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ITW Thibaud Eliroff
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ITW Thibaud Eliroff

Actusf : Comment est née l'idée de cette collection de fantasy en grand format et quelle sera sa ligne éditoriale ?
Thibaud Eliroff :  On ne s'est pas assis autour d'une table en se disant : "Bon, on va faire de la fantasy en grand format, trouvons des textes." C'est même plutôt le contraire. Quand vous êtes éditeur, vous tombez parfois sur des romans si bons que vous ne pouvez pas renoncer à les publier. C'est exactement ce qui s'est passé avec les trois auteurs à paraître cette année : Joe Abercrombie, Glenda Larke et Sean McMullen, trois futurs ténors du genre qui nous ont incités à franchir le pas séparant le poche du grand format. Au-delà de ces coups de cœur, notre démarche n'est pas dénuée de sens dans la mesure où J'ai lu a toujours été un pionnier de la fantasy, se spécialisant dans ce domaine très tôt, bien avant le boom que nous connaissons aujourd'hui. Les lecteurs nous font confiance et ont fait de nous les leaders du marché de la fantasy en poche depuis plusieurs années. Il me semble légitime de croire que cette confiance nous suivra sur un autre format, pourvu que nous soyons à même de proposer des textes conformes aux attentes de notre public.

La ligne éditoriale pourrait se résumer en trois mots : du fun, du fun et encore du fun. Blague à part, c'est là une vraie profession de foi en faveur d'une littérature divertissante. Il y a des livres qu'on ouvre pour s'instruire, d'autres pour élargir sa vision du monde, d'autres encore pour vivre des émotions fortes... et enfin d'autres simplement pour passer un bon moment, ce qui n'est pas la moins noble des ambitions. Notre fantasy s'inscrira clairement dans la dernière catégorie, et aura pour seuls buts d'amuser, d'étonner ou d'émerveiller le lecteur exigeant.

Pour rentrer dans le détail, il s'agira principalement de fantasy d'aventure, tantôt sombre, tantôt épique, jamais dépourvue d'humour et toujours originale. Mes auteurs de référence sont Glen Cook, Steven Brust, Neil Gaiman, Scott Lynch... des artistes chez qui le sens of wonder est indissociable d'un second degré parfaitement jouissif. Les textes que nous publierons s'inscriront nettement dans leur veine.
 
Actusf : Comment te situeras-tu par rapport aux collections existantes que ce soit chez Bragelonne, Calmann Levy ou Fleuve Noir ?
Thibaud Eliroff : La décontraction de Bragelonne avec l'exigence de L'Atalante ? ;-)
Plus sérieusement, on ne s'est pas vraiment posé la question en ces termes. Si un texte est bon, que vous avez les moyens de le faire exister sur le marché, que vous lui collez une couverture plutôt réussie, que vous savez en parler, il se vendra. Le reste est secondaire. Plutôt que d'échafauder des "stratégies concurrentielles", nous préférons nous concentrer sur les textes.

Cela dit, il est un paramètre que nous nous devions de prendre en compte : Pygmalion. Le lecteur ne le sait peut-être pas, mais le vénérable éditeur de Robin Hobb et George R.R. Martin fait, au même titre que J'ai lu, partie du groupe Flammarion. Il était hors de question de concurrencer Pygmalion sur son propre marché, c'est pourquoi nous avons conçu deux lignes éditoriales radicalement différentes : du fun et de l'adrénaline pour J'ai lu, des textes plus littéraires et plus facilement lisibles par un public généraliste pour Pygmalion.
 
Actusf : Quels sont vos objectifs en terme de vente ?
Thibaud Eliroff : Drôle de question : nous souhaitons en vendre le plus possible ! Evidemment, nous ne prétendons pas entrer dans les listes de best-sellers, mais nous avons l'ambition d'au moins égaler nos concurrents. Les textes que nous avons choisis ont un indéniable potentiel commercial, surtout la série d'Abercrombie qui est naturellement devenue le fer de lance de la collection, celle sur laquelle nous allons le plus communiquer. Après, il ne nous reste plus qu'à espérer que la délicate alchimie du succès et la magie du bouche à oreille opèrent...
 
Actusf : Combien y aura-t-il de titres par an ?
Thibaud Eliroff : Six titres sont prévus en 2008 (à savoir les deux premiers tomes de trois trilogies). Ce nombre variera peut-être (ou peut-être pas) les années suivantes, en fonction du succès.

Cela paraît peu mais je voudrais souligner qu'aucun de ces romans n'a été coupé en deux, pratique de plus en plus courante chez la plupart des éditeurs d'imaginaire. Pour Abercrombie, nous avons délibérément choisi de ne pas le couper, quitte à le vendre à un prix élevé (24,50 € en l'occurrence). Cela peut sembler cher, mais les lecteurs savent bien qu'il vaut mieux débourser une telle somme pour un roman de près de 600 pages que deux fois 20 € pour le même ouvrage coupé en deux parties. Au-delà du prix, et pour en revenir à la question initiale, ne pas couper les titres fait aussi que nous en sortons moins.
 
Actusf : Peux-tu nous dire quelques mots d'ailleurs sur chacun de ces titres ?
Thibaud Eliroff : J'ai cru que tu ne me le demanderais jamais !
En février paraîtront les deux premiers titres de cette nouvelle collection : L'éloquence de l'épée de Joe Abercrombie (premier volume de la trilogie de La Première Loi) et Clairvoyante de Glenda Larke (premier tome de la Trilogie des Îles Glorieuses).

