes foudroyantes, de vrais écrivains. Des talents qui resteront silencieux, et perdus, pour avoir vécu en ces temps où la seule culture pérenne est celle des céréales à bovin, plantées sur les ruines de l’Amazonie qui nous fit un jour respirer.

That’s all folks.
Stay gay coz’ toutvabienvabienvabien…

human junk just words and so much skin
 stick my hands thru the cage of this endless routine
 just some flesh caught in this big broken machine

NIN

Léa Silhol

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