Coriaces, les tortues...
Popularisées par un dessin animé destiné aux enfants diffusé à la fin des années quatre-vingt, les Teenage Mutant Ninja Turtles (dans cet ordre) ont toujours conservé une image puérile. Pourtant, à l'origine, le comic-book dont furent tirés les cartoons puis les films présentait toutes les caractéristiques d'une œuvre underground.
Les Tortues firent leur première apparition en 1984 dans un comic-book en noir et blanc autoédité par Kevin Eastman et Peter Laird. Les deux jeunes auteurs, fans de Frank Miller et de son travail sur Daredevil, le justicier aveugle, comptaient s'inspirer de son univers hard boiled pour donner naissance à une sorte de pastiche, sans pour autant céder au second degré. Le résultat se révéla pour le moins surprenant...
Jugez plutôt : quatre tortues humanoïdes aux noms inspirés des peintres de la Renaissance, contaminées par des substances radioactives, sont entraînées aux arts ninja par un... homme-rat (Splinter) dans les égouts de New York. Dévouées à la justice et à la protection des innocents, elles s'opposent au clan Foot (en référence à La Main de Daredevil) dirigé par le terrible Shredder...
Ah, merchandising, quand tu nous tiens...
Relativement violent, l'univers du comic-book fut par la suite sans cesse atténué pour faire de TMNT un produit commercial ; espérons seulement que la trahison ait permis aux auteurs d'en profiter financièrement... Nous l'avons déjà évoqué, le dessin-animé de 1987 présentait des Tortues aux antipodes des assassins de la BD, qui affrontaient des espèces de mutants dégénérés ; les trois films, quant à eux, respectivement sortis en 1990, 1991 et 1993, s'évertuaient à torturer de pauvres acteurs engoncés dans des costumes en mousse qui les empêchaient de lever la jambe. Soyons toutefois honnêtes : le récent long métrage en CGI sorti sur nos écrans en 2007 fut une réussite (l'histoire tenait la route, l'ambiance était bien retranscrite, les personnages attachants et les graphismes soignés).
TMNT reborn
Tous les geeks en faction auront compris l'allusion de ce titre : en 1987, Frank Miller fit son retour au scénario de Daredevil afin de détruire le personnage pour mieux le reconstruire, en livrant ainsi ce qui restera comme une saga de référence dans le monde des comics. Le rapprochement est facile, dans la mesure où TMNT s'est toujours inspiré de Daredevil : en janvier 2004, le comic-book prit de la même façon un nouveau tournant en revenant aux fondamentaux (scénaristiques et graphiques), à savoir un cadre urbain sombre et violent où s'affrontent avec férocité des ninjas sans pitié.
Les jeunes et audacieuses éditions Wetta ayant entrepris de publier ces nouvelles aventures depuis fin 2007, ce second volume français de la version 2004 des Tortues Ninja - baptisé Tales of TMNT en VO et Chroniques des Tortues Ninja en VF – fait suite aux quatre premiers tomes parus aux USA et réunis dans le premier volume publié chez nous. Dans ce premier livre, les Tortues retrouvaient Shredder, leur ennemi de toujours. À l'issue de l'histoire, Leonardo était aveuglé par un ancien membre du clan Foot ivre de vengeance car atteint de cécité par la faute de la Tortue, qui l'avait blessé lors d'un ancien combat.
Foi aveugle
Sur le fond, cette nouvelle approche surprend par sa maturité et sa profondeur puisqu'il est ici uniquement question des interrogations existentielles de Leonardo, leader des Tortues. Pourtant, ce deuxième tome s’avère assez décevant : l’intrigue, qui n’en est pas vraiment une, relate donc la quête intérieure de Leonardo, en pleine remise en question depuis le combat qui l’a rendu aveugle (et qui nous évoque, une fois encore, des épisodes de Daredevil où Matt Murdock apprend à gérer sa cécité auprès de son maître Stick). Un voyage spirituel l’amène à quitter le cadre de New York pour rejoindre le Japon féodal où il se retrouve incarné... en samouraï. Dès lors, l’intérêt retombe, car nous devons suivre les aventures d’une seule Tortue et renoncer au décor urbain qui fait tout le sel de TMNT au profit d'une quête initiatique qu'on a l'impression d'avoir déjà vue de nombreuses fois.
