Kim Stanley Robinson : L’histoire et la géographie se conjuguent pour rendre la Californie différente de tous les autres États. Les montagnes, l’océan et les déserts constituent de véritables barrières naturelles entre la Californie et le reste du monde, raison pour laquelle elle a fait son apparition si tard, et dans l’histoire américaine et dans l’histoire du monde. Il était si difficile d’arriver jusqu’ici avant les chemins de fer que les autochtones vivaient un siècle ou deux en retard et ce, jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale. L’arrivée tardive des Européens en grand nombre, et le reliquat de la Ruée vers L’Or, ont provoqué un effet étrange, une sorte de mentalité ruée vers l’or permanente, les gens qui venaient en Californie étaient des nomades cherchant une vie meilleure, et le gigantesque océan pacifique stoppant tout mouvement vers l’ouest, ils restèrent en Californie que leur vie s’améliore ou non.
Kim Stanley Robinson : En SF, la science est une question de langage, pas une question mathématique ; On put donc lui donner un air de vérité en se servant du langage avec méticulosité et en se familiarisant avec les fonctions sociales, les cercles, les styles des savants et de la science. Je suis mariée à une savante, je passe pas mal de temps en compagnie de savants et je ai accordé beaucoup d’attention. J’ai aussi lu Science News toutes les semaines depuis 30 ans, et c’est une éducation en soi, dans u sens général ; je fais des recherches sur les particularités des sciences que j’évoque dans mes livres. C’est un processus d’accumulation réciproque, comme mes romans martiens reposaient sur des fondations scientifiques solides, la US National Science Foundation m’a invité à rejoindre son programme « Artistes de l’Antarctique » et j’en ai appris plus encore. Donc la présence de la science dans mes romans résulte de la combinaison de mes efforts de recherches et de mes efforts rhétoriques, menés pendant de longues années.
Kim Stanley Robinson : Il entre dans la nature de l’écologie d’annoncer que tout est lié, tous les domaines de l’écologie réclament de notre part un effort constant. Il faut avant tout sortir notre technologie des oxydes de carbone le plus vite possible, pour éviter les effets les plus brutaux du changement climatique. Je suis favorable à une génération supplémentaire de « réacteurs nucléaires intelligents » pour combler le fossé entre nos systèmes de production électrique fondés sur l’oxyde de carbone et quelque chose de mieux que le nucléaire. Je soutiens tous les efforts de réductions des émissions de gaz carbonique et tente dans ma vie familiale d’en réduire l’usage au maximum. Mes voyages aériens ruinent ces efforts, mais je prends moins l’avion, ces derniers temps. Il faut que nous réduisions notre impact sur l’environnement, que nous restaurions l’habitat animal, les animaux ont autant le droit à l’existence que nous, et sont une partie intégrante de notre système de survie (nourriture, air, eau, etc). Cet effort particulier implique l’arrêt de la croissance de la population, ce qui est une question de justice sociale ; dans les pays où les femmes ont des droits égaux aux hommes, la natalité est à peu équivalente au remplacement des générations ou un peu en dessous. C’est donc le patriarcat et l’injustice qui crée la surpopulation. On doit en prendre conscience et affronter la question. Il faut préciser, toutefois, qu’il s’agit d’une question sociale et non d’une question technique. Le capitalisme n’est pas taillé pour être vivable au sein du système fermé de la Terre, et il comprend la plupart des injustices héritées du féodalisme.
Écologie et justice sociale sont deux façons de parler d’un même problème, le développement durable ou la permaculture mot qui signifie agriculture pour une civilisation durable.
Actusf : Vous êtes un fervent lecteur de Philip K. Dick, et y avez consacré une thèse. De quelle manière son œuvre vous a-t-elle inspiré ? Quels sont les autres auteurs qui vous ont marqué, que ce soit en science-fiction ou en littérature générale ?
Kim Stanley Robinson : PKD était un auteur californien dont la sympathie pour l’homme ordinaire fournissait le cœur de ses romans, et l‘élément de critique sociale. Je l’admire tout autant pour ses idées incroyables qui étaient souvent des visions allégoriques très inspirées. J’ai commencé à lire de la SF à l’époque de sa « Nouvelle Vague », et les auteurs de cette époque sont restés ceux qui comptent le plus pour moi : Le Guin, Wolfe, Delany, Lem, Russ, les Strugatskis. En littérature générale, j’aime la poésie de Gary Snyder, W.S. Merwin, et William Bronk ; et beaucoup de romans et de romanciers, y compris les Britanniques Joyce Cary, Henry Green, Penelope Fitzgerald, et Peter Dickinson ; en Amérique, j’aime Twain et Melville, Cecilia Holland, Ken Kesey, Thomas Pynchon et de nombreux autres. Les écrivains français qui m’ont le plus marqués sont Proust et Camus, ce sont des choix très conventionnels, je le sais, mais ils ont été traduits très bien, et ont eu sur moi un impact énorme.
Kim Stanley Robinson : Oui, pour autant que je sache, rien dans mes livres ne se distingue de la réalité physique de la planète. Cependant, il semble aujourd’hui que le projet de colonisation terrienne pourrait prendre plus de temps que je ne le prévoyais (bien que les hommes du futur puissent nous surprendre). La présence de méthane sur Mars indique que l’existence de bactéries sur cette planète est dans l’ordre du possible. Si cela e confirme, le projet humain sur Mars en sera profondément transformé. Lorsque j’ai écrit ce livre, je supposais que Mars était une planète morte. Si elle abrite de la vie, notre conduite là-bas sera très différente.
Kim Stanley Robinson : Je ne participe plus aux activités de la Mars Society. Leur projet est de soutenir l’exploration de Mars par les humains par tous les moyens possibles. Beaucoup de membres de cette organisation souhaiteraient voir Mars entièrement occupée par des humains, et la planète transformée en une sorte de Terre bis.
