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Interview de Justine Niogret
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Interview de Justine Niogret

ActuSF : Qu'est-ce qui vous a amené à l'écriture ?
Justine Niogret : J'ai toujours écrit. Et de fait, c'est le cas de le dire, puisque ma première parution date de mes quatre ans, une sorte de poème idiot dans Astrapi. Si c'est pas la classe

En fait c'est une façon de m'exprimer qui m'est naturelle (je ne dis pas que j'écris bien, je dis que je trouve plus facile d'écrire quelque chose que de le dire), ou bien si ancrée qu'elle l'est devenue. Pour moi, l'écriture est une activité « bébé », où on se retrouve seul à se raconter des histoires, dans un monde chaud qu'on connait bien. Une activité de grand myope, aussi, où on a le nez sur un papier, un clavier, un écran. Il y a beaucoup de ça, du moins je trouve. La sculpture, la peinture, tout ça, j'ai trouvé qu'il fallait exister encore physiquement, que les mouvements, le fait de devoir chercher; un outil, une couleur, rompait trop souvent l'espèce de transe, de voyage, de ce que vous voulez de ce qui passe par la tête quand on écrit. Ça casse le bruit blanc.

Disons que j'ai toujours eu besoin de dire des choses, aussi, et que ce support-là m'a parlé plus que les autres. M'a répondu, aussi étrange que ça puisse paraître. Et ses grandes forces par rapport aux autres moyens d'expression, c'est qu'il est gratuit, et à disposition. Au restaurant, dans le métro, la nuit, il suffit d'avoir un papier et un crayon pour dire.

Et l'écriture me fascine, je l'avoue, je crois qu'il n'y a presque que ça pour pouvoir se parler entre êtres humains malgré le temps et l'espace. Je ne rencontrerai jamais Boris Vian, il nous est perdu, mais il suffit d'ouvrir un de ses livres pour qu'il nous parle. Ça être Grande Magie, je n'en démordrai pas. Et on oublie si facilement, on ne se souvient plus de ce qu'a dit l'autre, sauf en le mettant sur papier. Tous ces mots perdus, je trouve ça parfois angoissant, une sorte de cauchemar en moments d'insomnie.

ActuSF : Quelles sont vos influences ?
Justine Niogret : Les gens qui m'ont donné envie d'écrire? Je ne sais pas. Je sais que j'ai aimé Vian, justement, Dostoïewsky, Steinbeck, Hugo, mais j'avais déjà dix/douze ans, le déclic à dû se faire plus tôt, mais je n'en ai gardé aucun souvenir.

Mes influences actuelles, les scènes qui me font dire « bon, où est mon carnet de notes? », je les trouve dans les jeux vidéos, les reportages animaliers, les vieux mauvais films, les peintures et mes propres expériences passées. Les mangas, aussi. Tout ça pour la forme, le côté brut du monde de Chien, des mes nouvelles, des combats, de l'honneur et de l'espoir qui, je trouve, est toujours là. Pour le fond, Régis Boyer, Philippe Walter, Mircea Eliade, allez, Tolkien et Robert Holdstock aussi, même s'ils parlent en ayant déjà mis en forme; tous ces gens qui ont parlé de cette petite chose étrange que j'ai toujours ressentie, cette envie de me sauver de ce monde au printemps, de prendre une route et d'arriver au pays des mythagos. Je vois sans doute plus de réalité dans un mythe que dans le fait de devoir aller faire les courses. Ce qui est parfois très con, je l'avoue. Des fois je me dis que j'aurais plus de choses à dire à un apprenti chaman qu'à mes voisins. Bruno Manser for ever. Mais si ça se trouve il m'aurait détestée.

ActuSF : Vous avez écrit plusieurs nouvelles avant de vous lancer dans le roman, est-ce que l'exercice était plus difficile ?
Justine Niogret : Oui et non. Au début, oui, pour de simples raisons d'habitudes d'écriture. Mais j'ai tenté de travailler mon roman comme une suite de nouvelles, avec un début à chaque chapitre et une fin qui donne envie de tourner la page. Ensuite, c'était parfois à reculons que je reprenais le texte, je trouvais ennuyeux de continuer, de s'accrocher à un passage; j'ai beaucoup pensé aux dessinateurs, qui sont obligés de dessiner tout, absolument tout d'une pièce pour y installer leur action; dans la nouvelle, on peut peler, on peut garder les mots que l'ont veut, alors qu'en roman on a aussi une bonne part de cette obligation de parler, de décrire, de faire vivre les personnages, et parfois la vie est juste inintéressante, avouons. Mais le temps dont on dispose dans un livre pour poser une ambiance, des pensées, des actions, tout ceci donne plus de corps, il me semble, qu'une nouvelle. Mais on perd en brutalité, aussi, on peut se permettre une violence d'intention sur cinq pages qui donnerait la nausée sur cent. A mon humble avis. Et puis ma façon de voir mes personnages a changé, aussi, j'ai été obligée de leur donner des noms et des visages, ce que je n'avais jamais fait dans mes nouvelles, à quelques rares exceptions. C'est nul, on s'y attache, après. Ca force à réfléchir sur qui ils sont, sur leurs motivations. Ca rend compréhensif et plus intelligent. Je parle en général, pas pour moi.

