Michaël Moorcock : C'était une nouvelle que j'avais écrite juste après le premier roman de la série des Jerry Cornelius, en 65 ou 66. Je cherchais un moyen d'intégrer les grands événements du XXème siècle à mes fictions. L'histoire commence sur les bases d'un roman noir à la Hammett/Chandler, avec une détective enquêtant sur un meurtre. À la différence que ça se passe dans un Berlin qui a pratiquement été réduit en cendre par un événement récent et dont on ne sait rien. Les suspects incluent Hitler et un certain nombre d'autres personnes, de cette époque, vues comme des gens ordinaires et dont le boulot correspondrait vaguement à ce que l'on sait de Bismark, Hitler, Himmler, etc... Et puis j'ai abandonné cette technique au profit de celle utilisée dans les Cornelius, et qui était à ce moment-là plus pratique et plus souple. Puis ces dernières années, en faisant énormément de recherches, pour la plupart inédites, sur les causes et les circonstances des tentatives d'extermination des juifs par les nazis, j'ai réalisé qu'il me fallait d'autres approches pour traiter de ces questions qui ne s'intégraient pas dans la série de Pyat pour laquelle je faisais ces recherches. Et puis je me suis souvenu de ma première histoire du détective métatemporel, et me suis rendu compte que les techniques que j'avais employées étaient parfaites pour, par exemple, parler de la vie privée d'Hitler, etc... Ce qui m'a toujours intéressé c'est le côté humain des événements historiques, et c'est comme ça que mon détective métatemporel, Seaton Begg (qui est un hommage à Sexton Blake, un héros de feuilleton anglais qui existe depuis 70 ans et quelques), a pris vie pour se pencher sur la corruption des instituions politiques et du monde des affaires sous Thatcher (Lady Hatchet) aussi bien que sur la corruption morale de la politique allemande qui favorisa l’ascension d'Hitler. Je pense que ce qui fait que ces nouvelles fonctionnent ou ne fonctionnent pas, c'est la manière dont elles nous confrontent aux événements du passé. Ces histoires en sont le résultats.
ActuSF : Vous vous êtes souvent aventuré sur les chemins de l'Uchronie mettant en scène les personnages clefs de la seconde guerre mondiale. Pourquoi ? Que représente cette période de l'Histoire pour un écrivain comme vous ?
Michaël Moorcock : La mécanique de la Seconde Guerre Mondiale ne m'intéresse absolument pas, si ce n'est la manière dont Hitler et compagnie se sont débrouillés pour accéder au pouvoir et y rester de 1933 à, disons 1940. Ce qui m'intéresse se sont les origines, pas l'événement en lui-même. On sait tous ce qui s'est passé entre 1940 et 1945, ce que nous voulons savoir, c'est COMMENT ça a pu arriver. Et je pense qu'on peut en avoir une idée plus précise en étudiant la vie de certains des principaux protagonistes.
ActuSF : Vous mettez en scène Hitler notamment, chose que l'on a plus l'habitude de voir aujourd'hui. Avez-vous l'impression que l'on ne peut plus se permettre aujourd'hui de jouer avec ces personnages historiques et toute la haine qu'ils concentrent autour d'eux ? Pourriez-vous faire la même nouvelle de nos jours ?
Michaël Moorcock : Oui. Je m'interesse à la politique, pas à ce qui est convenable. Et d'ailleurs, vous vous devez de vous intéresser à ce genre de choses si vous faites votre boulot d'écrivain. Vous devez répondre aux questions que personne ne se pose.
ActuSF : Parlons de The Frozen Cardinal. Vous rappellez-vous comment cette nouvelle est née ?
Michaël Moorcock : C'est aussi une histoire que j'ai écrite dans les années 60. Judith Merrill était éditrice pour Playboy et c'est elle qui me l'avait commandée. Quand j'ai vu les corrections que me demandait Playboy, j'ai repris mon histoire et quand Maxim Jackubowski me demanda une nouvelle pour une anthologie mêlant SF et musique, c'était le choix évident, puisque je l'avais déjà.