Kim Stanley Robinson : La firme de Cameron a acheté une option sur mes livres martiens dans les années 1990, mais ils l’ont levé deux ans plus tard et m’ont rendu les droits. J’ai discuté avec Cameron à l’époque et il m’a dit qu’il avait ses propres idées pour une histoire martienne, il n’avait donc plus besoin de mes livres. Ceux-ci ont ensuite fat l’objet d’options pour la chaine de SF et la chaine AMC, mais ils à chaque fois décidé d’abandonner l’idée. Pour l’instant, il n’y a plus de projet cinématographique sur ces livres.
Kim Stanley Robinson : Une grosse réorganisation de la NASA est en cours. Les résultats en sont pour le moment inconnus. J’aime bien les programmes d’exploration par robot, je souhaiterais qu’ils soient plus nombreux. Je crois que la colonisation humaine de la Terre et de Mars est inévitable. Le sentiment actuel selon lequel la Terre est en danger et réclame notre attention à plein temps est justifié ; cependant un programme spatial de qualité devrait être partie intégrante d’un programme de préservation de la Terre.
Kim Stanley Robinson : Il est bon de savoir qu’il y a suffisamment d’eau sur la lune pour alimenter un peuplement humain important. Beaucoup de tâches utiles et intéressantes s’offrent aux humains sur la Lune.
Actusf : Vous aimez l’escalade, comme cela peut se ressentir à la lecture de certains de vos livres. Que vous apporte cette discipline, que représente-t-elle pour vous ?
Kim Stanley Robinson : Je ne suis pas un alpiniste. C’est une idée fausse crée par mes romans et relayée par la presse que je n’ai malheureusement pas réussi à corriger. J’adore la montagne, mais je n’y suis qu’un randonneur. Au mieux on pourrait dire que je suis un crapahuteur, puisque mes amis et moi nous aventurons dans les secteurs non balisés de sentiers de la Sierra Nevada ce qui oblige à faire attention ù on pose le pied, et à crapahuter sur des pentes plus ou moins raides. Nous faisons aussi les ascensions de montagnes balisées ; la plupart es sommets de la Sierra Nevada sont balisés de sentiers qui rendent l’ascension plus faciles. Mais je ne fais jamais d’escalade, et dans nos randonnées, nous essayons de nous tenir à l’écart des pentes à plus de 45 degrés. Nous randonnons sur de longues distances dans les monts de la Sierra Nevada, par des cols dépourvus de sentiers, et en principe très loin des autres. Cela ne ressemble pas à ce que font les gens dans les Alpes, sinon peut-être à la « Haute Route » estivale entre Chamonix et Zermatt, sauf qu’il n’y a pas de refuges le long du chemin et très peu de sentiers ou de gens. J’ai fait deux ans d’exploration des Alpes. Je sais que les gens randonnent très différemment là-bas de ce qui se pratique en Sierra Nevada. Je voudrais bien écrire quelque chose à ce sujet.
Actusf : Vous avez écrit plusieurs trilogies. Pourquoi choisir ce format, plutôt que des romans en un seul volume ?
Kim Stanley Robinson : Je compte trois ensembles de mes livres qu’on appelle trilogies, mais ils sont différents les uns des autres. La trilogie des « Three Californias » est une sorte de triptyque, les trois livres situés en Californie du sud, reliées entre elles par un personnage unique ayant par magie vécu ces trois réalités distinctes. En dehors de ça, ce sont trois romans différents liés par le thème. Puis le livre martien et le livre sur le climat sont tout simplement des livres uniques mais trop longs pour être publiés en un seul volume. Qu’ils soient coupé en trois plutôt qu’en quatre relève de la tradition éditoriale. On peut donc dire que j’ai écrit environ une douzaine de livres mais deux d’entre sont très longs et en plusieurs volumes. Ils étaient si longs parce que le sujet était compliqué et comprenait beaucoup de matière à inclure dans la narration.
Kim Stanley Robinson : Ce sont des questions qui m’intéressent énormément, surtout la mémoire. Je me suis dit il y a longtemps que si nous parvenions à allonger la durée de l’existence grâce à la biologie et à la médecine, il se peut que nous excédions la capacité de la mémoire à contenir les années supplémentaires. J’ai toujours pensé que c’était un problème intéressant, et nous avons tous des problèmes avec la mémoire dans nos vies, c’est donc plus qu’une simple question théorique.
Actusf : Quels sont les films de prospective, ou de science-fiction, qui vous ont le plus marqué ?
Kim Stanley Robinson : Je ne suis pas très cinéphile, mes choix sont donc très simples : en SF, j’aime : 2001, Odyssée de l’espace, Blade Runner, Silent Running, Logan’s Run et Brazil.
Kim Stanley Robinson : Oui, mais je voudrais tout d’abord signaler que je suis heureux d’annoncer la publication de Galileo’s Dream en français par mon excellent éditeur français, Les Presses de la Cité. C’est une roman sur la vie de Galilée qui comprends ses voyages vers Jupiter au 31ème siècle. Il s’agit donc d’un roman de voyage dans le temps et les complications qui en découlent sont trop nombreuses pour être expliquées ici, mais l’histoire de Galilée à notre époque correspond à la sienne. C’est donc un roman sur la science et la religion, la naissance de la science dans l’histoire de l’humanité, l’impact de la science sur l’histoire.
Kim Stanley Robinson : J’écris un roman dans lequel l’humanité occupe le système solaire et « terraforme » les planètes et leurs lunes, pour lutter contre les changements climatiques survenus sur Terre ; par conséquent, ils « terraforment », la Terre elle-même.