ActuSF : Chien du Heaume est basé sur la quête, thème classique s'il en est. Mais vous parvenez à dépasser ce cadre classique pour donner un roman original et très personnel. Pourquoi ce thème et pas un autre ? Souhaitiez-vous dès le départ sortir des sentiers battus de la fantasy ?
Justine Niogret : Je voulais écrire un roman historique, sans forcement me l'avouer. J'aime l'histoire, la petite histoire, celle qui se passe de dates, celle qui ne parle que de la vie à une époque, des gens, des façons de penser, de l'impermanence et du temps qui passe sur les vies. Je ne crois pas aux dragons, aux boules de feu et aux sorciers très très méchants, mais je crois aux paradis, au désir, à la foi, à l'envie de connaitre du mieux. Que les paradis existent, je n'en sais rien et, pour tout dire, je m'en moque un peu, mais savoir que les habitants de toutes les époques ont pris les armes, risqué leur vie, vu mourir leur famille en se disant, en sachant qu'ils les retrouveraient dans un quelque part, ailleurs et plus loin, ça me touche, ça a une force qui me touche. Qu'on supporte des horreurs parce qu'on sait que demain sera meilleur, ça me touche. Et je ne parle bien que de ce qui me parle là, au fond du ventre. C'est simple de tuer un dragon avec une Vorpale, ça l'est beaucoup moins d'essayer d'être heureux. Je les ai tués, mes dragons, comme beaucoup de gens. Être heureux, là, je suis sur le chemin. Vous savez, tuer un berserk, dans les eddas, c'était souvent la première épreuve, et c'était ensuite que la véritable histoire commençait. Tuer un dragon c'est que dalle, tuer une partie de soi pour avancer c'est bien pire.

ActuSF : Votre roman navigue entre rêve et réalité, et reste souvent à la frontière entre les deux mondes. ça m'a rappelé la geste arthurienne, où on trouve souvent ce type de passage vers un autre monde, mais sans jamais vraiment quitter le nôtre. une influence de ce côté, peut-être ?
Justine Niogret : De fait, pas vraiment. Je n'ai jamais lu la Geste, et j'ai trouvé les quelques extraits que j'en ai vu en cours très ennuyeux. Après, cette ambiance de rêve, c'est, je pense, parce que mes rêves ont toujours eu beaucoup d'importance pour moi, et que le fait d'écrire même y ressemble beaucoup. Ensuite, oui, parler de magie historique, à cette époque du moyen-âge, changer d'ambiance et parler de... choses bizarres, de brouillard, de peur, de sensations inhabituelles, ça me semblait juste.

Je crois me souvenir que Lovecraft parlait aussi de transes étranges, de ce changement, de rêves éveillés, de savoir sans connaître, et puis Bourgeon, aussi. J'aime cette ambiance d'entre deux, cette ambiance de forêt la nuit, de brouillard sur l'eau. Par contre je déteste qu'on me fasse le coup du « tout ceci n'était qu'un rêve, lol. », je trouve ça d'une vulgarité qui défie l'entendement. Alors cette ambiance, oui, parce qu'elle m'est chère, de fait.

Ou peut-être que je suis un gros dandy languissant, c'est très possible.

ActuSF : Du point de vue de l'écriture, vous parvenez à « faire médiéval », avec une langue qu'on imagine être celle de l'époque, alors qu'elle n'a jamais existée. Comment avez-vous procédé ?
Justine Niogret : J'ai essayé de parler médiéval, et ça ne passait pas du tout. Je n'ai pas tenté de raconter l'histoire en « français actuel », je n'avais pas envie. Après, dire comment j'ai fait, je ne sais pas. C'est venu tout seul, comme à peu près tout ce qui est bon dans ce livre. En tous cas je n'ai pas réfléchi.

ActuSF : Une remarque sur le glossaire à la fin : vous jouez la carte de l'humour, alors que le roman est très sombre. Vous aviez le besoin de souffler ?
Justine Niogret : Pas vraiment, mais je ne m'imaginais ni donner des définitions ni expliquer certains termes d'un ton docte et en me prenant très au sérieux. Je jouerai au professeur quand j'aurai les connaissances requises, et je tente de ne pas oublier que le but d'un livre, avant tout, est d'être agréable à lire. Les passionnés, les purs et durs de cette époque n'ont pas besoin de moi pour trouver et lire des dictionnaires, et les autres n'ont certainement pas envie qu'on essaye de leur remplir la tête de force. Alors voilà; quand j'aurai une grosse moustache grise et que je mettrai des vestes en tweed rapiécées, je parlerai avec un grand sérieux des rares choses que je connais. Pas avant.

ActuSF : Pouvez-vous nous parler de vos projets ?
Justine Niogret : Je suis sur une suite de Chien du Heaume, un autre one-shot dans cet univers, disons. Je voudrais commencer un roman post-apo mais drôle, dans la veine du glossaire de Chien. Continuer la nouvelle, aussi, et reprendre la traduction, que j'avais laissé de côté pour finir mon livre. En même temps, faire plus de recherches sur le monde et la façon de penser des celtes, ainsi que sur les croisades et les ordres de chevalerie de l'époque, afin d'enrichir le monde de Chien et les personnages qui y rôdent ou y vivent. Je ne me sentais pas de taille à la faire vivre dans une ville, de peur de sonner faux, maintenant que les bases sont posées je pense pouvoir m'étendre à partir de ce fond déjà solide. Bref, faire le poulpe, étendre mes petits bras musclés sur un monde encore à découvrir. Voilà, donc, mes projets. Faire le poulpe. Je retourne dans mon bocal. Merci de votre temps.

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