Michaël Moorcock : Je ne suis pas certain qu'il y ait matière à développer l'univers plus qu'il ne l'est là. Pour tout dire je n'ai rien à dire de plus sur cet univers, qui repose plus sur les personnages qu'autre chose. Désolé de ne pas pouvoir vous en dire plus.
ActuSF : London Bone est un texte plus contemporain qui se passe à Londres de nos jours. Là aussi comment cette nouvelle est-elle née ?
Michaël Moorcock : C'est parti du constat que tellement de choses de notre passé ont été presque instantanément cooptés par le Thatcherisme moderne. Je déteste ça. C'est pour ça que j'ai quitté Londres. Trop de pans de mon passé avaient été reconditionnés, rénovés et refourgués à "garants de notre héritage".
ActuSF : Que représente Londres pour vous au niveau inspiration ?
Michaël Moorcock : Oui, elle continue de m'inspirer. Mais c'est aussi le cas de Paris. La seule autre ville à offrir le genre résonances dont j'ai besoin.
ActuSF : Enfin A Slow Saturday Night at the Surrealist Sporting Club est un texte un peu satirique dans une amicale de gentlemen. Comment ce récit est-il né ? N'avez vous pas eu envie de remettre en scène ces gentlemen ?
Michaël Moorcock : C'est l'une des deux histoires que j'ai écrites en hommage à Maurice Richardson, qui écrivit les histoires originelles du Surréaliste Sporting Club dans les années 50 (pour le premier magazine au format Digest, Lilliput, et qui fût créé à la fin des années 30 par des gens qui avaient fuit l'Allemagne d'Hitler, et qui fût un merveilleux magazine, aussi bien pour ses photos que pour ses textes de fictions, et ce presque jusqu'au début des années 60. Ils ont publiés beaucoup de mes auteurs préférés des années 40 / 50. L'autre histoire fût écrite pour Nature, la revue scientifique. Richardson était fanatiquement passionné par le sport, le surréalisme et l'univers du crime. Il fût aussi l'un des tout premiers promoteurs de Simenon en Angleterre, ainsi que de certains surréalistes.
ActuSF : Parlons de votre actualité avec The Metatemporal Detective. Pouvez-vous nous présenter ce recueil des aventures de Seaton Begg et du Dr “Taffy” Sinclair ?
Michaël Moorcock : Comme je le disais plus haut, ses aventures sont destinés à nous confronter avec les événements clefs du XXème siècle, et plus rarement du XXIème. Une histoire va parler de Thatcher, une autre d'Hilter et une autre de Bush et des néoconservateurs. Les histoires qui se passent en France ont plus à voir avec l'atmosphère de Paris et mon amour pour cette ville et la fiction française.
ActuSF : Les fans l'attendent avec impatience : le fim sur Elric. Où le projet en est-il aujourd'hui ?
Michaël Moorcock : Le scénario est bouclé, et pour ce que j'en sais Universal a toujours dans l'idée de le tourner. J'attends en ce moment des nouvelles de Chris Weitz.
ActuSF : Enfin sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Michaël Moorcock : Ma biographie de Mervyn et Maeve Peake, Lovers. Un roman humoristique qui s'appelle Londres, ma vie, ou le Juif Sédentaire, un juif qui est maudit et doit rester à Londres à jamais. Ça pourrait s'intégrer au projet d'un plus gros roman qui s'appellerait Alsatia, qui était le nom donné à un coin de Londres qui a servi de sanctuaire aux escrocs et au démunis de Londres pendant plusieurs siècles. C'était, à l'origine un terrain donné aux Carmelites par un roi dévôt. Sinon, un paquet de courtes nouvelles, dont une novella d'Elric, White Steel, et une autre histoire de ma série des Experiences WW3 (la première datant de 1978, avait été Crossing To Cambodia), il y a aussi une histoire de steampunk à propos d'Inner Mars et une autre aventures de Jerry Cornelius.