Sur la forme, première constatation, et peut-être faut-il y voir un nouveau clin d'œil : afin de traduire la cécité de Leonardo, Jim Lawson (qui, pour la première fois, assure seul le scénario et le dessin) débute l'histoire en représentant des silhouettes blanches sur fond noir, une technique souvent utilisée par Frank Miller sur Sin City ; et puis, brusquement, nous revenons à la lumière avec un graphisme plus conventionnel : c'est alors l'occasion de constater la troublante similarité du style de Lawson avec celui des créateurs des Tortues Ninja... Les dessins, comparables au style de Robert Crumb ou de Richard Corben, paraissent étrangement anachroniques, avec leurs corps disproportionnés aux visages proches de la caricature et leur profusion de détails. Ce n'est pas une critique, car le rendu colle parfaitement à l'ambiance très eighties dégagée par le comic-book original, mais il n'est pas dit que les lecteurs ayant découvert les comics sous l'ère Image des années quatre-vingt dix (musculatures hypertrophiées et poitrines en apesanteur à gogo) apprécient cette approche nostalgique à contre-courant du graphisme racoleur encore en vogue aujourd'hui.
Un retour réussi ?
Pour conclure, ce retour de TMNT dans les librairies françaises (aux USA, leurs aventures n'ont jamais cessé de paraître) présente l'avantage de faire découvrir au public ce qu'étaient les Tortues Ninja avant d'être récupérées par les grands manitous du marketing ; d'ailleurs, on se prend à regretter la réédition du comic-book original, sûrement possible dans la mesure où l'éditeur américain (Mirage Studio) le met gratuitement à disposition sur son site... La démarche est intéressante, mais il semble que ces chroniques ne puissent s'apprécier que sur la longueur, bien que les histoires présentées soient indépendantes.
Popularisées par un dessin animé destiné aux enfants diffusé à la fin des années quatre-vingt, les Teenage Mutant Ninja Turtles (dans cet ordre) ont toujours conservé une image puérile. Pourtant, à l'origine, le comic-book dont furent tirés les cartoons puis les films présentait toutes les caractéristiques d'une œuvre underground.
Les Tortues firent leur première apparition en 1984 dans un comic-book en noir et blanc autoédité par Kevin Eastman et Peter Laird. Les deux jeunes auteurs, fans de Frank Miller et de son travail sur Daredevil, le justicier aveugle, comptaient s'inspirer de son univers hard boiled pour donner naissance à une sorte de pastiche, sans pour autant céder au second degré. Le résultat se révéla pour le moins surprenant...
Jugez plutôt : quatre tortues humanoïdes aux noms inspirés des peintres de la Renaissance, contaminées par des substances radioactives, sont entraînées aux arts ninja par un... homme-rat (Splinter) dans les égouts de New York. Dévouées à la justice et à la protection des innocents, elles s'opposent au clan Foot (en référence à La Main de Daredevil) dirigé par le terrible Shredder...
Ah, merchandising, quand tu nous tiens...
Relativement violent, l'univers du comic-book fut par la suite sans cesse atténué pour faire de TMNT un produit commercial ; espérons seulement que la trahison ait permis aux auteurs d'en profiter financièrement... Nous l'avons déjà évoqué, le dessin-animé de 1987 présentait des Tortues aux antipodes des assassins de la BD, qui affrontaient des espèces de mutants dégénérés ; les trois films, quant à eux, respectivement sortis en 1990, 1991 et 1993, s'évertuaient à torturer de pauvres acteurs engoncés dans des costumes en mousse qui les empêchaient de lever la jambe. Soyons toutefois honnêtes : le récent long métrage en CGI sorti sur nos écrans en 2007 fut une réussite (l'histoire tenait la route, l'ambiance était bien retranscrite, les personnages attachants et les graphismes soignés).