Joe est un auteur britannique d'une trentaine d'année, jeune papa éminemment sympathique et doté d'un humour ravageur. Le genre de type qui vous met à l'aise en quelques minutes. L'éloquence de l'épée était son premier roman. Coup d'essai, coup de maître : Simon Spanton – gourou de la fantasy britannique et éditeur chez Gollancz – avait acheté le manuscrit avant même d'en avoir lu la fin. Depuis sa parution au Royaume-Uni, le succès ne se dément pas. De quoi ça parle ? D'un guerrier barbare à faire rougir Conan, d'un magicien cent fois plus puissant que Gandalf (et surtout beaucoup plus fun), d'un Inquisiteur à côté duquel Torquemada passe pour un enfant de chœur, et de toute une galerie de personnages hauts en couleurs, incroyablement bien croqués, lâchés dans un monde au bord de la crise de nerfs. Ça ressemble à de la fantasy très classique, et d'une certaine manière c'en est, mais le tour de force de l'auteur, c'est d'avoir su donner à tous ses héros – ou anti-héros parfois – une véritable épaisseur et ainsi la possibilité de dépasser la simple caricature. Ajoutez à cela un humour noir décapant et des dialogues d'ores et déjà cultes, et vous serez encore loin d'imaginer à quel point ce roman est génial.
 
Clairvoyante, de l'australienne Glenda Larke, nous relate les aventures de Braise Sangmêlé, une femme méprisée pour sa naissance bâtarde, ce qui lui vaut de n'être citoyenne d'aucun des archipels des îles Glorieuses, et la contraint à vivre en permanence dans la clandestinité. Mais dans un monde ou magie carmine et magie sylve s'opposent sans relâche, Braise dispose d'un talent qui vaut cher : la Clairvoyance, ou possibilité de voir la magie, ce dont les représentants des deux camps sont incapables. Elle s'est rendue indispensable à l'un des deux adversaires qui l'emploie en cachette pour traquer ses ennemis sans se salir les mains.

Braise est envoyée en mission à la Pointe-de-Gorth, l'île des laissés pour compte, refuge de tout de ce que les Glorieuses comptent de malfrats et de rebuts. Mais tandis qu'elle mène son enquête, elle se rendra vite compte que quelque chose ne tourne pas rond et qu'elle s'est fourrée dans un guêpier qui la dépasse.
Derrière ce qui apparaît de prime abord comme un mélange détonnant de roman noir, de films de pirate et d'humour (qui a dit Monkey Island ?) se dessinent le portrait d'une femme que la vie n'a pas épargnée, ainsi qu'une critique cinglante de l'impérialisme américain. Un livre à la fois fun et ambitieux.
 
Et puis, en mai nous sortirons un livre énorme (dans tous les sens du terme), culte dans tout le monde anglo-saxon, de Sean McMullen, un auteur que le public français connaît déjà. Il s'appellera Le voyage de l'Ombrelune (Les chroniques de Verral - 1) et parlera d'une arme de destruction massive, sujet plutôt original pour de la fantasy... Mais nous aurons, je l'espère, l'occasion d'en reparler d'ici là.
 
Actusf : Ils seront tous repris en poche par la suite chez J'ai lu ?
Thibaud Eliroff : Oui. Le but de cette collection est aussi de devenir une source d'approvisionnement régulière pour le poche. 

Actusf : On a du mal à avoir de la visibilité sur le marché de la fantasy en Anglo-saxonnie. Quel est-il ? Il reste beaucoup d'auteurs et de livres de fantasy à découvrir ?
Thibaud Eliroff : Certes, et il en naît tous les jours. Il faut garder à l'esprit que tous les pays anglo-saxons réunis représentent un marché au moins dix fois supérieur au nôtre, en termes de public comme de parutions. Nous sommes incapables d'absorber toute la production en langue anglaise. Et même en nous concentrant sur le meilleur, il y a largement assez de choses pour tout le monde.

Une des caractéristiques du marché anglo-saxon est qu'il a une définition bien plus large que nous du mot fantasy. Chez nous, le mot fait immédiatement penser aux univers médiévaux, tandis que chez eux, les frontières sont plus floues, l'imagination plus débridée, les hybrides fréquents. Pour un éditeur français, une des difficultés consiste justement à bien cerner les différences entre nos cultures, car un texte à succès au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis ne le sera pas forcément en France ; l'inverse est parfois vrai.
 
Actusf : Quel est pour toi l'état de la fantasy en France actuellement ?
Thibaud Eliroff : Elle en est à ses balbutiements. Je ne prétends pas savoir à quoi ressemblera le marché dans dix ans, mais ce qui est sûr c'est que ce genre gagne de nouveaux lecteurs chaque jour et propose des textes de plus en plus variés. Nous avons définitivement dépassé le stade de la littérature de ghetto.

Certains parlent de surproduction, ce qui est vrai et faux à la fois. D'un côté vous avez un grand nombre de livres produits, de l'autre un grand nombre de lecteurs (ce qui est indiscutable puisque certains livres de fantasy parviennent au sommet des listes de best-sellers), et entre les deux des libraires débordés qui n'ont pas tous compris le potentiel de cette littérature. Mais je veux croire que ce n'est qu'une question de temps avant que les rayons s'agrandissent suffisamment pour répondre à l'offre et à la demande, toutes deux croissantes.

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