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La cité de l'indicible peur
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La cité de l'indicible peur

Raymond-Jean-Marie de Kremer, dit Jean Ray (1887 - 1964) exerça des métiers aussi insolites que ceux de pirate, contrebandier ou dompteur de tigres dans un cirque, mais ce fils d'une indienne Sioux et d'un aventurier Flamand fut surtout un incroyable conteur, un menteur magnifique, un mythomane flamboyant... En réalité secrétaire-comptable, il participa à une fraude fiscale qui l'envoya à l'ombre quelques années... Ce monument incontournable et extrêmement prolifique de la littérature populaire a écrit des œuvres qui figurent parmi les grands classiques de la littérature fantastique : Malpertuis, Saint Judas-de-la-Nuit, Les nouveaux contes de Canterbury, Les cercles de l'épouvante, les innombrables aventures de Harry Dickson, le Sherlock Holmes américain, sans compter sa production en néerlandais et sous divers pseudonymes dont celui de John Flanders...

ILS arrivent !

En Angleterre, depuis le dix-huitième siècle, l'annonce de LEUR venue est suivie d'agressions perpétrées par des êtres insaisissables et invisibles. Sigma Triggs, un médiocre policier à la retraite, hérite d'une petite maison à Ingersham, un petit village où le prestige de son ancienne charge fera de lui un notable. Il se lie alors d'amitié avec Ebenezer Doove, fonctionnaire municipal, qui le chargera officieusement d'enquêter sur le fantôme qui hante l'Hôtel de Ville. D'autres évènements mystérieux suivront : le décès d'un commerçant, mort de frayeur, la disparition inexplicable de trois sœurs après qu'un fantôme local ait été vu chez elles, le retour du Bull, un épouvantable taureau spectral soufflant le feu par les naseaux... Des lumières courent sur la lande, les bohémiens les ont vues : ILS sont là !

Une bonne histoire de fantômes, une mauvaise histoire policière

Le livre est structuré comme une séries d'histoires de fantômes classiques racontées par certains personnages, en contrepoint de l'intrigue principale. La réussite d'une histoire fantastique dépend en grande partie du talent que développera l'auteur afin de créer une ambiance et dans ce domaine, Jean Ray excellait. Même si ses nouvelles n'avaient rien de bien original, elles n'en étaient pas moins remarquables en raison de l'atmosphère particulière qu'il savait distiller. De ce point de vue, les deux premiers tiers de La cité de l'indicible peur sont caractéristiques de la manière de Jean Ray et ce livre aurait pu atteindre l'excellence si tout n'avait été gâché par l'arrivée intempestive d'un inspecteur de Scotland Yard qui aura l'outrecuidance de clore l'affaire en quelques pages à l'aide d'explications réalistes aussi bienvenues que des larves de scolopendre dans un verre de rhum, transformant ce livre en whodunit sans intérêt. Si le fantastique est souvent défini comme étant l'irruption du surnaturel dans le monde réel, le sous-genre policier appelé whodunit revient ici à faire exactement le contraire et pour les amateurs de flou et de mystères, c'est toujours désagréable...
Sans être du niveau de Malpertuis, une des réussites majeures de l'auteur, la plus grande partie de La cité de l'indicible peur vaut cependant largement le détour et après avoir frissonné dans les brumes vespérales des landes d'Ingersham vous n'aurez plus qu'une envie : vous réchauffer avec un grog comme ceux que l'on boit dans les tavernes enfumées des ports de la mer du Nord... en ouvrant un autre livre de Jean Ray, le Maître Flamand du mystère.

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