TMNT reborn
Tous les geeks en faction auront compris l'allusion de ce titre : en 1987, Frank Miller fit son retour au scénario de Daredevil afin de détruire le personnage pour mieux le reconstruire, en livrant ainsi ce qui restera comme une saga de référence dans le monde des comics. Le rapprochement est facile, dans la mesure où TMNT s'est toujours inspiré de Daredevil : en janvier 2004, le comic-book prit de la même façon un nouveau tournant en revenant aux fondamentaux (scénaristiques et graphiques), à savoir un cadre urbain sombre et violent où s'affrontent avec férocité des ninjas sans pitié.
Les jeunes et audacieuses éditions Wetta ayant entrepris de publier ces nouvelles aventures depuis fin 2007, ce second volume français de la version 2004 des Tortues Ninja - baptisé Tales of TMNT en VO et Chroniques des Tortues Ninja en VF – fait suite aux quatre premiers tomes parus aux USA et réunis dans le premier volume publié chez nous. Dans ce premier livre, les Tortues retrouvaient Shredder, leur ennemi de toujours. À l'issue de l'histoire, Leonardo était aveuglé par un ancien membre du clan Foot ivre de vengeance car atteint de cécité par la faute de la Tortue, qui l'avait blessé lors d'un ancien combat.
Foi aveugle
Sur le fond, cette nouvelle approche surprend par sa maturité et sa profondeur puisqu'il est ici uniquement question des interrogations existentielles de Leonardo, leader des Tortues. Pourtant, ce deuxième tome s’avère assez décevant : l’intrigue, qui n’en est pas vraiment une, relate donc la quête intérieure de Leonardo, en pleine remise en question depuis le combat qui l’a rendu aveugle (et qui nous évoque, une fois encore, des épisodes de Daredevil où Matt Murdock apprend à gérer sa cécité auprès de son maître Stick). Un voyage spirituel l’amène à quitter le cadre de New York pour rejoindre le Japon féodal où il se retrouve incarné... en samouraï. Dès lors, l’intérêt retombe, car nous devons suivre les aventures d’une seule Tortue et renoncer au décor urbain qui fait tout le sel de TMNT au profit d'une quête initiatique qu'on a l'impression d'avoir déjà vue de nombreuses fois.
Sur la forme, première constatation, et peut-être faut-il y voir un nouveau clin d'œil : afin de traduire la cécité de Leonardo, Jim Lawson (qui, pour la première fois, assure seul le scénario et le dessin) débute l'histoire en représentant des silhouettes blanches sur fond noir, une technique souvent utilisée par Frank Miller sur Sin City ; et puis, brusquement, nous revenons à la lumière avec un graphisme plus conventionnel : c'est alors l'occasion de constater la troublante similarité du style de Lawson avec celui des créateurs des Tortues Ninja... Les dessins, comparables au style de Robert Crumb ou de Richard Corben, paraissent étrangement anachroniques, avec leurs corps disproportionnés aux visages proches de la caricature et leur profusion de détails. Ce n'est pas une critique, car le rendu colle parfaitement à l'ambiance très eighties dégagée par le comic-book original, mais il n'est pas dit que les lecteurs ayant découvert les comics sous l'ère Image des années quatre-vingt dix (musculatures hypertrophiées et poitrines en apesanteur à gogo) apprécient cette approche nostalgique à contre-courant du graphisme racoleur encore en vogue aujourd'hui.
Un retour réussi ?
Pour conclure, ce retour de TMNT dans les librairies françaises (aux USA, leurs aventures n'ont jamais cessé de paraître) présente l'avantage de faire découvrir au public ce qu'étaient les Tortues Ninja avant d'être récupérées par les grands manitous du marketing ; d'ailleurs, on se prend à regretter la réédition du comic-book original, sûrement possible dans la mesure où l'éditeur américain (Mirage Studio) le met gratuitement à disposition sur son site... La démarche est intéressante, mais il semble que ces chroniques ne puissent s'apprécier que sur la longueur, bien que les histoires présentées soient indépendantes.